Contribution à la discussion préparatoire du XXVIIIe Congrès du PCI de Stéphane Just (1984)

Introduction

J'ai d'importants désaccords avec l'orientation que suit actuellement notre parti ainsi qu'avec la politique actuelle de construction du PCI. A de multiples reprises, je me suis abstenu au comité central sur de nombreuses résolutions et j'ai plus ou moins développé mes positions sur l'orientation qui, je le pense, devrait être celle du parti.

 

On me pose la question : mais pourquoi l'abstention et ne pas opposer texte à texte ? Je voulais marquer ainsi que si importants que soient mes désaccords, je ne crois pas que ce soit, du moins à l'étape actuelle, la bonne méthode. Même si cela paraît extrêmement difficile, il faut essayer de convaincre l'ensemble de l'organisation, y compris la direction actuelle, de la justesse de mes positions ; à moins que la position des uns et des autres évolue et se rapproche; à moins que je sois moi-même convaincu que j'ai partiellement ou totalement tort.

 

Je pense que le parti dans son ensemble surmontera les difficultés actuelles, qui sont incontestables, dans sa construction, ou bien ce sera l'impasse et ses conséquences. Je n'oppose donc pas un autre texte à ceux votés par la quasi-totalité du comité central mais une contribution à la discussion.

Je le fais après avoir longuement réfléchi. Finalement, ce sont les camarades du comité central qui m'ont convaincu. A la session de décembre 1983, beaucoup m'ont dit : “ Stéphane, tu dois écrire et définir clairement pour tout le parti tes positions. ” C'est ce que je fais dans ce texte.

 

Il est long. Mais l'on comprendra qu'il n'était pas possible de faire autrement étant donné les questions en cause, la nécessité d'argumenter et de répondre sur ces questions et sur l'orientation que je préconise. Il fallait, pour que la discussion soit, claire, que je m'explique. C'est ce que je fais. Je m'efforce de le faire en tentant d'établir qu'il ne peut y avoir d’autre ligne générale pour le PCI dans la situation actuelle que celle clairement définie en septembre 1981: “ On ne peut aller de l’avant si l’on a peur d’aller au socialisme ” . Cette ligne intègre les revendications démocratiques, la défense des libertés démocratiques pour la destruction de la Ve République et de ses institutions. Mais il n’y a pas pour autant une ligne qui serait celle de la démocratie. La ligne définie en septembre 1981 implique un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires, qui réponde à la question: comment résoudre la crise ? Par un plan de production élaboré et appliqué sous le contrôle ouvrier qui réponde aux besoins des masses et qui brise la logique du profit capitaliste. Loin d’affaiblir la lutte pour les revendications, un tel programme la fonde.

Je m'efforce de situer comment se pose actuellement la question du gouvernement et comment nous devons y répondre ainsi que comment se pose la question du front unique et comment nous devons y répondre en opposition à “ l'Union de la gauche ” et à sa politique. C'est à partir de là que nous pouvons avancer dans la construction du PCI. Mais il n'y a ni solution miraculeuse, ni raccourci pour le construire.

Maintes fois dans le passé, on a tenté de recourir à ces “ méthodes ” . Les résultats ont toujours été catastrophiques. “ Nous construirons le PCI à la sueur de notre front. ” .

Bien entendu, je ne prétends pas répondre à tout. Mais que la discussion la plus large s'engage,

Stéphane Just

 

Contribution à la discussion préparatoire du XXVIIIe Congrès du PCI

 

Deux mots d'ordre à deux ans de distance

 

Trois mois après la défaite de Giscard d'Estaing, du RPR et de l'UDF, deux mois après l'élection de Mitterrand à la présidence de la République et d'une écrasante majorité de députés du PS (Ils ont à eux seuls la majorité absolue) et du PCF à l'Assemblée nationale, le 8 septembre 1981, le comité central de l'OCI publiait une déclaration. Elle portait un titre qui synthétisait son contenu : “ On ne peut aller de l'avant si on a peur d'aller au socialisme ” .

Le vendredi 23 octobre se tenait le premier grand meeting organisé par l'OCI depuis les élections de mai-juin. Il regroupait environ 6 000 participants. La banderole qui dominait la tribune donnait l’orientation de ce meeting et du PCI à ce moment. Elle affirmait: : “ On ne peut aller de l'avant si on a peur d'aller au socialisme” .

Le 2 décembre 1983, se tenait le meeting central de la campagne des 100 meetings que le CC avait décidée, en tant que parties constituantes du plan d'ensemble d'activité et de construction du PCI dont l'échéance se situait en décembre. Sur la banderole dominant la tribune, donnant l’orientation du meeting, et désormais, celle du PCI, on lisait : “ Continuer ainsi nous conduirait tous à la ruine. Front commun pour faire aboutir les réformes indispensables ” .

 

La différence est frappante entre les deux mots d'ordre synthétisant l'orientation du PCI ; dans le premier cas, 3 mois après la venue au pouvoir de Mitterrand et la formation du gouvernement Mitterrand-Mauroy- Crépeau-Fiterman, dans le second cas deux ans et demi après sa venue au pouvoir.

 

Le premier mot d'ordre signifie : sans mettre en cause le régime capitaliste en crise, sans s'engager sur la voie qui conduit au socialisme, on ne peut pas satisfaire les revendications, les besoins, les aspirations de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires. Il signifie : bien plus, on ne peut que se dresser contre elles, et tenter de leur faire payer le prix de la crise du régime capitaliste. Il donne le contenu concret de la revendication adressée au PS et au PCF : “ Rompez avec la bourgeoisie, réalisez le front unique ouvrier. ”

Le 2e mot d'ordre paraît insolite. “ Continuer ainsi nous conduirait tous à la ruine. ” A qui s'adresse cette exhortation ? De quel “ nous ” s'agit-il ? Sommes-nous sur le même bateau que le gouvernement d' “ Union de la gauche ” ?

Front commun ” ? Entre qui et qui? Entre le gouvernement, le PS, le PCF, les syndicats ? Ou entre les organisations ouvrières auxquelles on adresse la revendication “ rompez avec la bourgeoisie ” , “ réalisez le front unique ouvrier ” ? “ Pour faire aboutir les réformes nécessaires ” ? Mais quelles sont les “ réformes nécessaires ” ? Et surtout, peut-on résoudre la crise économique, sociale et politique qui résulte de la faillite de la société bourgeoise par “ des réformes ” ? L ’affirmer serait une singulière nouveauté pour des trotskystes. On peut arguer: mais les trotskystes ne sont pas par principe contre des “ réformes ” .

 

C’est là utiliser une rhétorique d’avocat qui justifie n’importe quoi au moyen d’acrobaties verbales. Voyons plutôt comment le Programme de transition aborde et répond à cette question.

“ La social-démocratie classique, qui développa son action à l’époque où le capitalisme était progressiste, divisait son programme en deux parties indépendantes l’une de l’autre: le programme minimum qui se limitait à des réformes dans le cadre de la société bourgeoise, et le programme maximum, qui permettait pour un avenir indéterminé le remplacement du capitalisme par le socialisme.

Entre le programme minimum et le programme maximum, il n’y avait aucun pont. La social-démocratie n’a pas besoin de ce pont, car, de socialisme, elle ne parle que les jours de fête. L’Internationale communiste est entrée dans la voie de la social-démocratie à l’époque du capitalisme pourrissant alors qu’il ne peut plus être question de réformes sociales systématiques ni de l’élévation du niveau de vie des masses: alors que la bourgeoisie reprend chaque fois de la main droite le double de ce qu’elle a donné de la main gauche ( impôts, droits de douane, inflation, “ déflation ” , vie chère, chômage, réglementation policière des grèves, etc...); alors que chaque revendication sérieuse du prolétariat et même chaque revendication progressiste de la petite-bourgeoisie conduisent inévitablement au-delà des limites de la propriété capitaliste et de l’Etat bourgeois. ”

 

Plus loin:

“ La IVe Internationale ne repousse pas les revendications du vieux programme “ minimum ” , dans la mesure où elles ont conservé quelques forces de vie. Elle défend inlassablement les droits démocratiques des ouvriers et leurs conquêtes sociales. Mais elle mène ce travail de tous les jours dans le cadre d’une perspective correcte, réelle, c’est-à-dire révolutionnaire. Dans la mesure où les vieilles revendications partielles “ minimum ” des masses se heurtent aux tendances destructives et dégradantes du capitalisme décadent - et cela se produit à chaque pas - la IVe Internationale met en avant un système de revendications transitoires dont le sens est de se diriger de plus en plus ouvertement et résolument contre les bases même du régime bourgeois. Le vieux “ programme minimum ” est constamment dépassé par le programme de transition dont la tâche consiste en une mobilisation systématique des masses pour la révolution prolétarienne. ”

 

Ici un jugement clair et net est porté sur “ les réformes ” , fussent-elles déclarées “ nécessaire ” : “ Il ne peut être question de réformes sociales systématiques ” . A quoi on peut objecter: depuis que le Programme de transition a été écrit, d’importantes réformes sociales, comme la Sécurité sociale, ont été arrachées ainsi que des sous-produits de la vague révolutionnaire qui a eu lieu à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et dans l’immédiat après-guerre. Il y a même eu au cours des trente dernières années dans les métropoles impérialistes une élévation considérable du niveau de vie des masses. C’est vrai.

Mais cela n’a été possible qu’en raison d’une conjoncture économique et politique que nous avons maintes fois analysée, sous la protection politique de la bureaucratie stalinienne et de son appareil international, des bureaucraties réformistes politiques et syndicales, l’impérialisme US a pu impulser la reconstruction du système capitaliste, une nouvelle accumulation du capital. Mais il l’a fait au prix d’un fantastique parasitisme, en prenant en charge et en intégrant en son sein, l’ensemble des contradictions du mode de production capitaliste parvenu à son stade impérialiste, sans pour autant donner une nouvelle jeunesse aux vieilles puissances impérialistes d’Europe et à celle du Japon.

 

Aujourd’hui, l’échéance est venue. La crise en témoigne. Et ce n’est qu’un début. L’affirmation du Programme de transition est plus vraie encore en 1983 qu’elle ne l’était en 1936: “ Il ne peut plus être question de réformes sociales systématiques ” . Pire encore, toutes les conquêtes, tous les acquis de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires, ne peuvent qu’être remis en question pour et par la défense du capitalisme. Plus encore: inéluctablement, le mouvement mécanique de la crise les détruira si le capitalisme se survit.

Le Programme de transition, “ L’agonie du capitalisme et les tâches de la IVe Internationale ” , ne parle nulle part de “ réformes nécessaires ” . Il parle des “ revendications ” , de la “ défense inlassable des droits démocratiques des ouvriers et de leurs conquêtes sociales ” . En opposition aux “ réformes ” et aux réformistes, il précise: “ dans le cadre d’une perspective correcte, réelle, c’est-à-dire révolutionnaire ” .

Or, quelle peut-être cette perspective sinon celle que Lénine affirmait déjà dans “ La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer ” ( une des premières esquisses d’un programme de transition) : “ On ne peut aller de l’avant si l’on craint d’aller au socialisme ” . Telle est la perspective ouverte par le Programme de transition lorsqu’il déclare :

“ Chaque revendication sérieuse du prolétariat et même chaque revendication progressiste de la petite-bourgeoisie conduisent inéluctablement au-delà des limites de la propriété capitaliste et de l’Etat bourgeois ” .

 

Parmi les revendications et les acquis de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires, qu’il s’agit de défendre inlassablement, prennent incontestablement place: la défense des libertés et des conquêtes démocratiques, la défense du pouvoir d’achat, du droit au travail ( une loi interdisant les licenciements), la lutte pour la défense de la Sécurité sociale, du droit à la santé, des retraites, etc..., la défense de la laïcité de l’Etat et de l’enseignement, du droit et des conditions d’une instruction scientifique et rationnelle ( ainsi que cette revendication est définie par Marx dans sa “ Critique du programme de Gotha ” )etc. Ce ne sont pas là des “ réformes nécessaires ” mais des revendications qui doivent s’inscrire dans un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse et des masses populaires dont l’axe ne peut qu’être : “ On ne peut aller de l’avant si l’on craint d’aller au socialisme ” .

 

Alors pourquoi cette banderole qui synthétisait l’orientation du PCI et dominait la tribune du meeting du 2 décembre 1983 ? On ne peut s’abstraire du contenu politique que l’histoire et les données politiques concrètes de la situation actuelle donnent aux formules et aux mots d’ordre. L’activité politique qui se situe ou affirme se situer sur le terrain des “ réformes nécessaires ” est l’activité proclamée des organisations dites “ réformistes ” en opposition à l’activité et aux positions des organisations révolutionnaires.

Cette banderole n'était-elle pas un clin d'oeil., un appel du pied fait par le PCI sinon aux organisations dites “ réformistes ” , mais au moins aux “ réformistes ” ? “ Voyez, le PCI est aussi pour les "réformes nécessaires" ” ? D'autant plus que IO n° l135 écrit du meeting placé sous ce mot d'ordre qu'il est “ le début d'une construction commune ” . D'autant plus que le CC des 9 et 10 décembre 1983 a voté une résolution, laquelle exprime (selon l'appréciation de ceux qui l'ont votée) le contenu du meeting et dégage l'orientation qui en découle. Dans cette résolution il est écrit :

“ Le temps est venu de rassembler des forces dans une initiative centralisée et nationale, qui pourrait prendre le contenu d'un mouvement qui pourrait être intitulé : "pour le front commun, pour un parti ouvrier, un parti des travailleurs " dont les portes seraient grandes ouvertes à tous ceux qui désirent y travailler, qui désirent aider à organiser les travailleurs, les jeunes, les aider dans la lutte contre le capital et la politique capitaliste du front populaire. ”

 

Si les mots ont un sens, cela signifie : la constitution d'un pré-parti pour un parti ouvrier, lequel ne serait pas le PCI.. Assurément, il est affirmé que ce mouvement devrait aider à organiser les travailleurs, les jeunes, les aider dans la lutte contre le capital et la politique capitaliste de front populaire. Louable intention. Mais sur quelle ligne, sinon sur quel programme ? Celle et celui des “ réformes nécessaires ” ?

D'autant qu'il est répété à plusieurs reprises dans cette résolution qu'il s'agit de combattre “ sur la ligne de la démocratie ” . D'autant plus que c'est là l'aboutissement d'une évolution politique que l'on peut suivre pas à pas dans la collection d'IO et en différents textes et tracts. La déclaration du CC de l'OCI du 8 septembre 1981 liait les revendications démocratiques contre la Ve République et son caractère bonapartiste aux revendications économiques sociales, au problème du gouvernement et à la voie à suivre :

“ Tout se tient. Les masses ont chassé Giscard. Elles ont écrasé les partis de la Ve République. C'est une défaite des capitalistes, de la bourgeoisie. C'est une victoire considérable des masses. Pourtant rien n'est joué, Les capitalistes, la bourgeoisie veulent leur revanche sur les masses. Ils disposent de puissants moyens économiques et politiques. On ne peut gouverner en essayant de concilier les intérêts des capitalistes et ceux de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses exploitées. Une telle politique ne ferait en fin de compte que le jeu des capitalistes et de la bourgeoisie qui exigent du gouvernement des mesures contre les masses laborieuses, la protection et la défense de leurs intérêts. Il faut gouverner, non seulement sans la bourgeoisie (A ce propos, que viennent faire dans le gouvernement les représentants des groupuscules bourgeois d'origine gaulliste (Jobert) ou radicale (Crépeau ) ? Ne serait-il pas nécessaire de les renvoyer du gouvernement ? A-t-on oublié que le radical bourgeois Crépeau s'est présenté au premier tour des élections présidentielles contre Mitterrand pour tenter de faire passer Giscard ?), mais contre elle en s'appuyant sur les masses. Ainsi, n'est-il pas nécessaire que se réunisse un congrès des employés de banque, des institutions financières, des assurances, avec à son ordre du jour : la nationalisation du crédit ? Il ne s'agit pas d"'autogestion ". Les travailleurs ne peuvent gérer l'économie que par la détention du pouvoir politique.

Pour cela, il faut détruire l'Etat bourgeois, instituer le pouvoir des conseils, construire l'Etat ouvrier, exproprier le capital. L'“ autogestion ” dont il est question ne peut être dans les conditions actuelles, que la “ cogestion ” dans le cadre du régime capitaliste, les travailleurs organisant leur propre exploitation. Ce dont il s'agit c'est de réaliser un véritable contrôle ouvrier sur le crédit, comme il s'agit de le réaliser sur la production, la distribution, sur les prix.

Tout se tient. Pour que la victoire des masses laborieuses soit honorée, il faut démanteler l'Etat UDF-RPR, en finir avec la Ve République, ses institutions, sa Constitution, il faut satisfaire aux revendications des masses, il faut en finir avec la hausse des prix, le chômage, la crise, et pour cela, il faut rompre avec la bourgeoisie, s'appuyer sur les masses, les appeler à s'organiser, à se mobiliser. L'OCI unifiée affirme : on ne peut aller de l'avant si l'on craint de marcher au socialisme ! ” .

 

Qu'est-ce que la ligne de la démocratie ?

 

Ainsi, il s'agirait d'orienter l'intervention du PCI “ sur la ligne de la démocratie ” . Sans aucun doute, les trotskystes ne peuvent ignorer l'importance des revendications démocratiques dans le combat pour la révolution prolétarienne et la construction des partis de la IVe Internationale. A l'époque de l'impérialisme, dans les pays où des tâches démocratiques relevant de la démocratie bourgeoise n'ont pas été réalisées, la réalisation de ces tâches est au premier plan du programme de la révolution prolétarienne; Dans ces pays, le prolétariat “ est contraint de combiner la lutte pour les tâches les plus élémentaires de l'indépendance nationale et de la démocratie bourgeoise avec la lutte socialiste contre l'impérialisme mondial ” . Qui plus est, à l'époque de l'impérialisme, “ réaction sur toute la ligne ” , même dans les pays où les tâches démocratiques relevant de la démocratie bourgeoise ont été réalisées, elles peuvent être remises en cause et le sont effectivement à chaque moment. C'est ainsi que la réaction fasciste liquide toute forme de démocratie . pour liquider toutes les conquêtes sociales et politiques du prolétariat et des masses populaires, toute forme d'organisation indépendante du prolétariat, syndicats et partis, et même de la bourgeoisie.

Trotsky écrivait à propos de l'Espagne en 1931 :

“ Ce serait du "doctrinarisme " le plus piteux et le plus stérile que d'opposer le mot d'ordre de la dictature du prolétariat aux tâches, mots d'ordre de la démocratie révolutionnaire (République, révolution agraire, séparation de l'Eglise et de l'Etat, confiscation des biens ecclésiastiques, indépendance nationale, Assemblée constituante révolutionnaire). Avant de conquérir le pouvoir, les masses populaires doivent se grouper autour du parti révolutionnaire dirigeant. La lutte pour la représentation aux Cortès à cette étape de la révolution peut faciliter considérablement la solution de cette tâche. ” (page 71, “ La Révolution espagnole ” , textes recueillis et présentés par Pierre Broué).

Trotsky écrivait à propos de l'Allemagne, après la prise du pouvoir par Hitler :

“ Théoriquement, la victoire du fascisme est le témoignage incontestable de ce que la démocratie a épuisé toutes ses possibilités ; mais, pratiquement, le régime fasciste conserve les préjugés démocratiques, les ressuscite à nouveau, les, implante dans la jeunesse et est même capable de leur donner, pour un bref laps de temps, une plus grande vigueur. C'est précisément en cela que consiste une des manifestations les plus importantes du rôle historique réactionnaire du fascisme (...).

Dans le cours du réveil révolutionnaire des masses, les mots d'ordre démocratiques constitueraient inéluctablement le premier chapitre. Même si la marche ultérieure de la lutte ne permettait pas de façon générale la renaissance ne fût-ce qu'un jour de l'Etat démocratique -- et c'est parfaitement possible – la lutte elle-même ne peut se développer sans mots d'ordre démocratiques ! Un parti révolutionnaire qui tenterait de sauter par-dessus cette étape se casserait le cou (...).

Sous quels mots d'ordre politiques se mènera cette lutte ? La dictature de Hitler a surgi directement de la Constitution de Weimar. Les représentants de la petite bourgeoisie lui ont, de leurs propres mains, donné mandat pour sa dictature. Si l'on admet un développement très favorable et très rapide de la crise du fascisme, alors la revendication de la convocation du Reichstag, y compris tous les députés exclus, pourra, à un certain moment, unir les ouvriers et les couches les plus larges de la petite bourgeoisie. Si la crise devait éclater plus tard et que le souvenir même du Reichtag ait eu le temps de s'effacer, le mot d'ordre de nouvelles élections pourrait avoir une grande popularité. Nous ne disons pas que le développement se fera forcément sur cette voie. Il suffit qu'il soit possible. Se lier les mains par rapport aux mots d'ordre démocratiques de transition qui peuvent être imposés par nos alliés petits-bourgeois et par les couches arriérées du prolétariat lui-même serait un "doctrinarisme funeste ". ”

(pages 240, 243, 244 et 245 des Oeuvres, tome I).

 

Mais la France n'est pas l'Espagne. C'est au contraire le pays où les tâches démocratiques relevant de la démocratie bourgeoise ont été le plus radicalement accomplies, Il reste que l'institution de la Ve République en 1958 a mis fin à un régime démocratique bourgeois parlementaire, Elle a établi un régime dit type bonapartiste. Ce n'est pas la peine de s'étendre sur l'importance majeure de la substitution d'une forme de domination de classe de la bourgeoisie à une autre pour le prolétariat. La fonction de la Ve République était, en rendant le pouvoir d'Etat indépendant du contrôle du Parlement, d'établir un régime fort, capable de discipliner la classe ouvrière et les masses exploitées aux exigences du capitalisme bourgeois décadent et même de discipliner les différentes couches de la bourgeoisie aux besoins et intérêts du capital financier. Néanmoins, le bonapartisme n'est pas le fascisme, bien qu'il puisse en être la préface. Et surtout, le bonapartisme de la Ve République est un bonapartisme bâtard. La logique de la Ve République était “ d'en finir avec les partis ” , de détruire les organisations de classe du prolétariat en intégrant notamment les syndicats à l'Etat, c'est-à-dire en les liquidant en tant qu'organisations ouvrières.

 

C'était tout un ensemble de “ réformes ” réduisant à rien les conquêtes économiques, sociales et politiques du prolétariat et des masses exploitées. C'était d'instituer le corporatisme. Cette logique a été brisée par la résistance du prolétariat et de la jeunesse qui s'est notamment exprimée dans la grève des mineurs de mars-avril 1963 et la grève générale de 1968. La suprême tentative de de Gaulle pour reprendre l'initiative et instaurer le corporatisme a échoué en 1969. Il a été battu au référendum d'avril 1969 parce que, FO se prononçant la. première, les centrales syndicales et les partis ouvriers ont appelé à voter NON et qu'une partie de la bourgeoisie, consciente que les rapports de force entre les classes ne permettaient pas de réaliser le corporatisme, était opposée à cette nouvelle tentative. De Gaulle a dû se démettre.

 

Une situation exceptionnelle en est résultée. Sans que la Ve République soit balayée, sans qu'il soit mis fin au bonapartisme et à ses institutions, non seulement les syndicats ouvriers n'ont pas été intégrés et détruits, non seulement il n'a pas été mis “ fin aux partis ” , mais, utilisant les formes politiques de la Ve République, la classe ouvrière, les masses populaires ont élu Mitterrand à la présidence de la République parce que principal dirigeant du nouveau PS et elles ont élu une majorité écrasante de députés du PS et du PCF à l'Assemblée nationale.

Mais Mitterrand et la majorité PS-PCF s'efforcent de maintenir et faire fonctionner les institutions antiparlementaires et anti-ouvrières de la Ve République. Ils mettent tout en oeuvre pour réaliser les réformes réactionnaires que n'ont pu qu'ébaucher de Gaulle, Pompidou, Giscard d'Estaing, et cela d'autant plus que la crise du capitalisme français se fait pressante et exigeante.

Le maître d'oeuvre de cette politique est le principal dirigeant du PS, parti ouvrier bourgeois parlementaire, Mitterrand. Le gouvernement qui la développe est un gouvernement composé de ministres du PS et du PCF pour l'essentiel avec juste ce qu'il faut de ministres d'organisations bourgeoises pour affirmer la nature de ce gouvernement. Il gouverne sous la couverture de la majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale . Les principales forces de sa mise en oeuvre et de sa défense dans la classe ouvrière, ce sont le PS et le PCF et les appareils syndicaux. Tout cela va à l'encontre de l'extraordinaire victoire politique remportée par les masses en mai-juin 1981 qui ont écrasé électoralement les partis bourgeois.

 

Dans ces conditions, que veut dire “ la ligne de la démocratie en général ” ? S'agit-il de mettre en avant, comme c'était le cas en 1931, comme c'est encore nécessaire en Espagne actuellement, le mot d'ordre de la République ? Evidemment non. Ce serait pour les masses complètement incompréhensible. Elles considèrent la Ve République comme une république et de plus une république tout aussi démocratique que l'étaient la IVe et même la IIIe Républiques. A l'encontre de la vocation de la Ve République il est vrai, en raison de leurs propres combats, leurs organisations n'ont pas été détruites. Les libertés de la presse,de manifester, de s'organiser, etc... , existent et, aujourd'hui, elles ne sont pas en cause. Les masses le savent parfaitement. S'agit-il d'élire une Assemblée réellement représentative, selon la norme un citoyen/un suffrage, en respectant les règles communes aux démocraties bourgeoises ? Evidemment non. Les masses populaires ont élu, en utilisant les institutions de la Ve République Mitterrand à la présidence de la République et une majorité de députés PS-PCF à l'Assemblée nationale, et il n'appartient qu'à Mitterrand et à la majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale de répondre aux aspirations et besoins de la classe ouvrière et des masses populaires. C'est du rapport entre la classe ouvrière et ses organisations politiques qu'il s'agit. S'agit-il de ne pas accepter que les organisations ouvrières, notamment les syndicats, fassent des pas sur la voie du corporatisme que les lois Auroux dessinent ? Là aussi, c'est du rapport entre la classe ouvrière et ses organisations syndicales qu'il s'agit.

 

Mais ne faut-il pas en finir avec les institutions de la Ve République à caractère bonapartiste ?

Assurément, Mais la “ ligne de la démocratie ” est bien difficilement saisissable pour les masses et même pour une avant-garde. Elles ont le sentiment de vivre dans un régime “ démocratique ” au sens attribué, en général, par la tradition à ce terme dans les pays de vieilles démocraties bourgeoises. Il faut même faire attention avec ce mot “ démocratie ” .

A juste titre, au nom de la “ démocratie ” , nous avons mené des campagnes avant 1981 pour la dissolution de l'Assemblée nationale. Toutes les élections partielles démontraient que la majorité d'alors UDF-RPR de députés à l'Assemblée nationale était minoritaire dans le pays. Au moins depuis les élections municipales de mars 1983, il est évident que c'est au tour de la majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale d'être minoritaire dans le pays. L'appel à la “ démocratie ” en général pourrait bien devenir un boomerang.

 

Ce dont il s'agit, c'est de mettre en avant en tant que parti un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires, des revendications démocratiques précises et non “ la ligne de la démocratie ” , dont on ne sait pas trop ce qu'elle est. Au centre des revendications démocratiques se situe la revendication qui met en cause le bonapartisme et ses institutions de la Ve République. La souveraineté totale de l'Assemblée nationale impliquant notamment que le gouvernement émane d’elle et soit responsable devant elle. Encore n'est-elle valable qu'autant qu'il existe une majorité absolue de députés du PS-PCF à l’Assemblée nationale.

 

C’est donc une revendication, un mot d’ordre d’apparence démocratique mais qui prend sa force par son caractère de classe, son caractère de front unique ouvrier, opposé à la collaboration avec la bourgeoisie. Il signifie le pouvoir aux partis ouvriers, rupture avec la bourgeoisie, pour une politique mettant en cause le régime capitaliste, répondant aux intérêts de la classe ouvrière, de la jeunesse et des masses populaires.

Il signifie mettre concrètement en cause le fonctionnement de l’Etat bourgeois tel que celui-ci a été structuré et fonctionne sous la Ve République. Il ne peut être caractérisé comme une “ réforme nécessaire ” . Dans la mesure où il est une revendication démocratique, il est une revendication de la “ démocratie révolutionnaire ” . Il exige la mobilisation révolutionnaire des masses et appelle à cette mobilisation.

 

Une seule et même ligne : celle de la défense des mots d'ordre démocratiques, de la défense des revendications, de la rupture avec la bourgeoisie pour s'engager sur la voie qui mène au socialisme

De toute évidence, on oppose la “ ligne de la démocratie ” à celle que la formule “ on ne peut aller de l'avant si on craint d'aller au socialisme” implique. Certaines positions développées à diverses reprises dans Informations ouvrières sont inquiétantes. Ainsi, Informations ouvrières n° 1083, en date du 4 décembre 1982, rapporte en ces termes ce que disait Seldjouk dans son rapport à la Conférence des groupes politiques à propos du socialisme et de la démocratie.

“ Que demandons-nous ? Le socialisme pour demain matin comme l'a suggéré démagogiquement Christian Pierret dans un discours à l'Assemblée nationale ? Chacun sait bien que non. Le PCI qui a pris l'initiative de la manifestation d'hier et de la conférence d'aujourd'hui, combat pour le socialisme, incontestablement, et chacun de ses actes est motivé par ce but qu'il se fixe. Et n'en déplaise à ceux qui prétendent parler au nom des travailleurs. Les travailleurs sauront s'ouvrir cette voie. Et nous, PCI, les y aiderons. .

La démocratie...

Camarades, ce que nous réclamons, c'est le respect d'un principe dont se revendiquent, du moins en paroles, la quasi-totalité des partis et hommes politiques de ce pays : nous demandons le respect de la démocratie. La démocratie, c'est la domination de la majorité. Or, rarement la volonté de la majorité s'était exprimée les 10 mai, 14 et 21 juin 1981 avec autant de force dans l'histoire de notre pays.

En chassant Giscard, la majorité UDF-RPR, la majorité a dit : assez de la domination de la minorité des exploiteurs et de leurs partis : nous ne voulons plus les voir au pouvoir ?

En désignant une majorité de députés du PS et du PCF, la majorité a dit : gouvernez dans le sens de nos revendications et de nos aspirations, utilisez le pouvoir que nous vous confions pour desserrer l'étau du chômage et de la dégradation générale des conditions d'existence qui étouffent des milliers de familles ouvrières. La volonté de la majorité s'est clairement manifestée. La volonté de la majorité doit être respectée. La démocratie doit être respectée. Adopter un budget soumis aux injonctions de la minorité des exploiteurs battus avec les partis UDF-RPR les 14 et 21 juin, c'est tourner le dos au mandat du peuple et bafouer la démocratie.

Imposer à la majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale une mesure à laquelle elle s'était opposée, par le recours aux mécanismes les plus antidémocratiques des institutions réactionnaires de la Ve République, en l'occurrence l'article 49 ter, comme cela fut fait voilà 10 jours à propos de l'amnistie des généraux de l'OAS, c'est bafouer la démocratie (...).

...Exige le respect du mandat...

La démocratie exige le respect du mandat. La démocratie exige que l'Assemblée se déclare souveraine et prenne en mains tous les pouvoirs afin de résoudre les graves problèmes auxquels sont confrontés ceux qui ont mandaté cette majorité, c'est-à-dire la classe ouvrière et l'ensemble des couches laborieuses de ce pays (...). ”

 

Nous venons de le voir, identifier la “ démocratie ” à une majorité électorale et au respect de cette majorité électorale n'est pas sans danger. C'est vrai, la quasi-totalité des partis et des hommes politiques (des partis et hommes politiques ouvriers et bourgeois “ de droite ” comme de “ gauche ” ) identifient démocratie et majorité sortie des urnes. Et pas seulement eux : la plus grande partie des masses populaires également. Il y a dans ce que dit Seldjouk l'idée juste suivante : en élisant une majorité de députés PS-PCF, la majorité réelle de la population, celle des exploités, est parvenue .à s'exprimer. Pour une fois, majorité réelle et majorité sortant des urnes, majorité parlementaire ont coïncidé. En conséquence : que la majorité de députés du PS et du PCF décrète : “ L'Assemblée nationale est souveraine et elle prend tous les pouvoirs. ”

 

S'exprimer ainsi, c'est se placer sur le terrain de la lutte des classes et non se référer à une majorité électorale plus ou moins épisodique. Mais que veut dire cette fausse discussion avec Christian Pierret ?

Pierret proclame : “ Le socialisme n'est pas pour demain matin ” , et Seldjouk répond en substance : “ D'accord, le socialisme n'est pas pour demain matin, d'ailleurs le socialisme, ce n'est plus votre affaire, c'est l'affaire du prolétariat.., et du PCI. ” C'est un tour de passe-passe. L'affirmation de Pierret signifie en réalité : “ Le moment n'est pas venu de s'engager sur la voie qui mène au socialisme ” , et nullement, “ Le socialisme ne sera pas réalisé demain matin. ” Et Seldjouk marche dans la combine de Pierret. Il ne met pas à jour son escroquerie politique: Il répète après Pierret.., le socialisme, ce n'est pas pour demain, alors qu'il s'agit de savoir si on s'engage .sur la voie qui conduit au socialisme. C'est là que tout se concentre.

 

“ En désignant une majorité de députés du PS et du PCF la majorité a dit : gouvernez dans le sens de nos revendications et de nos aspirations, utilisez le pouvoir que nous vous confions pour desserrer l'étau du chômage, de la dégradation générale des conditions d'existence qui étouffe des milliers de familles ouvrières. ”

Voilà qui est fort bien dit. Mais comment est-ce possible sans mettre en cause le régime capitaliste, sans notamment un plan de production qui répond aux besoins des masses et brise avec la logique du profit ?

Comment est-ce possible sans mettre en cause la propriété privée des principaux moyens de production et sans exproprier les grandes sociétés capitalistes ? Comment est-ce possible sans en appeler à la mobilisation des masses et notamment au contrôle ouvrier?

Pourquoi ne pas répondre à la façon dont Lénine répondait déjà dans la Russie pourtant économiquement arriérée de 1917 pour “ conjurer la catastrophe ” ?

“ Ou bien l'on est réellement démocrate révolutionnaire et alors on ne saurait craindre de s'acheminer vers le socialisme. Ou bien l'on craint de s'acheminer vers le socialisme et l'on condamne tous les pas faits dans cette direction sous le prétexte, comme le disent les Plekanov, les Dan et les Tcheranov, que notre révolution est bourgeoise, qu'on ne peut "introduire" le socialisme, etc. Dans ce cas, on arrive fatalement à la politique de Kerensky, Milioukov, Kornilov, c'est-à-dire la répression bureaucratique réactionnaire des aspirations démocratiques révolutionnaires des masses ouvrières”

 

Quelques voix s'élèveront sans doute pour dire : attention, ne confondons pas, en Russie en 1917, les soviets existaient. Rien de tel. n'existe en France en 1984. Lorsque Lénine parlait de démocratie révolutionnaire, il pensait aux soviets. De plus “ la catastrophe imminente ” et les moyens de la conjurer a été écrite entre le 10 et le 14 septembre 1917, environ un mois avant la prise du pouvoir par les bolcheviks. Ces arguments ne valent rien. Il s'agit de savoir comment peuvent être satisfaites les revendications et aspirations des masses. Il s'agit de savoir ce que le PS et le PCF doivent faire alors qu'ils dirigent le gouvernement et qu'ils disposent d'une majorité écrasante à l'Assemblée nationale. .

L'argument selon lequel on ne peut demander au PS et au PCF de s'engager sur la voie qui mène au socialisme parce qu'ils se situent sur le terrain de la “ démocratie ” , ou que l'on ne peut leur demander “ d'appliquer notre programme ” ne vaut pas plus cher.

S'il s'agit du respect de leur engagement et seulement de cela, alors le PS et le PCF, Mitterrand se sont engagés à... respecter la Ve République, sa Constitution, ses institutions... Ils ne se sont pas engagés à l'acte révolutionnaire qui serait de décider que l'Assemblée nationale “ se déclare souveraine ” et prenne en mains tous les pouvoirs. Ils comprennent la “ démocratie ” dans le cadre de la Ve République et de ses institutions. A cet égard, ils sont fidèles à “ leurs engagements ” , comme à beaucoup d'autres points de vue qu'expriment les l10 propositions que François Mitterrand a formulées au cours de la campagne des élections présidentielles.

Se situer sur le terrain du “ contrat ” qu'ils auraient passé avec “ le peuple ” , c'est s'engager dans une impasse. Déclarer que les revendications du Programme de transition ne sont pas les leurs, mais celles des trotskystes, et qu'on ne peut leur demander d'appliquer notre programme, c'est également s'engager dans une impasse.

 

Une chose est de ne pas conditionner l'appel à voter pour les candidats du PS et du PCF au cours d'élections afin de battre les candidats bourgeois. Une autre chose sont les revendications que nous adressons aux dirigeants du PS et du PCF lorsqu'ils sont au pouvoir. D'abord, s'ils se réclament de la “ démocratie ” , d'une certaine “ démocratie ” , ils se disent également “ socialistes ” ou “ communistes ” , bien qu'il soit vrai que leur “ socialisme ” , leur “ communisme ” vaut pour les “ dimanches et jours de fête ” , tout comme leur “ démocratie ” est celle acceptable par la bourgeoisie. Il est donc tout aussi justifié d'exiger d'eux qu'ils s'engagent sur la voie qui mène au socialisme qu'il est justifié d'exiger de la majorité de députés du PS et du PCF qu'elle décrète que l'Assemblée nationale est souveraine. D'ailleurs, quelle autre signification peut avoir ce que le Programme de transition écrit:

“ De tous les partis et organisations qui s'appuient sur les ouvriers et paysans et parlent eu leur nom, nous exigeons qu'ils rompent politiquement avec la bourgeoisie et entrent dans la voie de la lutte pour le gouvernement ouvrier et paysan. ”

Les revendications que nous adressons au nom des masses aux dirigeants du PS et du PCF, notamment lorsqu’ils sont au pouvoir, émanent de notre programme et ne peuvent qu’en émaner. Sans quoi, cela signifierait qu’il peut y avoir un autre programme répondant aux besoins , aux exigences, aux intérêts des masses laborieuses, ou bien que notre programme doit être révisé. Bien sûr, il ne s'agit pas de lancer indistinctement toutes les revendications et les mots d'ordre que contient notre programme, mais celles et ceux qui correspondent aux besoins de l'heure, aux développements de la lutte des classes en tenant compte de l'état d'esprit des masses. Nous devons dire : la question n'est pas de savoir si telle ou telle revendication est incluse dans le programme du PS ou (et) du PCF, mais : “ Pour desserrer l'étau du chômage, pour satisfaire les aspirations de la population laborieuse, les revendications, etc., prendre ces mesures est-ce oui ou non indispensable ? ” ; tout comme nous disons : “ N'est-il pas indispensable que, compte tenu qu'ils disposent de la majorité absolue, les députés du PS et du PCF proclament la pleine souveraineté de l'Assemblée nationale ” ?

 

En fait, nous devons montrer la relation existante entre les mesures anticapitalistes indispensables à prendre et l'acte révolutionnaire que serait la proclamation de la pleine souveraineté de l'Assemblée nationale par les députés du PS et du PCF. Les dirigeants du PS et du PCF sont contre l'application de la démocratie réelle, de la “ démocratie révolutionnaire ” , comme disait Lénine, parce qu'ils ne veulent pas mettre en cause le régime capitaliste, parce qu'ils le défendent, parce qu'ils ne veulent pas rompre avec la bourgeoisie. Au contraire, ils font sa politique, ils répondent à ses besoins et exigences.

 

Il n'y a pas la “ ligne de la démocratie ” et celle pour “ s'engager sur la voie qui mène au socialisme ” , mais une ligne unique réelle qui intègre les revendications démocratiques, la défense des libertés démocratiques et s'engage sur la voie qui conduit au socialisme par les revendications et mots d'ordre de transition :

“ Il faut aider les masses dans le processus de leur lutte quotidienne à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires partant des revendications actuelles et la conscience actuelle des larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat. ”

 

Y compris à propos de l'Espagne en 1931, alors qu'il insistait sur l'importance décisive des mots d'ordre démocratiques, Léon Trotsky ajoutait :

“ Le programme radical de la législation sociale, en particulier l'assurance chômage, le rejet des charges fiscales sur les classes possédantes, l'enseignement général gratuit, toutes ces mesures et des mesures semblables qui ne dépassent pas encore le cadre de la société bourgeoise doivent être inscrites sur le drapeau du parti du prolétariat.

En même temps (souligné par moi), il faut dès maintenant mettre en avant les revendications à caractère transitoire : nationalisation des chemins de fer, qui en Espagne, sont tous propriété privée ; nationalisation des banques, contrôle ouvrier de l'industrie ; enfin réglementation de l'économie par l'Etat. Toutes ces revendications sont liées au passage du régime bourgeois au régime prolétarien, elles préparent ce passage pour, après la nationalisation des banques et de l'industrie, se fondre dans le système des mesures de l'économie organisée qui prépare la société socialiste. ”

 

Il faut résoudre la crise

Le Programme de transition n'est pas une sorte de chapelet dont il faudrait égrener les mots d'ordre et revendications les uns après les autres jusqu'à la réalisation de la dictature du prolétariat, Il faut déterminer les mots d'ordre et revendications qui répondent à une situation déterminée en fonction des rapports entre les classes et en tenant compte de l'état d'esprit des masses. En d'autres termes, il faut savoir saisir le ou les maillons décisifs de la chaîne. Ces mailIons peuvent varier selon les moments. En France, quels sont-ils actuellement ? Qu’on le veuille ou non, ce ne sont pas ceux de “ la démocratie ” en général. Ce sont ceux de la défense des conquêtes et des acquis de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires, et de la solution à la crise économique sur la base de laquelle, compte tenu des rapports entre les classes, se développe la crise sociale et politique qui, à son tour, accentue et risque de précipiter la crise économique. C’est pour répondre à ces problèmes qu’il nous faut un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse et des masses laborieuses. Au centre de ces problèmes, se situe la réponse à la question: comment résoudre la crise ?

 

Certains estiment qu'il n'y a pas besoin d'un tel programme puisqu'il y a le Programme de transition ou un ensemble de réponses politiques qui y correspondraient dans notre presse et notre activité. Encore une fois, il s’agit, en partant du Programme de transition et de sa méthode, d ’élaborer un programme répondant concrètement aux problèmes auxquels sont confrontés la classe ouvrière et les exploités de ce pays dans la situation actuelle. cela, nous ne l’avons pas. Et pourtant, c’est essentiel pour donner son unité à notre politique. Sans quoi nous avons une somme de mots d’ordre, de revendications mais pas une politique globale. Pour construire un parti, il faut formuler les réponses aux questions fondamentales qui se posent dans le pays, et notamment celle : comment résoudre la crise ?

Certains disent même que nous ne pouvons répondre à “ comment résoudre la crise ” , “ puisque pour résoudre la crise, il faut prendre le pouvoir et en finir avec le capital ” . Laissons-leur la responsabilité de ces affirmations. Mais l'on peut constater que ce n'était pas l'avis de Trotsky. Dés le printemps 1934, Trotsky écrivait dans un court article intitulé : “ Pour un programme d'action ” :

“ La question de "l'économie ", de 1"'équilibre du budget ", c'est la question de la diminution des salaires, des pensions, des secours de chômage, etc., et c'est maintenant la question la plus brûlante. Ici, nous sommes sur la défensive, mais il faut la mener d'une manière précise et vigoureuse. ”

Ensuite, il soulignait l'importance du mot d'ordre du “ contrôle ouvrier ” . Face à la menace fasciste, il mettait en avant le mot d'ordre de “ milice ouvrière et paysanne, d'armement du peuple ” . Et il ajoutait :

“ Avec le contrôle ouvrier et la milice, nous restons toujours sur la défensive. Nous ne voulons pas permettre de rejeter la société dans la barbarie et la décomposition. Mais cela ne suffit pas. Il faut faire sortir la société de l'impasse où elle se trouve et, pour cela, il faut recréer l'économie nationale de fond en comble en l'adaptant aux intérêts du peuple travailleur et en sacrifiant les privilégiés des sommets oustricards et staviscrates. ”

Il insistait alors sur la question clé du gouvernement :

“ D'un gouvernement du peuple travailleur, un gouvernement ouvrier et paysan (...). Le gouvernement, en expropriant les richesses des exploiteurs, pourra diminuer les impôts qui retombent sur les paysans et la petite bourgeoisie des villes. En éliminant la concurrence par l'économie planifiée, le gouvernement ouvrier et paysan pourra laisser aux petits propriétaires (paysans, artisans, commerçants) la pleine liberté de disposer de leur propriété et leur assurer en même temps de scommandes de l'Etat à des prix qui doivent élever considérablement leur niveau de vie. ”

Il écrivait encore :

“ Pour la classe ouvrière, et c'est par cela qu'il faudrait peut être commencer, il est à indiquer que 1’"économie planifiée permettra de passer immédiatement à la journée de 7 heures et, pour des industries extractives et insalubres, de 6 heures, et d'instaurer un système accompli de véritables assurances sociales. ”

“ Mais aujourd'hui, il n'y a pas de ligues fascistes.., les masses ne ressentent pas la nécessité de la milice ouvrière, de l'armement du prolétariat.., donc nous ne pouvons élaborer un programme d'action. ” De tels arguments ont déjà été entendus. Ceux qui les utilisent ou les utiliseraient ne se rendent pas compte qu'ils condamnent ainsi “ la ligne de la démocratie ” . En effet, la classe ouvrière, les masses laborieuses n'ont pas le sentiment que leurs libertés, leurs organisations sont menacées actuellement par des bandes fascistes (bien que cela puisse venir) et un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse et des masses laborieuses n'a pas à mettre en avant immédiatement le mot d'ordre de milices ouvrières. Par contre, ce qui est au premier plan, c'est la défense des acquis économiques, sociaux et politiques, et la solution à la crise.

 

Peut-être va-t-on objecter : “ Le contrôle ouvrier, le plan, les nationalisations, etc., mais vous n'y pensez pas.., et les lois Auroux, et la “ planification démocratique ” et les nationalisations déjà effectuées en France qui portent sur la plus grande partie du crédit et une partie déterminante de l'industrie.., ce serait nous engager sur la voie du corporatisme. ” Objections banales.

Trotsky y répondait déjà d'une certaine manière au cours des années 1934-1936. Les “ planistes ”existaient déjà alors et leur inspiration était la même que celle des “ autogestionnaires ” de la CFDT et d'ailleurs d'aujourd'hui. Ce sont eux, par exemple, qui ont inspiré le “ 'plan ” de la CGT de 1934. Pierre Broué, qui a présenté et choisi les textes de Léon Trotsky publiés dans le recueil Le mouvement communiste en France, lequel contient le texte du “ plan de la CGT à la conquête du pouvoir ” , indique en note :

“ C'est en 1933 que le socialiste belge Henri de Man avait fait adopter les thèses sur la planification au congrès du Parti ouvrier belge. Les idées planistes furent répandues en France par le groupe "Révolution constructive " dont Georges Lefranc était un des animateurs. Le bureau d'étude, créé sur la proposition de Jouhaux du CCN de la CGT en mai 1934, élabora un "plan de travail" qui fut adopté en octobre 1934 par le CCN. ”

Je renvoie les camarades à la lecture de ce texte qui, à mon sens, répond parfaitement à la façon dont il faut argumenter sur ces questions. Je ne citerai que ce déjà long passage :

 

Le but du plan

“ Dans les différents exposés de la CGT nous lisons souvent qu'il s'agit de rénovation de l'économie nationale, parfois opposée à la réorganisation économique et sociale, mais parfois aussi identifiée à celle-ci.

Camarades, il est bien difficile de dire aux ouvriers, aux paysans : "Nous voulons la rénovation de l'économie nationale ", alors que tout le monde se sert maintenant de la même expression : les jeunesses patriotes, les démocrates populaires, "le Front paysan ", parfois même les radicaux, mais surtout M. Flandin, proclament et promettent tous la rénovation et même la réorganisation de l'économie nationale. Il faut que notre plan se distingue de ceux de l'ennemi de classe par la définition précise de son but.

Toutes les rénovations et réorganisations dont je viens de parler veulent rester sur la base capitaliste, c'est-à-dire sauvegarder la propriété privée des moyens de production. Et le plan de la CGT ? S'agit-il de rénover l'économie capitaliste ou de la remplacer par une autre ? J'avoue ne pas avoir trouvé une réponse exacte à cette question. Parfois nous lisons dans les mêmes exposés qu'il s'agit non pas d'une transformation du régime actuel, mais seulement de mesures d'urgence pour pallier la crise.

Cependant, nous trouvons aussi cette affirmation que les mesures d'urgence doivent ouvrir la voie à des transformations profondes. Peut-être que tout cela est juste, mais on ne trouve jamais la définition exacte du régime auquel on veut abolir. De quel ordre doivent être les transformations dites profondes? S'agit-il seulement - je ne parle qu'hypothétiquement - de transformer une partie du capitalisme privé en capitalisme d'Etat ? Ou bien voulons-nous remplacer le capitalisme tout entier par un autre régime social ? Lequel ? Quel est notre but final ? C'est étonnant, camarades, mais tous les exposés et même les "notes à l'usage des propagandistes " n'en disent absolument rien. Voulons-nous remplacer le capitalisme par le socialisme, par le communisme ou par l'anarchie proudhonienne ? Ou bien voulons-nous tout simplement rajeunir le capitalisme en le réformant et en le modernisant ? Quand je veux me déplacer pour une ou deux stations seulement, je dois savoir où va le train. Même pour des mesures d'urgence, nous avons besoin d'une orientation générale. Quel est l'idéal social de la CGT ? Est-ce le socialisme ? Oui où non ? Il faut qu'on nous le dise, sinon, comme propagandistes, nous restons tout à fait désarmés devant la masse. ”

 

Il faut s'attendre à la réplique : “ Il nous faut intervenir dans la lutte des classes, ou c'est là de l'idéologie, de la propagande. ” A quoi il importe de répondre : “ D'abord, il ne faut pas, confondre idéologie et propagande. La propagande est tout aussi indispensable que l'agitation pour intervenir dans la lutte des classes et construire le parti de la IVe Internationale. ” De plus, ce n'était pas l'avis de Trotsky qu'il s'agissait seulement de propagande. De ce point de vue, la deuxième partie de sa petite brochure “ Encore une fois, où va la France ? ” est remarquable et tant pis si cela allonge cette contribution, il faut la citer (pages 52-53 de Où va la France) :

“ Le document le plus autorisé sur la question des "revendications immédiates " est la résolution programmatique du comité central du Parti communiste (voir L'Humanité du 24 février). Nous nous arrêterons à ce document.

L'énoncé des revendications. immédiates est fait très généralement : défense des salaires, amélioration des assurances sociales, conventions collectives, "contre la vie chère ", etc. On ne dit pas un mot sur le caractère que peut et doit prendre dans les conditions de la crise sociale actuelle la lutte pour ces revendications. Pourtant, tout ouvrier comprend qu'avec deux millions de chômeurs complets et partiels, la lutte syndicale ordinaire pour des conventions collectives est une utopie. .

Pour contraindre dans les conditions actuelles les capitalistes à faire des concessions sérieuses, il faut briser leur volonté ; on ne peut y parvenir que par une offensive révolutionnaire. Mais une offensive révolutionnaire qui oppose une classe à une classe ne peut se développer uniquement sous des mots d'ordre économiques partiels. On tombe dans un cercle vicieux. C'est là qu'est la principale cause de la stagnation du front unique.

La thèse marxiste générale - les réformes sociales ne sont que les sous-produits de la lutte révolutionnaire - prend à l'époque du déclin capitaliste l'importance la plus immédiate et la plus brûlante. Les capitalistes ne peuvent céder aux ouvriers quelque chose que s'ils sont menacés du danger de perdre tout.

Mais même les plus grandes "concessions " dont est capable le capitalisme contemporain, lui-même acculé dans l'impasse, resteront absolument insignifiantes en comparaison avec la misère des masses et la profondeur de la crise sociale. Voilà pourquoi la plus immédiate de toutes les revendications doit être de revendiquer l'expropriation des capitalistes et la nationalisation (socialisation) des moyens de production... Cette revendication est irréalisable sous la domination de la bourgeoisie ? Evidemment.

C'est pourquoi il faut conquérir le pouvoir. ”

 

Plus loin :

“ Dans la période présente - remarque inopinément la résolution - la lutte économique nécessite de la part des ouvriers de lourds sacrifices. Il faudrait encore ajouter : et ce n'est que par exception qu'elle promet des résultats positifs. Et pourtant, la lutte pour les revendications immédiates a pour tâche d'améliorer la situation des ouvriers. En mettant cette lutte au premier plan, en renonçant pour elle aux mots d'ordre révolutionnaires, les staliniens considèrent, sans doute, que c'est précisément la lutte économique partielle qui est le plus capable de soulever de larges masses. Il s'avère justement le contraire : les masses ne font presque aucun écho aux appels pour des grèves économiques.

Comment peut-on donc en politique ne pas tenir compte des faits ?

Les masses comprennent ou sentent que dans les conditions de la crise et du chômage, des conflits économiques partiels exigent des sacrifices inouïs, que ne justifieront en aucun cas les résultats obtenus. Les masses attendent et réclament d'autres méthodes, plus efficaces. Messieurs les stratèges, apprenez chez les masses : elles sont guidées par un sûr instinct révolutionnaire. ”

 

Et encore :

“ La formule politique marxiste en fait doit être celle-ci en expliquant chaque jour aux masses que le capitalisme pourrissant ne laisse pas de place non seulement à l'amélioration de leur situation mais même pour le maintien du niveau de misère habituelle, en posant ouvertement devant les masses la tâche de la révolution socialiste, comme la tâche immédiate de nos jours, en mobilisant les ouvriers pour la prise dû pouvoir, en défendant les organisations ouvrières au moyen de la milice. Les communistes (ou les socialistes) ne perdent pas, en même temps, une seule occasion pour arracher chemin faisant à l'ennemi telle ou telle concession partielle ou au moins pour l'empêcher d'abaisser encore le niveau de vie des ouvriers. ”

Mais tout cela se passait il y a un demi-siècle. La situation actuellement est profondément différente, dira-t-on peut-être.

 

Le mouvement des masses et la solution à la crise .

Assurément, la situation actuelle présente de profondes différences. A l'échelle mondiale, le prolétariat n'a depuis 1943, subi aucune défaite décisive. Plus encore, sa puissance sociale et politique s'est considérablement accrue. Le capital a été exproprié à une échelle gigantesque.

 

Dans les pays impérialistes dominants, le prolétariat a arraché d'immenses conquêtes sociales et politiques. Les empires coloniaux ont été disloqués. La révolution prolétarienne est à l'ordre du jour de l'Amérique latine à l'Europe de l'Ouest, la révolution politique couve en Pologne. Elle jaillit de temps à autre ainsi que jaillit la lave brûlante d'un volcan. annonçant l'éruption. Elle est à l'ordre du jour en Europe de l'Est et en URSS. La crise de l'impérialisme a atteint un niveau où la dislocation de l'économie capitaliste, reconstruite après la guerre mais grâce au volant d'entraînement de l'économie d'armement et du parasitisme multiforme, est à l'ordre du jour.

L'impérialisme US a concentré chez lui toutes les contradictions poussées à l'extrême du capitalisme à son stade impérialiste. La crise économique, sociale et politique du système capitaliste se conjugue étroitement à celle qui étreint les bureaucraties parasitaires dont au premier chef celle du Kremlin. En 1934-1935, l'appareil international de la bureaucratie du Kremlin triomphait. Il encamisolait le mouvement ouvrier, il paralysait la classe ouvrière, il confortait d'une certaine manière les appareils réformistes et il provoquait les plus terribles défaites que le prolétariat ait jamais subies au cours de son histoire. Aujourd'hui, il est en crise.

 

En ce qui concerne la France, la situation du capitalisme est encore plus catastrophique qu'elle ne l'était au cours des années 1930. Il est un des chaînons les plus faibles parmi la chaîne des puissances impérialistes alors que sa dépendance par rapport au marché mondial et à la division internationale du travail s'est multipliée. La tentative d'établir un régime bonapartiste fort est un échec historique même si le bonapartisme se survit sous une forme bâtarde. La victoire politique remportée par la classe ouvrière et la population laborieuse en chassant, même si c'est au moyen du bulletin de vote, Giscard, en élisant Mitterrand à la présidence de la République et une écrasante majorité de députés du PS et du PCF à l'Assemblée nationale, a établi une situation pré-révolutionnaire.

Elle ouvre la voie à de grandes luttes de classes, à une situation révolutionnaire, à la révolution prolétarienne. La crise de l'Etat, la crise qui se développe au sein du PS et du PCF se conjuguent. Le PS et le PCF, partis ouvriers (et dans le cas du PS, parti ouvrier parlementaire) doivent couvrir le fonctionnement de l'Etat bonapartiste que Mitterrand et son gouvernement assument, alors que ce gouvernement doit mener l'offensive la plus réactionnaire qui ait été engagée depuis la fin de la guerre contre la classe ouvrière, la jeunesse et la population laborieuse (et aussi contre la petite bourgeoisie). Et cela les distord. Ces données et d'autres contribuent à ouvrir des brèches dans le dispositif anti-ouvrier.

Les coups que subissent les masses populaires, la classe ouvrière, les poussent à transférer la victoire politique de mai-juin 1981 sur le terrain de la lutte des classes ouverte, en utilisant leurs propres moyens et méthodes de classe.

Pourtant, voilà maintenant plus de deux ans et demi que cette victoire a été remportée. Les conditions d'existence des masses s'aggravent,. les réformes réactionnaires s'accumulent et se développent. Les acquis sont remis en question. Le chômage est devenu un chômage de masse. Il ne peut que s'aggraver.

Et il n'y a pas eu, jusqu'alors, d'engagement massif de la classe ouvrière sur son terrain et en utilisant ses méthodes de classe. A plusieurs reprises, nous avons estimé que la voie s'ouvrait à de puissants mouvements mobilisant d'importants secteurs de la classe ouvrière en avant-garde d'un mouvement général.

Dès le 17 octobre 1981, nous titrions le n° 1022 d'lnformations ouvrières : “ Renault : premiers affrontements de classes depuis le 10 mai ” . Dans le n° 1038 du 30 janvier l982, nous écrivions : “ Grèves en série pour protéger les acquis ” . Le numéro suivant était titré : “ Ce que signifient les grèves en cours ” . Et, nous expliquions :

“ Si la politique du gouvernement se poursuit, elle construira elle-même un lien étroit entre les grèves à forme "revendicative " et le débouché politique qu'elles se cherchent et qu'elles trouveront dans un mouvement massif d'ampleur nationale. ”

Un des sous-titres de l'appel du XXVIIe Congrès du PCI, daté du 30 décembre 1982, publié dans Informations ouvrières n° 1087, était : “ 1983 : une année de combats décisifs. ” Le numéro 1091 du 28 janvier 1983 publiait un éditorial intitulé : “ A propos des grèves en cours ” , où il était écrit :

“ C'est une évidence : les motifs des grèves en cours concernent la totalité des ouvriers de l'automobile. Et au-delà. Et si ce n'est pas l'actuel mouvement gréviste qui constitue le commencement de l'explosion redoutée par Le Figaro, ce sera le suivant. ”

 

A la veille des élections municipales, les mineurs de Carmaux contraignaient les dirigeants de leurs organisations syndicales à l'unité. Ils engageaient la grève contre la compression des effectifs et remportaient une victoire totale. Informations ouvrières n°1097, du 15 mars 1983, écrivait :

“ Une question se pose aux dirigeants et aux groupes parlementaires PS et PCF : la poursuite de la politique d'entente avec les capitalistes suivie jusqu'à présent conduit non seulement à l'échec électoral, mais accumule les motifs d'inquiétude et de mécontentement parmi les travailleurs comme autant de matières inflammables qui vont se concentrer. Il suffirait alors de la moindre étincelle - telle une grève comme celle des mineurs de Carmaux - pour allumer l’incendie.”

La grève des étudiants en médecine et le mouvement des étudiants d'autres disciplines obligeaient le gouvernement à. reculer, notamment en ce qui concerne les dispositions que prévoyait le projet de loi Savary sur l'enseignement supérieur, dispositions qui organisent la sélection à l'entrée du 2e cycle. Sous la direction des militants du PCI, l'UNEF-ID jouait un rôle majeur dans ce combat. A l'annonce que leurs tarifs préférentiels de consommation d'électricité -pouvaient être remis en cause, les agents de l'EDF-GDF imposaient aux directions syndicales qu'elles donnent au moins parallèlement un ordre de grève de quelques heures le 31 mai. La grève était suivie à 85 %. Le ministre annonçait alors qu'il n'était pas question de remettre en cause ces avantages acquis.

Le 17 juin, le syndicat autonome traction de la RATP approuvait la classification par niveau mais, s'opposant à la revendication des syndicats CGT, FO, CFDT des autres catégories d'exécution qui réclamaient pour ces catégories la parité avec les conducteurs, appelait pour maintenir les différences salariales entre l'ensemble des catégories d'exécution et les conducteurs de métro, à une grève de 24 heures. Elle était suivie par 80 à 90 % dès conducteurs. A la suite des mouvements et des grèves du printemps 1983, nous avons estimé que se réunissaient les conditions de puissantes luttes de classe à la rentrée de septembre-octobre, se dressant contre les mesures prises par le patronat et le gouvernement et que ces mouvements “ convergeraient vers la grève générale ” .

 

Le numéro 1109 d'Informations ouvrières, en date du 3 juin, titrait : “ Contre la rentrée catastrophique de Savary, pour que dans l'unité des travailleurs et des organisations soit organisée la grève générale de l'enseignement. Partout, désigner des délégués à la conférence du 11 septembre.

Ensuite, c'était l'appel de Neuves-Maisons qui affirmait :

“ Le moment est trop grave. M. Levy ne laisse plus qu'une seule issue à la population ouvrière de Neuves-Maisons : le combat pour que les travailleurs et les organisations décident la grève générale. ”

Une assemblée d'employés de la Sécurité sociale, réunie à l'initiative du PCI, se tenait le 24 août. Elle s'adressait à tout le personnel :

“ Nous employés de Sécurité sociale réunis à l'initiative du PCI, nous proposons que se discute dans tous les centres, tous les services : la grève. M. Beregovoy doit reculer. A lors, pour cela, grève ! Dans l'unité du personnel et des organisations, grève pour imposer l'abrogation de l'avenant. ”

Le numéro 2 du Courrier des travailleurs des PTT, édité par la commission ouvrière du PCI, du 10 septembre exigeait :

“ Avant le 1er octobre ! Retrait du plan Mexandeau-Daucet. Pour cela : tous les moyens doivent être utilisés dans l'unité des travailleurs et des organisations pour faire reculer Mexandeau-Daucet. Tous les moyens y compris la grève, 18 septembre : conférence nationale des PTT.”

Et l'éditorial insistait :

C'est maintenant, c'est tout de suite que tous les moyens doivent être utilisés dans l'unité des travailleurs et des organisations, tous les moyens y compris la grève. Pour les postiers des bureaux-gares et des centres de tri, une nécessité s'impose : annulation du plan du 1er octobre ; alors, pour cela : grève !

 

Jusqu'ici, ni dans l'enseignement, ni dans les PTT, ni à la Sécurité sociale, ni dans la sidérurgie, ni en d'autres corporations, il n'y a eu de mouvements débouchant sur la grève générale. Pourtant, sous des formes multiples et diverses, des attaques extrêmement dures ont été engagées contre les travailleurs de ces corporations. La volonté des travailleurs des PTT des bureaux-gares d'engager le combat pour riposter aux attaques du gouvernement contre leurs conditions de travail et leurs salaires s'est manifestée avec force. Il faut néanmoins constater que cela n'a pas été le raz de marée qui en certaines occasions submerge tous les obstacles. La volonté de résister aux menaces de licenciements qui est celle des sidérurgistes et des mineurs a contraint les dirigeants syndicaux à appeler en commun à une manifestation des sidérurgistes à Longwy le 23 septembre et à une grève de 24 heures des mineurs de Lorraine le 10 novembre. Le mouvement le plus explosif jusqu'alors a été celui des travailleurs de chez Talbot contre les licenciements. Engagé sous l'impulsion des travailleurs, ce mouvement a posé clairement la question de la direction de la grève, celle de la grève générale des travailleurs de l'automobile contre les licenciements.

 

Mais, après deux ans et demi de gouvernement de front populaire, alors que les travailleurs sont les victimes des plus brutales agressions contre leur pouvoir d'achat, leurs conditions d'existence et de travail, leurs acquis sociaux, alors qu'il y a plus de deux millions de chômeurs, il n'y a pas encore eu de déferlement. Et même par rapport à ces agressions, les mouvements sont relativement peu nombreux. Ce n'est pas sérieux de mettre sur le compte de la “ capitulation ” des dirigeants et de militants du PCI le fait qu'il n'y ait pas eu, par exemple dans l'enseignement, les PTT, la Sécurité sociale, éventuellement en d'autres corporations, de puissants mouvements s'orientant vers la grève générale.

Les erreurs que nous pouvons commettre nous empêchent d'aider la classe ouvrière à dégager les obstacles qui se dressent sur sa voie alors que cela est possible. Dans quelle mesure des initiatives prises dans l'Est de la France ont-elles aidé à la réalisation de la manifestation de Longwy et à la grève de 24 heures des mineurs de charbon de Lorraine ? Il n'y a pas d'instrument qui permet de le mesurer. Mais il est certain qu'elles y ont contribué. Par contre, notre carence chez Talbot a joué à l'inverse. Mais le fond de l'affaire est que nos analyses et nos réponses politiques sont insuffisantes pour rendre compte de ce qui se passe dans la classe ouvrière et y intervenir avec le maximum d'efficacité.

 

Ici, il est nécessaire de renouer avec ce que Léon Trotsky expliquait en 1934-1935. Précisons bien : la classe ouvrière, la jeunesse, les masses laborieuses n'ont subi aucune défaite ; les résultats électoraux ne traduisent pas un affaiblissement politique du prolétariat mais recouvrent au contraire un processus de maturation politique. Alors que l'Etat est en crise, que le gouvernement est en crise, que les partis au pouvoir sont en crise, il est inéluctable que la victoire politique de mai-juin 1981 amène à un jaillissement du prolétariat sur le terrain de la lutte de classe directe et ouverte et selon ses moyens et méthodes, Mais la classe ouvrière, surtout dans ses couches profondes, prend de plus en plus conscience que la crise du régime capitaliste met en cause toute la vie sociale et économique du pays, qu'il ne s'agit plus seulement de la lutte quotidienne que se livrent le capital et lé travail. Plus encore, elle ressent plus ou moins clairement que l'on ne peut se permettre une agitation qui n'arriverait pas à déboucher sur les véritables problèmes à résoudre et par là même ne ferait qu'aggraver la situation. Instinctivement, de façon semi-consciente ou consciente, elle perçoit ce que Trotsky expliquait dès 1934-1935 (bien qu'elle ne sache pas que Trotsky a écrit cela et qui il est) :

“ La plus immédiate de toutes les revendications doit être de revendiquer l'expropriation des capitalistes et la nationalisation (socialisation) des moyens de production. ”

On objectera sans doute : “ Le champ des nationalisations est déjà considérable et les travailleurs des entreprises nationalisées du dépendantes de l'Etat n'en subissent pas moins les attaques que subissent l'ensemble des travailleurs. Quant à la classe ouvrière dans son ensemble, elle constate que ces nationalisations ne résolvent aucunement la crise. ” C'est vrai. Mais la classe ouvrière sait que ces “nationalisations ” , loin de mettre en cause le régime capitaliste, loin d'être des “ socialisations ” , ont été faites pour le défendre et fonctionnent selon les normes du capital, qu'elles ne peuvent pas, par conséquent, résoudre la crise.

Est-ce à dire que la classe ouvrière, la jeunesse, les masses laborieuses ne veulent pas défendre leur niveau de vie, leurs conquêtes, leurs acquis, qu'elles acceptent de faire des chômeurs ? Certainement pas. Elles veulent défendre leurs acquis. Elles ne veulent pas faire des chômeurs. Les travailleurs sont prêts à s’exprimer massivement pour la défense du pouvoir d’achat, pour que l’avenant mettant en cause le régime particulier de retraite de la Sécurité Sociale soit rapporté, pour que le plan Giscard-Beulac-Haby- Mitterand-Mauroy-Savary cesse d’être appliqué dans l’enseignement, pour exiger de l’Assemblée nationale qu’elle vote une loi interdisant les licenciements, etc. Il faut mettre en avant ces objectifs. Le PCI doit combattre pour ces revendications en associant le plus largement possible pour impulser cette bataille. Pourtant, si nous prenons par exemple la loi interdisant les licenciements, les plus larges masses savent que ce peut être qu’une mesure d’urgence. Elle n’empêchera pas la crise et même la précipitera.

 

Elles se rendent compte de la concurrence internationale, du rétrécissement du marché. Elles se rendent compte qu’une charge semblable précipiterait de multiples entreprises capitalistes à la faillite. Les masses savent que ce qu’elles arrachent d’un coté sera rapidement remis en cause par le mouvement mécanique de la crise économique si leur action ne débouche pas rapidement sur des objectifs plus fondamentaux.

Bien entendu, ce n'est pas un absolu. Mais nous devons analyser soigneusement ce qui s'est passé à Talbot. La grève n'étant pas dirigée par un comité de grève assurant son unité, ouvrant à court terme la perspective de la grève générale de l'automobile mais étant systématiquement disloquée par les dirigeants syndicaux, la crainte de n'aboutir qu'à la fermeture pure et simple de chez Talbot a pesé lourd dans la possibilité de manoeuvre de la direction et a contribué à permettre l'affrontement. La nécessité d'une solution globale à la question du chômage, à la question de la crise, que n'assure pas la mesure d'urgence d'une loi interdisant les licenciements (bien au contraire), est indispensable pour éviter la division, voire l'affrontement, entre ceux qui sont licenciés et ceux qui espèrent pouvoir conserver, ne serait-ce que provisoirement, leur travail. Personne ne joue le pire.

Comme parti, le PCI doit s'exprimer clairement et dire : “ Nous combattons pour le maintien du pouvoir d'achat, pour une loi interdisant les licenciements, pour le maintien de tous les acquis parce qu'il existe une politique qui peut résoudre la crise, celle qui prendrait toutes les mesures nécessaires pour établir et réaliser un plan de production répondant aux besoins des larges masses populaires, élaboré et réalisé

sous le contrôle ouvrier, rompant avec la loi du profit et l'économie capitaliste. ” Ce doit être l'objet d'une agitation constante. Ainsi le PCI répondra aux aspirations et besoins des plus larges masses et unira chômeurs et non chômeurs. Nous avons, par exemple, manqué l'occasion d'une agitation extraordinaire au moment de la nationalisation des banques et de la plus grande partie du crédit, en ne mettant pas en avant le mot d'ordre d'un congrès des employés de banques et des établissements de crédit pour établir publiquement les comptes de la nation.

 

Il est si vrai que l'on ne peut se contenter du mot d'ordre d'une loi interdisant les licenciements, que le texte des 121 à Nantes condamne “ la politique de déflation conduisant à multiplier le nombre de chômeurs ” . Qu'est-ce que cela signifie, sinon que l'on ne peut défendre valablement les revendications sans mettre en cause la politique économique du gouvernement et se préoccuper d'une solution à la crise ? Mais la réponse donnée dans ce texte est fausse. Elle se situe entièrement dans le dilemme insoluble que posent les économistes bourgeois : déflation ou inflation. Polémiquant avec Verecken à propos de la position à prendre vis-à-vis du plan De Man, Trotsky écrivait :

“ Dans cette période de crise sociale, de secousses économiques, l'inflation et la déflation sont deux instruments qui se complétant pour faire retomber sur le peuple le prix du déclin du capitalisme, Les partis bourgeois organisent de formidables discussions sur cette question : vaut-il mieux égorger les travailleurs avec la scie de l'inflation ou le simple couteau de la déflation ? Notre lutte à nous est dirigée avec la même vigueur contre la scie et le couteau. ” (Oeuvres, tome 5, pages 123 et 124)

 

Voilà ce qui arrive lorsqu'on se refuse à poser les problèmes fondamentaux et à y répondre sur le terrain qui est celui du prolétariat et du PCI.

La question du gouvernement se pose

Il existe d'autres raisons au fait que jusqu'alors la classe ouvrière, la jeunesse, les masses populaires n'ont pas engagé encore de vastes combats de classe, malgré les agressions de plus en plus brutales dont elles sont les victimes. Ces raisons sont peut-être plus importantes encore que celles qui viennent d'être évoquées. La population laborieuse a élu François Mitterrand à la présidence de la République, elle a élu

à l'Assemblée nationale une majorité de députés membres du PS et du PCF pour en finir avec la politique de Giscard, des partis bourgeois UDF et RPR, la politique du capital, et que soient satisfaites les revendications et que soit résolue la crise. Or, le gouvernement qu'elle a contribué à porter au pouvoir, couvert par la majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale, non seulement poursuit mais aggrave la politique de Giscard, de l'UDF, du RPR. Il est entièrement au service de la bourgeoisie. Il tente de réaliser les réformes réactionnaires que celle-ci exige. Il tente de faire supporter aux masses toutes les charges et les conséquences dramatiques de la crise. La classe ouvrière, la jeunesse, les masses populaires se rendent compte que c'est ce gouvernement qu'elles ont contribué à mettre en place qui, couvert par la majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale qu'elles ont élue, mène l'assaut au compte du capital contre leur pouvoir d'achat, leurs acquis, pour leur imposer le chômage et la misère.

 

Pendant des mois, nous n'avons pas été nets sur le fait que Fabius était responsable des licenciements dans les entreprises nationalisées, que Mexandeau était responsable du plan Daucet dans les PTT, nous avons laissé croire que Bérégovoy était en contradiction avec Van der Meulen quant à l'application de l'avenant sur les retraites à la Sécurité sociale. Nous avons même été jusqu'à écrire “ qu'un premier pas dans la voie de la rupture avec la bourgeoisie venait de se matérialiser à la Sécurité sociale par l'existence de deux lettres contradictoires du ministre Bérégovoy et du président CNPF Van der Meulen, cosignataire avec la CFDT de l'avenant scélérat ” , alors que Bérégovoy écrivait dans sa lettre :

“ Je ne méconnais pas la complexité inhérente à tout système de retraite, mais il me semble indispensable que la recherche d'une parfaite équité éclaire le choix de gestion dans le respect des équilibres financiers. ”

Tout le monde comprend que “ l'équilibre financier ” dans un régime en déséquilibre considérable exige la remise en cause des avantages de ce régime. La lettre de Bérégovoy est datée du 16 septembre, un mois avant les élections à la Sécurité sociale. En réalité, il s'agissait manifestement d'une manoeuvre pour gagner du temps et permettre que les élections à la Sécurité sociale se déroulent dans le calme, surtout pas de grève à la Sécurité sociale à ce moment.

 

D'autres fois, nous disions bien que c'était le ministre, assurant telle ou telle fonction, qui portait la responsabilité des attaques contre la classe ouvrière ou de l'application de telle ou telle réforme réactionnaire. Nous avons par exemple concentré nos feux sur Savary, ministre de l'Education nationale. La bataille contre le plan Savary-Prost-Legrand, contre les conditions de la rentrée, était non seulement justifiée, mais indispensable, comme celle contre le projet Savary du 18 octobre et la mise en place de “ projets éducatifs ” . Il faut ajouter que le combat contre la loi Savary concernant l'enseignement supérieur dans sa totalité, et non seulement dans telles ou telles de ses dispositions spécifiques (bien que la lutte contre elles, en tant que telles, soit nécessaire), ne l'est pas moins. Les réformes Savary constituent un ensemble : du primaire au secondaire au supérieur en passant par le technique. La loi sur l'enseignement supérieur, y compris amendée, aggrave la réforme engagée par la loi Faure en 1968. Il aurait fallu qu'au moins le PCI la rejette globalement et mène une campagne contre elle.

Mais est-il juste de publier des dizaines de milliers de tracts qui appellent à la manifestation du 14 septembre sur lesquels on lit en gras : “ Il faut chasser Savary, homme de droite du gouvernement ! ” ? Savary, homme de droite ? Fabius, Bérégovoy, Delors, Hernu (ministre de l'expédition militaire au Tchad, de la “ force d'interposition ” et des bombardements au Liban) et tous les ministres qui pratiquent dans leur secteur ministériel une politique aussi réactionnaire que celle que Savary applique dans l'enseignement (politique qui correspond d'ailleurs pour le département ministériel dont ils ont la charge à celle que pratique Savary au ministère qu'il dirige) sont-ils des hommes de droite ? Et Pierre Mauroy, qui vient de prendre ouvertement en charge les licenciements chez . Talbot et prépare non moins ouvertement une vague de licenciements dans la sidérurgie, les charbonnages, les chantiers navals, etc., est-il un homme de droite ? Et Mitterrand, qui oriente et orchestre toute cette politique, est-il un “ homme de droite ” ? ,

 

Si on prend cette affirmation au sérieux, l'ensemble du gouvernement est composé “ d'hommes de droite” . On aboutit au gauchisme à l'état pur “ tous des hommes de droite ” . Et bien sûr, puisqu'il faut chasser Savary, homme de droite du gouvernement, il faut aussi chasser tous les hommes de droite, c'est-à-dire tous les ministres du gouvernement. De fil en aiguille, on en arriverait à la formule, par ailleurs maudite ; “Il faut chasser le gouvernement de droite ” , car il est évident qu'un gouvernement dont l'ensemble des ministres sont de droite est un gouvernement de droite. Nous nageons en plein gauchisme.

Ce n'est évidemment pas à cela que les auteurs de cette formule veulent aboutir. Ils veulent éviter de situer les responsabilités de ce gouvernement dans son ensemble. Alors ils affirment que Savary est un “homme de droite ” , c'est-à-dire un corps étranger dans le gouvernement de la “ gauche ” . En d'autres articles et tracts, on pose la question : “ Que fait Savary au gouvernement? ” . Non, Savary n'est pas un “homme de droite ” . Il est l'incarnation même de la “ gauche ” . Ce qu'il fait au gouvernement ? Tout le monde le sait et répondra : “ la politique du gouvernement ” , “ la politique de Mitterrand-Mauroy-Fiterman-Crépeau ” .

Mais on affirme : il s'agit d'une tactique, En concentrant nos coups sur un ministre et en l'isolant du gouvernement, on attaque ainsi de biais le gouvernement. Nous procédons à la façon dont Lénine a procédé en lançant le mot d'ordre de : “ A bas les dix ministres capitalistes ! ” ou encore à la manière dont Trotsky disait en juillet 1936 : “ Il faut mettre en cause la présence des radicaux dans le gouvernement Blum ” . Non cela n'a rien de commun. Lénine et Trotsky menaient l'agitation pour jeter du gouvernement les ministres des partis bourgeois, représentants directs de la bourgeoisie. Ils menaient campagne pour la rupture des partis ouvriers, et dans le cas des SR en Russie, d'un parti petit-bourgeois, avec la bourgeoisie, pour un gouvernement sans représentants des partis bourgeois. Savary, Delors, Hernu, Fabius, Bérégovoy, et tant d'autres n'appartiennent pas à un parti bourgeois. Veut-on dire qu'ils représentent la bourgeoisie et défendent ses intérêts au sein du gouvernement ? Mitterrand, Mauroy et autres ne représentent pas moins la bourgeoisie et ne défendent pas moins ses intérêts. D'ailleurs, ce gouvernement est un gouvernement bourgeois qui défend tout naturellement les intérêts de la bourgeoisie.

 

Incidemment, il n'est pas sans intérêt de rappeler comment Lénine traitait le gouvernement de coalition comme tel. Il n'y a qu'à se reporter à ses oeuvres. A ce petit article, par exemple :

“ Devinette : Qu'est-ce qui distingue un gouvernement bourgeois ordinaire d'un gouvernement bourgeois pas ordinaire, révolutionnaire, qui ne se considère pas comme bourgeois. C'est, dit-on, que : un gouvernement bourgeois ordinaire ne peut interdire des manifestations qu'en tenant compte de la Constitution , un gouvernement pas ordinaire et pseudo-socialiste peut interdire les manifestations sans justification et en se référant à des faits connus de lui seul. ” (La Pravda, II juin 1917, Oeuvres tome 25, page 75).

 

Cette prétendue tactique va de pair avec une démarche qui s'est peu à peu imposée et dont on peut suivre la progression dans IO, dans les tracts et textes du PCI, Cela a commencé par un mot introduit dans un article de temps à autre. A la place de désigner le RPR et l'UDF pour ce qu'ils sont, des organisations politiques de la bourgeoisie, on les a désignés comme “ la droite ” . Peu à peu, cela a pris de l'ampleur, pour prendre sa pleine dimension à partir de la campagne pour les élections municipales menée sur le slogan :

“ Candidats PS-PCF, pour battre la droite, ne laissez pas faire Rocard-Delors-Maire. Prenez position contre le plan d'austérité qu'ils proposent. ” (IO n° 1093, II février).

De fil en aiguille on en est arrivé à une totale ambiguïté, Dans un tract “ supplément à IO n° 1090 ” , sous prétexte de répondre à une lettre de lecteur, on titre (entre guillemets il est vrai) : “ Qui divise la gauche ”? Entretenant la confusion, on écrit :

“ Tout d'abord, notre correspondant nous permettra de récuser l'accusation selon laquelle notre " vocation " serait de "diviser la gauche à chaque scrutin " ” . .

Pour quiconque raisonne sans restrictions mentales ou en casuistes, formulé positivement, cela veut dire :“ nous sommes pour l’union de la gauche ” , au lieu d'opposer clairement à “ l'union de la gauche ” le front unique ouvrier et d'expliquer clairement ce qu'est la politique “ d'union de la gauche ” qui aboutit et ne peut qu'aboutir à une politique d'agression des masses au profit du capital. Notre ambiguïté est totale par rapport à ce gouvernement. La formule qui témoigne le mieux de cette ambiguïté est celle du titre de IO n°1046 daté du 27 mars 1982 : “ Le gouvernement à la croisée des chemins, Quelle direction empruntera-t-il?

 

Pour quiconque comprend le français, cela veut dire que ce gouvernement, le gouvernement de front populaire, le gouvernement de l'union de la gauche, que nous avons à juste titre caractérisé comme un gouvernement bourgeois, peut tout aussi bien défendre les intérêts du capital que les intérêts du prolétariat et des masses populaires. Après cela, que nous soyons aussi équivoques sur la “ droite ” , “ la gauche ” , n'est pas étonnant. Non, “ l'Union de la gauche ” , le gouvernement “ d'Union de la gauche ” ne peuvent suivre un autre chemin que celui de la défense des, intérêts de la bourgeoisie contre les intérêts des masses. Derrière ces formulations, il y a l'illusion que ce gouvernement aurait une double nature qui résulterait de ce que la plupart des ministres sont membres du PS et du PCF. C'est une fausse interprétation de la fameuse phrase du Programme de transition qui indique que :

“ En des circonstances exceptionnelles.., des partis petits-bourgeois, y compris staliniens, peuvent aller plus loin qu'ils ne le veulent sur la voie de la rupture avec la bourgeoisie. ”

 

Derrière la formule “ le gouvernement à la croisée des chemins ” , se dessine une politique de pression sur le gouvernement de l'union de la gauche. Il y a confusion : le gouvernement de front populaire peut être contraint de reculer, comme tout autre gouvernement, sous l'action des masses et nous sommes pour le contraindre à reculer, comme on fait reculer les patrons ; sous l'effet de la violence des contradictions

entre les classes, il peut éclater. Mais ce n'est pas la même chose que d'être “ à la croisée des chemins ” .

En tout cas, de plus en plus, la classe ouvrière, la jeunesse, la population laborieuse se rendent compte que ce gouvernement qu'elles ont contribué à porter au pouvoir se dresse contre elles, qu'il fait la politique du capital en crise. Elles se rendent compte que pour défendre leurs revendications, leurs acquis, se battre contre le chômage, elles doivent l'affronter, ne serait-ce que pour le faire reculer. Les enseignants savent

bien qu'il ne s'agit pas seulement de Savary mais du gouvernement Mitterrand-Mauroy-Fiterman-Crépeau. Les travailleurs des entreprises nationalisées savent bien qu'il ne s'agit pas seulement de Fabius, etc.

 

Surtout après deux ans et demi d'exercice du pouvoir, les masses ressentent que de puissants mouvements de classe, a fortiori la grève générale, poseront la question du gouvernement. Et elles sont décontenancées (pas défaites mais décontenancées). Elles se heurtent au mur des illusions qu'elles ont plus ou moins nourries.

 

Cela ne veut pas dire que les grandes luttes de classe ne partiront pas dés revendications, que la grève générale éventuelle, ne partira pas de revendications. Cela ne veut pas dire que le mot d'ordre de grandes luttes de classe, celui d'une grève générale éventuelle sera “ A bas le gouvernement ” . Cela veut dire que de tels mouvements se heurteront de plein fouet à ce gouvernement et que la question du gouvernement se pose. A des degrés divers, avec de multiples variantes, les masses le ressentent. C'est une raison majeure, sinon la raison majeure pour laquelle il n'y a pas encore eu de grands mouvements de classe et que le déferlement des masses n'a pas eu lieu: Comment s'engager dans le combat ? Pour aboutir à quoi ? Ce sont des questions que se posent les plus larges masses. Et nous devons dialoguer avec elles, les

aider à y répondre. D'abord, et avant tout, en n'entretenant aucune illusion sur le gouvernement de “l'Union de la gauche ”

 

Souveraineté de l'Assemblée nationale, un gouvernement émanant d'elle, responsable devant elle

Nous ne pouvons “ dénoncer le gouvernement, ce serait heurter de front les illusions des masses ” , dit-on. Et l'on se réfère à Trotsky, on cite notamment :

“ Nous devons bien comprendre nous-mêmes que la prochaine grève sera, selon toute vraisemblance dirigée, non contre le gouvernement Blum, mais contre les ennemis de ce gouvernement : les 200 familles, les radicaux, le Sénat, la haute bureaucratie, l'état-major... Nous devons répéter qu'en dépit de notre opposition irréductible au gouvernement Blum, les ouvriers nous trouveront en première ligne pour combattre ses ennemis impérialistes. C'est là une nuance très importante, décisive même pour la période qui vient. C'est dans ce sens qu'il nous faut faire une propagande systématique pour la seconde grève générale, non pour renverser le gouvernement, mais pour briser les obstacles devant lui. ” (“ Préparer la seconde vague 21 juin 1936 ” - tome X des Oeuvres, page 119).

 

Notons tout de suite que Trotsky est clair : “ Nous devons répéter qu'en dépit de notre opposition irréductible ” , écrit-il, c'est-à-dire qu'il faut absolument “ répéter ” que nous sommes “ irréductiblement opposés à ce gouvernement et bien sûr pourquoi nous y sommes irréductiblement opposés ” , Trotsky indique déjà dans un article qui date du 9 juillet intitulé : “ Devant la seconde étape ” :

“ La logique de la situation, telle qu'elle découle de la victoire de juin, ou plus exactement, du caractère semi-fictif de cette victoire, forcera les ouvriers à répondre à l'appel, c'est-à-dire à entrer de nouveau en lutte. C'est par peur de cette perspective que le gouvernement va de plus en plus à droite.”

Et encore :

“ Tout cela signifie que le prolétariat entrera dans la prochaine étape du conflit, non seulement sans la direction de ses organisations traditionnelles, comme en juin 1936, mais aussi contre elles ” (de la page 213 à la page 219, Oeuvres, tome X).

Dans un petit texte : “ Les radicaux, agents de la bourgeoisie au gouvernement ” , 19 juillet, il précise: “ Quand nous disons que le moment n'est pas encore venu de combattre de front le gouvernement Blum, nous ne voulons pas dire qu'il faille le protéger, mais seulement qu'il faut l'attaquer sur les flancs. Son flanc droit étant les radicaux... En tout cas le mot d'ordre ne peut être "A bas le gouvernement Blum " mais "Il faut chasser les bourgeois radicaux du gouvernement Blum ". Voilà la nuance. Elle est extrêmement importante pour cette période, mais elle ne signifie nullement la protection du gouvernement Blum. ”

Pour comprendre l'opinion de Trotsky, il faut rappeler qu'il met en cause ici la position de Révolution qui était l'organe des Jeunesses socialistes révolutionnaires (JSR) qui avaient participé à la fondation du POI et dont les dirigeants étaient membres du POUM (note en bas de page de Pierre Broué). Révolution avait écrit : “ Sous la protection virulente des travailleurs français, le gouvernement de front populaire pourra réaliser son programme.

A quoi Trotsky réplique :

“ Cette affirmation est doublement fausse.

1/ Même sous la "protection ", le gouvernement de front populaire ne pourra réaliser son programme, irréalisable puisqu'il présume la prospérité en régime capitaliste.

2/ Notre tâche n'est nullement de " protection du gouvernement de coalition " entre le prolétariat et la bourgeoisie. ”

 (pages 271 et 272, tome X).

Trotsky est ici aussi très net. Il dit : “ Il faut combattre le gouvernement Blum pas encore de face mais au moins de biais. Il ne faut pas appeler à renverser le gouvernement Blum dans l'immédiat. Mais il faut d'ores et déjà mettre en cause ce gouvernement tel qu'il est aujourd'hui. ” Il explique : “ Il faut chasser les bourgeois radicaux du gouvernement Blum ” . N'est-ce pas dire :.il faut un autre gouvernement ? C'est l'évidence qu'un autre gouvernement, surtout en 1936, dont on aurait été chassés (Trotsky dit chassés) les radicaux, un gouvernement composé des seuls ministres SFIO ou de ministres SFIO et PCF, même s'il était toujours dirigé par Blum, aurait été un autre gouvernement qu'un gouvernement Blum en coalition avec les radicaux. Pour tous, c'était clair. Qu'était-ce donc sinon “ dénoncer ” le gouvernement de front populaire ?

 

Pourtant, c'était en juillet 1936. La classe ouvrière, la jeunesse, les masses populaires baignaient dans l'euphorie et les illusions du front populaire. Elles considéraient ce gouvernement réellement comme leur gouvernement. La grève générale de mai-juin 1936 avait arraché les augmentations de salaires, les 40 heures, les congés payés, les conventions collectives, les délégués des travailleurs dans les entreprises, etc. Le “ savoir terminer une grève lorsque les principales revendications ont été obtenues ” de Thorez avait été très difficilement appliqué. La classe ouvrière voulait aller plus loin, toujours plus loin.

Néanmoins, pour les masses, le gouvernement et la chambre de front populaire avaient légalisé leurs conquêtes. Les plus larges masses avaient confiance dans le front populaire, le PS et le PCF, et les partis recrutaient massivement ainsi que la CGT unifiée.

 

Mai-juin 1981 et les mois suivants ont été très différents de ce que furent les premiers mois du front populaire en 1936. Les masses n'ont pas ressenti pour l'Union de la gauche l'enthousiasme qu'elles ont éprouvé pour le front populaire. Elles ont eu la volonté acharnée de chasser Giscard, le RPR et l'UDF du pouvoir, mais une volonté froide. Elles ont élu Mitterrand à la présidence de la République et une majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale mais il n'y a eu ni déferlement sous la forme d'une grève générale, ni d'importantes revendications arrachées et légalisées par le nouveau gouvernement, par la nouvelle majorité, Il n'y a pas eu une masse d'adhésions au PS, un gonflement considérable de ses effectifs. Pas plus qu'il n'y a eu de ruée vers le PCF, la CGT et les syndicats en général. C'est tout le contraire, pour ce qui concerne le PCF. Ce n'est pas sans signification politique. Depuis deux ans, non seulement ce gouvernement n'a rien apporté aux masses de ce qu'elles en espéraient plus ou moins, mais il a déclenché contre elles une offensive économique et sociale, conformément aux besoins et exigences du capital, sans exemple depuis la fin de la guerre. Etant donné les rapports existants entre les classes, c'est aujourd'hui le meilleur gouvernement dont la bourgeoisie puisse disposer. Si elle fait pression sur lui, elle n'entend pas, pour le moment, le déstabiliser comme elle a déstabilisé le gouvernement de front populaire en 1936 en France et. encore moins organiser un putsch militaire comme en Espagne en juillet 1936 ou au Chili en septembre 1973. Cela, les masses le ressentent pleinement et personne ne s'y trompe.

 

A quoi il faut ajouter une différence ayant son importance par rapport à 1936. En 1936, sauf les fonctionnaires, dès que la classe ouvrière se mettait en mouvement, ses gros bataillons se heurtaient directement au patronat.

Aujourd'hui, les nationalisations dans l'industrie, l'énergie, les transports, les banques, du système de crédit font que la partie, peut-être, déterminante de la classe ouvrière dès qu'elle revendique et se met en mouvement, se heurte à l’Etat patron, c'est-à-dire concrètement au gouvernement.

Mais même dans l'industrie privé, l'exemple de Talbot est éloquent : les travailleurs savent que lorsqu'ils entrent en conflit et qu'il s'agit de questions comme les salaires, les licenciements, ils se heurtent à une politique conjointe et coordonnée entre le gouvernement et le patronat.

Il est d'autant plus intéressant de rappeler l'orientation que préconisait Trotsky en 1937, en pleine guerre civile contre Franco, Je ne peux citer tout ici mais j'invite les camarades à lire attentivement ce qu'il écrivait au moins dans deux textes qui se complètent parfaitement : " Contre le défaitisme en Espagne ” et “ Aide à l'Espagne et soutien à Negrin ” , publiés dans le recueil La révolution espagnole composé par Pierre Broué (de la page 431 à la page 444). Dans le premier, Trotsky établit avec la plus grande précision la position que nous devions avoir dans la guerre civile, La note n° 2 du texte Aide à l'Espagne et soutien à Negrin explique à qui et à quoi répondait Léon Trotsky dans cette lettre adressée à Cannon : “ Max Shachtman avait écrit à Trotsky le 18 septembre : "Vous dites " : "Si nous avions un député aux Cortes, il voterait contre les budgets militaires de Negrin. ". "A moins qu'il ne s'agisse d'une erreur typographique, cela nous paraît faux. Si, comme nous le croyons tous, l'élément de guerre impérialiste ne domine pas dans le moment présent du conflit espagnol, et si, au contraire, l'élément décisif est encore la lutte entre la démocratie bourgeoise pourrissante, avec tout ce qu'elle comporte, d'un côté, et le fascisme de l'autre, et si, en outre, nous sommes obligés de soutenir militairement la lutte contre le fascisme, nous ne voyons pas comment il serait possible de voter aux Cortes contre le budget militaire. " ”

 

Trotsky réplique :

“ Un vote au Parlement en faveur du budget n'est pas une aide "matérielle", mais un acte de solidarité politique. Si nous pouvons voter pour le budget de Negrin, pourquoi ne pouvons-nous pas déléguer notre représentant dans son gouvernement ? Cela aussi pourrait être interprété comme une "aide matérielle"

Les staliniens français ont donné leur confiance au gouvernement de front populaire, mais n'y participent pas officiellement. Nous appelons cette forme de non-participation la pire, la plus pernicieuse des formes de participation. Donner à Blum et à Chautemps tous les moyens dont ils ont besoin pour leur action signifie participer politiquement au gouvernement de coalition.

La question de Shachtman : "Comment pouvons-nous refuser de consacrer un million de pesetas à l'achat des fusils pour le front ? ", nous a été posée des centaines et des milliers de fois à nous, marxistes révolutionnaires, par les réformistes : " Comment pouvez-vous refuser de voter les millions et les millions nécessaires pour les écoles et pour les routes, pour ne pas parler de la défense nationale ? " Nous admettons la nécessité du combat contre Franco. Nous utilisons les chemins de fer "capitalistes " ; nos enfants vont aux écoles "capitalistes " mais nous refusons de voter pour le budget du gouvernement capitaliste.

Pendant notre lutte contre Kornilov, nous n'avons jamais voté au soviet d'une façon qui aurait pu être interprétée comme une solidarité politique avec Kerensky.

Du point de vue de l'agitation, nous n'aurions pas aujourd'hui en Espagne la moindre difficulté à expliquer notre vote négatif : "Nous réclamions deux millions pour des fusils et ils nous en ont donné seulement un million. Nous réclamions la distribution des fusils sous contrôle ouvrier, ils nous l'ont refusée. Comment pourrions-nous donner volontairement notre argent et notre confiance à ce gouvernement? " Tout travailleur comprendrait et approuverait notre action.

Tout ce que fait le gouvernement Negrin, il le fait sous le signe des nécessités de guerre. Si nousacceptons une responsabilité politique pour sa propre administration des nécessités de la guerre, nous voterions politiquement en faveur de toute proposition gouvernementale sérieuse. De la même façon, nous les approuverions dans notre presse, dans nos réunions. Ainsi deviendrions-nous un parti gouvernemental à la POUM. Comment, dans de telles conditions, nous préparer à renverser le gouvernement Negrin ? Tout le sens de ma réponse est là : nous combattons militairement Franco malgré l'existence du gouvernement Negrin, simultanément nous préparons politiquement le renversement du gouvernement Negrin. Si nous sommes d'accord sur ce principe de base, nous ne pouvons être en désaccord sur les conséquences pratiques. ”

 

Cela en pleine guerre civile. Il n'y a pas de guerre civile en France jusqu'alors. Répétons-le, pour le moment, ce gouvernement est le meilleur dans les circonstances données, dont puisse disposer la bourgeoisie. Faut-il oui ou non mettre en cause ce gouvernement comme tel ? Faisons comme Trotsky un cas de figure. Supposons que nous ayons des députés à l'Assemblée nationale, devraient-ils voter contre le budget par exemple, c'est-à-dire contre le gouvernement en disant : “ Comment pourrions-nous donner volontairement notre confiance à ce gouvernement qui organise l'offensive anti-ouvrière, distribue des milliards aux capitalistes, organise les licenciements, le démantèlement des conquêtes ouvrières, de l'instruction publique, dépense des centaines de milliards de crédits militaires, intervient militairement au Tchad et au Liban, etc. ” .

Ne devrions-nous pas expliquer qu'il existe une issue gouvernementale différente ? En l'occurrence : “ Il y a une majorité de députés PS et PCF à l'Assemblée nationale. Déclarons que l'Assemblée nationale est souveraine, que le gouvernement doit émaner d'elle, qu'il doit répondre devant elle pour appliquer une autre politique, celle de là rupture avec la bourgeoisie avec ce qu'elle implique. Décidons en quelque sorte que l'Assemblée nationale se transforme en une sorte de Convention. ” .

 

L'affirmation que je suis pour lancer le mot d'ordre “ A bas le gouvernement ! ” est tout simplement ridicule. Elle n’est faite que pour effrayer les militants du PCI. Simplement, en tenant compte des circonstances, il faut utiliser la méthode que Léon Trotsky utilisait. Il faut affirmer: aucune confiance à ce gouvernement ne peut être faite. Il faut un mot d’ordre saisissable pour les masses qui leur ouvre une voie politique sur la question gouvernementale. La possibilité de ce mot d’ordre existe en raison de la majorité PS-PCF à l’Assemblée nationale: utilisons-la.

 

C’est nécessaire, c'est indispensable comme centre politique d'un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires qui met au premier plan la satisfaction des revendications démocratiques, des revendications en défense du pouvoir d'achat et des conditions d'existence des masses, de défense des acquis, la revendication du droit au travail (loi interdisant les licenciements), qui réponde à la question comment résoudre la crise par l'élaboration et la mise en place du contrôle ouvrier, d'un plan de production répondant aux besoins des masses populaires et brisant avec la loi capitaliste du profit - les nationalisations du crédit, des banques, d'une partie de l'industrie donnent les premières possibilités d'un tel plan.

C'est nécessaire, c'est indispensable pour aider les masses à s'engager dans les grands combats de classe, d'aller vers la grève générale. Nous devons les aider à saisir qu'il existe un débouché politique autre que ce gouvernement, une autre possibilité gouvernementale. Dire qu'un gouvernement émanant de l'Assemblée nationale et répondant devant elle ne serait pas un gouvernement ouvrier et paysan, pour s'opposer à ce mot d'ordre, ne serait pas sérieux, Il s'agit de savoir s'il est un mot d'ordre ouvrant une voie aux masses et aidant à leur mobilisation et nous aidant à organiser une avant-garde politique liée aux masses, intervenant dans la lutte des classes pour préparer les combats à venir. Une chose est certaine : ce mot d'ordre met radicalement en cause le bonapartisme ; il concrétise ce qu'est le front unique ouvrier en opposition au front populaire, à l'Union de la gauche ; il concrétise sur le plan politique gouvernemental ce que signifie faire des pas en avant sur la voie de la rupture avec la bourgeoisie.

Allons plus loin. Les gouvernements de front populaire, d’Union de la gauche concentrent ce que sont les fronts populaires, l'Union de la gauche. Ne pas mettre en cause, avec toute la souplesse nécessaire, les gouvernements de front populaire, d'Union de la gauche, ce n'est pas mettre en cause le front populaire, l'Union de la gauche, mais tendre à les “ gauchir ” , à faire pression sur eux ; les mettre en cause, cela ne signifie pas que l'on ne s'adresse pas à eux pour exiger qu'ils satisfassent les revendications ou reculent sur tel ou tel aspect de leur politique. On le fait bien par rapport aux gouvernements bourgeois classiques et on peut éventuellement les faire reculer.

D'ailleurs, au bureau politique de décembre, un axe avait été défini qui, à mon avis, s'insère parfaitement dans l'orientation que je préconise: exigeons une session d'urgence de l'Assemblée nationale pour qu'elle décide de la politique sociale. N’est-ce pas opposer la majorité PS-PCF au gouvernement actuel et mettre celui-ci en cause ? N'est-ce pas là s’avancer sur l'axe : “ Décidez de la souveraineté totale de l'Assemblée nationale, décidez d'un gouvernement émanant de l'Assemblée nationale et répondant devant elle. ” ?

Comment l'Assemblée nationale pourrait-elle d'ailleurs être pleinement souveraine sans un gouvernement émanant d'elle, répondant devant elle, sans agir comme la Convention.? Mais cela il faut le dire : la politique révolutionnaire n'est pas un jeu de devinettes.

 

Le front unique ouvrier et la mobilisation des masses

Il ne s'agit pas d'attendre que les conditions soient réunies pour que l'Assemblée nationale devienne une convention. Ce qui ne se réalisera peut-être et même sans doute jamais. Il ne s'agit pas non plus d'attendre que les conditions soient réunies pour que soit réalisé un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse, et des masses populaires. La lutte pour les revendications, pour la défense des acquis, ou pour la défense du droit à l'instruction ne peut attendre. Il s'agit au contraire d'aider à la réalisation des grandes luttes du prolétariat qui convergent vers la grève générale. Dans ce sens par exemple, il me semble parfaitement correct de combattre politiquement, comme cela est fait, pour une marche sur Paris des populations des villes de l’Est touchées par les licenciements en faisant intervenir lés élus PS et PCF de la région, en constituant des comités d'initiative pour l'unité des organisations ouvrières dans la lutte contre les licenciements et la préparation de la marche sur Paris.

Il me semble également correct d'engager la bataille telle que cela est fait contre les plans de destruction de l'enseignement public, contre l'application de la loi Giscard-Beullac-Haby qui est devenue le plan Giscard-Beullac-Haby-Mitterrand-Mauroy-Savary : tout le monde sait, ne serait-ce que parce qu'ils l'ont dit, que la politique que Savary applique à l'Education nationale a été définie en commun avec Mitterrand et Mauroy.

Il me semble indispensable d'engager, notamment dans les entreprises dépendantes de l'Etat, parmi les fonctionnaires, une bataille politique pour l'unité des syndicats et du personnel pour exiger : récupération du pouvoir d'achat perdu en 1982-1983, sur cette base, garantie du pouvoir d’achat en 1984. A mon sens, les militants du PCI dans chaque entreprise dépendante de l'Etat, parmi les fonctionnaires dans les PTT, l'EDF-GDF, à la SNCF, à la RATP, etc. devraient engager une campagne particulière.

 

Il me semble qu'au moment actuel la globalisation serait une erreur, quoique Informations ouvrières doive poser la question du

pouvoir d'achat et de la lutte pour la défense dans son ensemble. De même, il est possible et nécessaire d'engager l'action politique pour chaque entreprise touchée par, ou directement menacée par des licenciements, en relation avec notre ligne politique générale et comme application particulière de cette ligne s'articulant à l'ensemble. En l'adaptant aux conditions spécifiques et en tenant compte de nos forces dans chaque entreprise, en tenant compte des positions que nous occupons, ce qui a été réalisé à la Sécurité sociale, la constitution d'un réseau de “ délégués de services ” qui doivent effectivement constituer un réseau politique comme pouvaient en constituer des “ hommes de confiance” pendant la révolution allemande de 1918-1919, doit être entreprise dans les différentes corporations.

 

A partir du mois d'octobre, un mot d'ordre qui trace une orientation a été lancé “ pour le front commun” . J'avoue ne pas très bien comprendre pourquoi dire “ pour le front commun” plutôt que d’utiliser la formule qui nous est traditionnelle “ pour le front unique des organisations ouvrières” et celle devenue traditionnelle en France : “ Pour l'unité des organisations ouvrières. ” Quoi qu'il en soit, il est évident que la réalisation du “ front commun des organisations ouvrières ” , lorsqu'il se réalise sur le terrain des revendications et intérêts de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires, répond aux aspirations des travailleurs et qu'ils aspirent à sa réalisation. C'est ainsi que sous leur pression, il a été réalisé à Carmaux et a permis la victoire.

C'est ainsi que, confrontés aux aspirations des travailleurs et de la population que nous avons contribué à dégager dans l'est de la France, les dirigeants syndicaux ont été contraints d'appeler ensemble à la manifestation de Longwy et à la grève de 24 heures des mineurs de l'Est et, qu'en ce qui concerne les charbonnages, l'ensemble des fédérations syndicales affirment qu'elles sont contre le plan gouvernemental de compression des effectifs.

A priori, le mot d'ordre “ la revendication de l'unité ” est un puissant moyen d'agitation, et la réalisation, même partielle, de l'unité pour les revendications, la défense des acquis, pour la lutte contre les licenciements, contribue à dégager la voie de l'action politique, selon ses moyens et ses méthodes de classe, à la classe ouvrière. Il semble que contraindre les dirigeants à l'unité soit plus immédiatement saisissable pour et par les travailleurs sur le plan des entreprises et des corporations. Pourtant, comme le prouvent les positions prises par certains élus du PS et du PCF, notamment dans l'Est, on peut et on doit donner au combat pour le front unique sur des revendications et objectifs précis le contenu de la lutte politique pour le front unique ouvrier qui implique nécessairement la démarche politique en direction des partis ouvriers, en l'occurrence le PS et le PCF.

 

Il en est ainsi par exemple pour lutter contre les licenciements dans une entreprise, une corporation, une région donnée. D'ailleurs, ce qui donne toute sa dimension à la lutte pour le front unique des organisations ouvrières n'est-ce pas la revendication adressée aux dirigeants, aux députés du PS et du PCF  Vous êtes la majorité à l'Assemblée nationale, décidez qu'elle est souveraine, décidez que le gouvernement émane d'elle et réponde devant elle, décidez d'une autre politique qui rompe avec la bourgeoisie. ” ?

 

On ne peut, cependant, faire abstraction que, en réalisant “ l'union de la gauche ” , les dirigeants du PS et du PCF prétendent avoir réalisé “ l'unité ” et le gouvernement actuel est justement l'expression de ce genre “ d'unité” de ces organisations. Pas plus que l'on ne peut faire abstraction du fait que les dirigeants des syndicats conjuguent “ l'unité” et la division pour faire passer la politique réactionnaire du gouvernement et du capital et, qu'alors même qu'ils font un pas en avant en réponse aux aspirations des travailleurs ou de la population, c'est pour mieux contrôler d'éventuels mouvements et les dévoyer. Pas plus qu'aucun mot d'ordre, celui de “ front commun” n'est une panacée. C'est d'autant plus évident après ce qui vient de se passer chez Talbot et à propos de Talbot. Les dirigeants ont conjugué “ unité” et division.

 

Il pouvait sembler au point de départ qu'il y avait une certaine “ unité” chez Talbot “ contre les licenciements ” . Elle a rapidement débouché sur le pugilat syndical pour faire passer les licenciements. Mais surtout, au vu de tous, l'opération Talbot a été organisée implicitement et explicitement entre le gouvernement Mauroy et Mitterrand en tête, le patronat, les dirigeants du PS et du PCF, les dirigeants des centrales syndicales, la CFDT, la CGT et FO. Bergeron n'a peut-être pas été consulté avant que soient tombés d'accord Mauroydirection PSA, mais il est intervenu démonstrativement pendant la bataille pour affirmer : “ Les licenciements sont nécessaires” ; “ l'accord entre le gouvernement et Talbot doit être respecté ! ” Les uns et les autres ont voulu faire un exemple national : les licenciements sont nécessaires et auront lieu.

La revendication du front unique vise autant que possible à sa réalisation. Mais, étant donnée la nature. Du PS et du PCF, des appareils contre-révolutionnaires staliniens, réformistes de la CGT et de FO, bien que ceux-ci puissent être sujets à de violentes contradictions, se fissurer et même faire quelques avancées positives, c'est toujours momentané et remis en question. La réalisation, même limitée, même provisoire, du front unique aide la classe ouvrière.

 

La revendication du front unique doit être dans tous les cas un levier pour la mobilisation et l'organisation des masses pour leurs propres objectifs. Il n'est pas sûr qu'au cours des derniers mois et des dernières semaines nous l'ayons compris totalement dans ce sens.

C'est ce qui peut expliquer que chez Talbot nous n'ayons pas saisi en temps opportun, dès le début du mouvement, la nécessité de combattre pour la constitution d'un comité de grève dans lequel les représentants directement élus des travailleurs et ceux des organisations syndicales auraient siégé. Il est vrai qu'au moment où les ouvriers ont réalisé la grève, en l'imposant aux dirigeants, nous ne savions pas que nous avions des militants chez Talbot, en tout cas personne n'en a fait mention au BP.

 

La grève chez Talbot, la question du comité de grève, ont valeur d'enseignement général. Ce n'est pas seulement la lutte pour le front unique contre les organisations ouvrières, sur la ligne de la rupture avec la bourgeoisie, que nous avons à mener, mais comme développement normal de cette bataille, celle pour l'auto-organisation des masses dont la formation d'éventuels comités de grève est une forme, mais dont la forme, à un certain niveau de développement de la lutte, sont les comités d'usines, les soviets. En réalité, il s'agit de surmonter l'obstacle de la division conjuguée à la collaboration de classe ouverte ou masquée “ dans l'unité ” qui, joint aux autres dont il a été fait état plus haut, se dresse sur la voie de la classe ouvrière et qui barre la route à de grands mouvements de classe, à la grève générale.

Depuis mai-juin 1968, la classe ouvrière, la jeunesse, les masses populaires ont beaucoup appris. Elles ressentent qu'il ne suffit pas de se lancer par un déferlement spontané en de grands mouvements de classe et même d'aboutir à la grève générale. Elles savent que, contre de tels mouvements et à chaque moment de, ces mouvements lorsqu'elles parviennent à les réaliser, elles ont devant elles les appareils des organisations qui sont néanmoins des organisations syndicales et partis qui proviennent d'elles et dont elles ont besoin. Elles ressentent qu'il faut l'unité, il faut quelque chose de plus que l'unité des organisations ouvrières : des formes d'organisation souples et directes capables d'englober les organisations traditionnelles mais les dépassant. : les comités de grève de chez Talbot auront au moins eu le mérite de le souligner aux yeux des plus larges masses et d'abord de nous le rappeler.

 

La grève de chez Talbot nous renvoie à nouveau à Trotsky. Elle nous invite, en particulier, à relire “ Comités d'action et front populaire” . La lutte pour le front unique ne doit pas être conçue comme une supplique aux dirigeants à s'unir mais comme une bataille d'agitation pour la mobilisation, l'organisation, l'action des masses et l'organisation d'une avant-garde. Cela vaut pour le mot d'ordre, la revendication adressée aux dirigeants, aux députés du PS et du PCF à l'Assemblée nationale : “ Décidez que l'Assemblée nationale est souveraine, que le gouvernement procède d'elle, qu'il doit répondre devant elle.”

Tout le monde sait bien qu'ils couvrent le gouvernement de l'Union de la gauche et sa politique. La possibilité de cette revendication résulte de ce qu'il n'y a pas identité totale entre le gouvernement, le PS, le PCF et les députés de ces partis à l'Assemblée nationale. Mais il est évident pour tous qu'il y a une relation des plus étroites entre eux. Les masses peuvent établir une différence relative et s'en saisir. Elles établissent néanmoins la connection. Les suppliques aux dirigeants et aux députés du PS et du PCF ne changent rien, Aller voir en délégation les élus, les députés du PS et du PCF individuellement ou les groupes parlementaires du PS et du PCF peut ne pas être inutile. La limite est cependant vite atteinte. Ce n'est efficace que si cela s'insère dans un processus qui vise à l'organisation d'une avant-garde, à la mobilisation, et à l'action des masses. C'est pourquoi il me semble (c'est simplement une proposition à discuter) qu'il faut d'ores et déjà dans notre propagande avancer des formules comme : “ Faudra-t-il aller massivement à un million à l'Assemblée nationale pour dire aux députés du PS et du PCF : nous ne vous avons pas élus pour couvrir cette politique mais pour une autre politique qui corresponde aux intérêts de la population laborieuse ? ”

 

A propos de la construction du parti révolutionnaire

Peut-être va-t-on dire ; il faut partir du PCI pour revenir au PCI et jusqu'alors il n'est pas question dans ce texte de la construction du PCI. J'ai l'impression de ne pas avoir un seul moment cessé de parler de la construction du PCI, car je ne vois pas comment on peut construire le PCI sans une politique qui permette d'intervenir dans la lutte des classes, d'organiser, de regrouper.

 

Une question précise est posée dans “ L'avant-projet de rapport sur le parti des 10 000 ” , discuté et adopté à l'unanimité sauf mon abstention au bureau politique du 6 janvier et au comité central des 13 et 14 janvier 1984. “ Peut-on et doit-on construire le parti révolutionnaire avant la crise révolutionnaire ? ” L'embêtant, est que ce même texte donne deux réponses, qui ne sont pas identiques, à la question qu'il pose.

A. la fin du point 2 :

“ On peut construire le parti des 10000 avant la crise révolutionnaire parce que l'on a accumulé les matériaux nécessaires dans la toute dernière période. ”

Et au point 3, immédiatement en-dessous :

“ L'alternative est simple : faut-il tout entreprendre, oui ou non, pour construire le parti révolutionnaire avant la crise révolutionnaire. Personne ne peut dire si nous avons le temps nécessaire pour construire le parti des 10000 avant la crise révolutionnaire qui, manifestement mûrit rapidement. Mais, même si le temps nous fait défaut, c'est en agissant sur cet objectif, construire le parti des 10000 ans des délais rapides, alors que toutes les conditions sont réunies, que nous nous armerons pour aborder les nouveaux problèmes que soulèvera la crise révolutionnaire. Alors oui, il faut s'attaquer au problème de la construction du parti des 10000. ”

 

Je ne suis pas sûr que “ le parti des 10000 ” soit “ le parti révolutionnaire ” et qu'il soit prouvé a priori que “ toutes les conditions sont réunies ” pour le construire, mais je pense que la deuxième façon d'aborder la question est la bonne : “ C'est en agissant sur l'objectif de la. construction du parti révolutionnaire dans des délais rapides que nous nous armerons pour aborder les nouveaux problèmes que soulèvera la crise révolutionnaire ” , même si nous ne parvenions pas à le construire avant la crise révolutionnaire.

 

Encore qu'il faut faire attention : de grandes luttes de classe ne constituent pas nécessairement une crise révolutionnaire et une crise révolutionnaire n'ouvre pas nécessairement la révolution prolétarienne (voir mai-juin 1968). Mais étant donné qu'il s'agit de “ la ” crise révolutionnaire, je suppose que le rédacteur a voulu dire l'ouverture de la révolution prolétarienne.

Pour que “ le parti des 10000 ” soit le parti révolutionnaire (bien sûr il ne s'agit pas du parti dirigeant de la classe ouvrière), il faudrait qu'il soit un parti ayant de profondes racines dans des secteurs décisifs de la classe ouvrière et être 10000 ne donne pas obligatoirement ces racines. Mais enfin, acceptons qu'il y ait identité : parti des 10000 = parti révolutionnaire.

La volonté de construire un tel parti doit nous amener à examiner sérieusement pourquoi nous n'y sommes pas, et de loin, parvenus jusqu'alors et cela malgré de multiples plans dont aucun n'a pu être réalisé. On ne peut balayer la question par un désinvolte “ toutes les conditions sont réunies” . La preuve qu'il n'en est pas ainsi : nous n'y sommes pas parvenus, Bien plus, nous utilisons maintenant la formule, ô combien élastique : “ dans des délais rapides ” .

 

L'expérience m'a amené à dire souvent : je suis d'accord, les possibilités de construire le parti révolutionnaire se dégagent, mais l'expérience nous a appris que sa construction ne peut être rigoureusement planifiée dans le temps comme avec un ordinateur, Il y a trop d'inconnues que nous ne maîtrisons pas, objectives et subjectives. Est-ce en un an, en deux, en trois ?

Nous ne pouvons l'affirmer. Nos plans doivent être des plans d'orientation et être rectifiables.

 

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Nous sommes 5 900 inscrits au PCI, qui payons des cotisations plus ou moins importantes. Si l'on veut faire la comparaison avec, par exemple, janvier 1981, il ne faut pas oublier que n'étaient pas alors comptabilisés comme membres de l'OCI les 800 à 900 participants au GER, lesquels maintenant sont les stagiaires directement incorporés aux cellules. Les chiffres qui nous sont donnés intègrent désormais les stagiaires. Est-ce que ceux qui sont donnés pour janvier 1981 intègrent les participants aux GER? Cela n'est pas dit. Dans le cas où cela ne serait pas, il faudrait soit ajouter aux 4760 membres de l'OCI, en janvier 1981, les 800 à 900 participants aux GER. Ce qui ferait environ 5 500. Ou, inversement, retrancher des 5 900 inscrits au PCI, en décembre 1983, ceux qui sont stagiaires. On aurait une image plus exacte.

 

Il faut de même rappeler qu'au comité central de septembre 1977, les objectifs qui étaient déjà fixés étaient : 5000 membres à l'OCI (plus les participants aux GAI), 1 000 responsables de cellules, 15 000 IO vendus.

 

Nous n'avons pas encore, six ans et demi plus tard, atteint ces objectifs.

Naturellement, on ne peut omettre le terrible choc que fut pour l'organisation la révélation des agissements de Berg, du trucage des effectifs pour “ atteindre” à tout prix les objectifs fixés, de son utilisation à des fins personnelles des fonds du parti. C'est même à partir de là que, pour ma part, j'ai mesuré que la construction du parti ne pouvait être planifiée et réalisée comme avec un ordinateur. Nous avons alors reculé considérablement. Néanmoins, nous étions alors 3 840, plus peut-être les GER. Donc, en ce qui concerne les effectifs, nous sommes parvenus à l'objectif fixé par le comité central de septembre 1977. Il faut dire en outre que inscrits ne veut pas dire militants. Combien parmi ces inscrits n'assistent pas même régulièrement à leurs réunions de cellules ? Ce qui. n'était pas accepté il y a quelques années. Le PCI est une organisation dont nombre sortent avec la même rapidité qu'ils y sont rentrés. Le nombre d'IO vendus est loin d'atteindre les 15 000, objectif fixé en 1977. Où en sommes-nous du nombre des contrats financiers ? L'objectif fixé par le plan d'août 1983 était de 10 000 contrats pour octobre 1983. Quelles sommes ont été rassemblées ? Où en est la formation des militants ? Quelle est la vie politique des cellules ? Comment se fait-il qu'il n'ait pas été possible de construire une organisation de jeunesse révolutionnaire, indépendante ou ouvertement trotskyste, alors que nous savons tous que “ la Ive Internationale porte une attention exceptionnelle à la jeune génération du prolétariat. Par toute sa politique, elle s'efforce d'inspirer à la jeunesse confiance dans ses propres forces, dans son avenir. Seuls l'enthousiasme frais et l'esprit offensif de la jeunesse peuvent assurer les premiers succès dans la lutte; seuls ces succès peuvent faire revenir dans la voie de la révolution les meilleurs éléments de la vieille génération. Il en fut toujours ainsi et il en sera ainsi. ”

 

Et pourtant, il n'y a pas de quoi “ boire la ciguë” .

Aucune organisation trotskyste n'a jamais été aussi forte que le PCI. Nous avons en France réussi d'importantes réalisations : meetings, manifestation du 4 décembre 1982, campagnes politiques pour la défense de l'école publique, etc. Nous avons tissé des liens multiples dans la classe ouvrière, la jeunesse, dans certaines villes ou quartiers. Nous avons réussi à rassembler sur nos listes aux élections municipales à peu prés 6000 candidats et obtenu un pourcentage de voix par rapport aux suffrages exprimés qui, pour les 89 municipalités les plus peuplées où nous nous sommes présentés, représente 2,19 % (région parisienne seule, pour 41 municipalités : 1,71 %) et sur la totalité, environ 2,4 à 2,5 %. C'est bien supérieur à ce que le PCI a généralement réalisé au cours des élections où il s'est présenté depuis 1946. Nous avons même, conjointement avec les autres sections de l'organisation internationale, mené des campagnes internationales en défense des révolutions polonaise et nicaraguayenne qui ont été des

succès.

Le PCI est une organisation qui représente une force considérable capable de mener à bien la construction du parti révolutionnaire en France et de contribuer puissamment à la reconstruction de la Ive Internationale et de ses partis.

Que pour construire le parti révolutionnaire il faille “ par des mesures politiques et politiques d'organisation, opérer la fusion des générations” n'est pas douteux. Qu'il faille bannir le sectarisme, le dogmatisme et aussi.., l'opportunisme, ne l'est pas moins.

Il ne suffit pas de constater que le PCI a tenu alors “ que dans chaque période de front populaire dans le passé (1936 en France, Espagne, Chili) en quelques mois (les militants trotskystes) étaient marginalisés ” .

D'autant, que “ leur marginalisation ” ne s'est pas réalisée simplement à cause du front populaire : elle avait des causes qu'il n'est pas possible d'examiner ici et ainsi. De toute façon, leur marginalisation n'explique pas et ne justifie pas notre stagnation.

 

A mon avis, lés causes de notre stagnation sont objectives par rapport à nous et subjectives. Nous nous heurtons à une contradiction. Au contraire de ce que nous avons maintes fois expliqué, à la suite de la victoire politique remportée les 10 mai et les 14 et 21 juin 1981 par la classe ouvrière et la population laborieuse en général, il n'y a pas eu de ruée vers les partis ouvriers traditionnels et vers les organisations syndicales.

Tout en votant pour elles, les masses n'avaient pas entièrement confiance en elles. Elles sont instruites par une expérience qui date de près d'un demi-siècle. En deux ans et demi de gouvernement d'“ Union de la gauche ” , le manque de confiance est devenu méfiance profonde. Ceux qui expriment le mieux ce mouvement, ce sont les abstentionnistes des élections municipales et des multiples élections partielles qui ont eu lieu depuis. Mais les masses ne se détournent pas des vieilles organisations, n’abandonnent pas leurs vieilles chemises sales pour endosser la chemise propre du trotskysme.

 

On dira : il ne s'agit pas des masses mais d'une couche de quelques milliers de jeunes, de militants, de travailleurs que nous voulons gagner au “ parti des 10000” .  Je répondrai : le phénomène de méfiance vis-à-vis de tous les partis et organisations est d'autant plus accentué qu'il s'agit de jeunes, de travailleurs, de militants combatifs et, plus encore, lorsqu'ils ont une expérience plus ou moins grande. Il s'agit là d'un nouveau prix à payer pour 70 ans de trahison de la social-démocratie et 60 ans de trahison des PC auxquelles s'ajoute la trahison des appareils des syndicats, que ceux-ci soient réformistes ou staliniens. A cela s'ajoute la crise de la IVe Internationale qui rejaillit sur nous et qui déconsidère les organisations se réclamant d'elle et du trotskysme.

L'existence de la LCR, de LO, de multiples groupuscules en France, ce n'est pas rien. Le fait que la LCR, LO et d'autres aient sévi depuis 1968 en France n'est pas sans avoir laissé des traces profondes. Il n'y a pas besoin pour cela que ceux que nous pourrions gagner au PCI connaissent ce qu'est la LCR, le SU, LO et d'autres, et même qu'ils sachent ,que ceux-ci existent. Le trotskysme a une “ certaine réputation” depuis un demi-siècle. Il va de crise en crise, de trahison en trahison de la IVe Internationale, du trotskysme, au nom de la IVe Internationale et du trotskysme. Cette “ réputation ” n'est pas pondérale mais elle est comme en suspension dans l'atmosphère politique.

 

S'ajoute également le sentiment des limites du PCI du point de vue de l'efficacité que ceux qui nous côtoient vérifient rapidement. Ils se rendent parfaitement compte que nous ne pouvons, que rarement mener à terme ce que nous entreprenons. D'autres mesurent les difficultés à être militant du PCI encore actuellement. Les contraintes et charges que cela implique. la dureté de la bataille politique en particulier dans les entreprises.

 

Il y a un phénomène remarquable. Souvent nous sommes capables de regrouper relativement largement, d'associer au moins dans une certaine mesure pour des objectifs précis. Souvent même nous avons autour de nous des groupes de travailleurs qui nous soutiennent, qui se réunissent avec nous. Pourtant, ils ne veulent pas entrer au PCI. Tenter de faire pression sur tel ou tel travailleur pour qu'il entre tout de même au PCI aboutit très souvent à ce qu'il prenne le large.

L'ensemble de ces causes qui ne dépendent pas de nous se conjuguent.

 

Il en est d'autres qui dépendent de nous. Certaines ont de nombreuses fois été énumérées : notre difficulté à répondre politiquement, à se mettre à l'écoute des masses, à dialoguer avec elles, à associer à nos activités, à organiser, à avoir une intervention continue, constante, à aller jusqu'au bout, etc. Je ne les reprendrai pas. J'insisterai plutôt sur la difficulté qu'il y a souvent à comprendre notre politique. Prenons l'exemple des élections municipales. Nous avons fait toute la campagne sur le thème “ il faut battre la droite ” . C'est sur ce thème que nous avons constitué nos listes. S'il fallait “ battre la droite ” , Jospin avait raison de nous répondre ; “ Alors, au moins au deuxième tour, il faut que sans condition vous appeliez à voter pour la gauche. ” Au lieu de quoi - à juste titre - nous n'avons appelé ni à voter ni à ne pas voter (au moins officiellement) au deuxième tour. Non seulement la plupart de ceux qui s’étaient présentés sur nos listes ne savaient plus où ils en étaient, mais la plupart des militants du PCI non plus. Au lieu de dire clairement, dès avant le 1er tour : “ En mai-juin 1981, la population laborieuse a chassé Giscard, représentant patenté du capital. Peut-elle entériner aujourd'hui par ses votes une politique qui reprend et aggrave celle de Giscard et qui est entièrement au service du capital?” Ce qui nous dégageait totalement pour le deuxième tour.

 

Enfin, s'il y a beaucoup de choses justes dans ce que nous disons ou faisons, nous ne répondons pas par une politique d'ensemble aux exigences de la situation actuelle et aux problèmes auxquels doit répondre un parti. Je n'y reviens pas.

Confronté aux difficultés objectives et subjectives de la construction du parti révolutionnaire, nous cherchons des solutions miracles et des raccourcis qui ont pour conséquence d'affaiblir politiquement et organisationnellement le PCI. Hier, c'était la constitution de “ sections du PCI ” , organismes complètement informes. Ensuite, cela a été les cellules de 10 et même de 15 membres avec un bureau de cellule. En réalité, c'était transformer de nombreuses cellules en nébuleuses dont le noyau était le bureau de cellule. Les résultats n'ont pas été meilleurs. Maintenant, on nous propose une nouvelle panacée : “ les sections pour le front commun, pour un parti ouvrier” . C'est le constat de fait de l'échec de tous les plans précédents.

 

A la vérité, on ne sait plus très bien où on en est et ce dont il s'agit. On nous dit : “ En aucun cas, il ne s'agit de fixer à ce combat la construction d'une organisation nationale, d'un parti politique centralisé. ” Mais précédemment, il est écrit dans la même résolution : “ Le temps est venu de rassembler les forces dans une initiative centralisée et nationale qui pourrait prendre le contenu organisé d'un mouvement qui pourrait être intitulé "Pour le front commun, pour un parti ouvrier, parti des travailleurs". ” Le commun des mortels comprend qu'il s'agit de prendre une initiative centralisée pour un nouveau parti ouvrier qui ne serait ni le PS, ni le PCF, ni le PCI. Un tel parti aurait nécessairement une politique, une direction, un programme implicite ou explicite. Où est la véritable orientation ? Est-ce dans la première où dans la deuxième affirmation ?

Ce n'est pas non plus la “ ligue ouvrière révolutionnaire ” , éventualité au cas où nous n'aurions pas construit le parti révolutionnaire avant que ne s'ouvre la crise révolutionnaire et que se dégagerait un courant qui tendrait “ à s'organiser comme un courant centriste ” .

“ C'est ici que s'insère la perspective stratégique de la ligue : un cadre de militants contrôlés par les vieilles directions s'efforcent de faire pression sur elles pour les amener à répondre aux aspirations des asses. A ce cadre de militants, nous offrons une politique, des explications, des mots d'ordre qui sont seuls aptes à répondre aux aspirations des masses. Nous devons leur offrir une forme d'organisation au niveau de leur propre expérience. Nous disons à ces militants :

''Pour nous, il n'est qu'un parti qui puisse répondre aux aspirations des masses : le parti révolutionnaire de la IVe internationale, qui est l'objectif du combat de l'OCI. Mais le combat de l'OCI sur telle ou telle politique, tel ou tel mot d'ordre, telle ou telle tactique de lutte, telle explication – vous l'admettez vous-mêmes - peut unir les travailleurs et la jeunesse contre le capital et l'Etat. Vous approuvez cette politique de l'OCI mais vous n'acceptez pas la conclusion que nous en tirons : construire un nouveau parti. Vous pensez pouvoir utiliser les vieilles organisations pour la défense des intérêts des travailleurs ; c'est votre droit comme c'est le nôtre de penser, autrement. Combattons ensemble sur la politique, les mots d'ordre, pour la tactique sur lesquels nous sommes d'accord.

Organisons-nous pour agir sur cette politique, ces mots d'ordre, cette tactique. L'expérience, la libre discussion dans les rangs de la classe ouvrière, trancheront. " ” (Résolution du XVIIIe Congrès de l'OCI - décembre 1972. La Vérité n° 561 de juillet 1973).

 

Nous n'avons pas à ma connaissance renoncé à construire le parti révolutionnaire avant l'ouverture de la crise révolutionnaire, et la tendance à la construction d'un tel courant ne s'est pas dégagée. Si c'était le cas, il faudrait le dire.

 

Il est vrai qu'autour de nous existent des jeunes, des travailleurs, des militants que nous rassemblons en certaines occasions mais qui ne rejoignent pas pour autant le PCI. Nous ne pouvons pas les négliger ; car s'ils ne sont pas trotskystes, il ne faut jamais oublier que comme c'est avec des civils que l'on fait des militaires, c'est avec des non trotskystes que l'on fait des trotskystes. De plus, ils représentent à leur façon une force politique. S'il s'agit de trouver des formes souples qui leur permettent de se rassembler avec les trotskystes sans adopter pour autant l'ensemble de leur politique, sans être soumis à la discipline et au militantisme du PCI, je suis pour ma part d'accord. Il ne me semble pas néanmoins que ce soit une grande nouveauté. Mais même dans ce cas, il faut distinguer. Il y a ceux que nous rassemblons et organisons sur tel ou tel combat, sur tel ou tel mot d'ordre ou revendication. Il y a ceux qui, sans vouloir adhérer au PCI, sont gagnés à la nécessité d'un parti révolutionnaire et sont ouverts par rapport au PCI. Il ne faut pas cependant en attendre une solution miracle à la question de la construction du “ parti des 10 000 ” .

Tel que les choses sont présentées, on peut en déduire que le “ parti des 10 000 ” , ce sera le PCI + eux.

Dans ce cas, c'est un parti à deux étages.

En réalité, cela signifie que l'on ramènerait le PCI à un niveau en dessous pour le mettre sur le plan vague et mal défini qui est celui de ceux que l'on veut regrouper. Alors, loin de construire “ le parti des 10 000 ” , on irait vers la dissolution politique du PCI dans une masse (relative) aux contours politiques extrêmement flous.

 

Nous construirons “ le PCI des 10 000 ” à la sueur de notre front, si l'on peut dire, et non par des opérations miracles : par l'intervention dans la lutte des classes, en rassemblant et en organisant avec nous en des campagnes précises, sur des objectifs précis, en répondant aux questions politiques que pose le quotidien, mais comme articulations, aspects spécifiques d'une politique d'ensemble répondant aux questions fondamentales qui se posent au pays. Pour cela, il faut un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse et des masses populaires, c'est-à-dire un programme d'action. Ce qui ne suffit encore pas.

Aucun militant ne peut tenir durablement dans le PCI, de quelque façon qu'il ait été gagné, s'il n'assimile pas (ce qui ne veut pas dire qu'il doit assimiler le Capital, toutes les oeuvres de Lénine et de Trotsky) qu'il s'intègre à une organisation, laquelle s'inscrit dans la perspective historique de la révolution prolétarienne, de reconstruction de la IVe lnternationale, du socialisme.

S'il est membre du PCI seulement pour des objectifs et des résultats immédiats, il ne tardera pas à le quitter. Il peut être gagné au PCI à partir de tel ou tel problème précis, de tels ou tels objectif et action précis. Mais il lui faut acquérir une vue beaucoup plus générale pour y rester, Le chemin que nous avons à parcourir est long, très long ; les difficultés sont et seront considérables et multiples. Il faut donner aux militants cette compréhension.

Certes, on ne peut écarter qu'un mouvement national résultant d'une “ initiative nationale centralisée ” soit nécessaire comme transition vers le parti de la IVe Internationale. Encore faudrait-il être plus précis sur les tendances plus ou moins affirmées ou en voie de cristallisation en rupture avec les partis ouvriers traditionnels, les couches ou la couche de jeunes, de travailleurs, de militants susceptibles de répondre à une telle initiative et qui ne pourraient être gagnés directement au PCI. Une telle initiative se justifierait, dit-on, parce que le saut serait trop grand entre leur état politique supposé et le programme de la Ive Internationale.

 

A supposer que cela soit, il est évident qu'un mouvement national à vocation de parti, d'un parti ouvrier qui ne serait pas d'emblée le PCI exige une politique et quoique l'on puisse en dire, exige un programme, exige des moyens d'expression, exige une direction. Le pire serait de structurer des “ sections ” préfigurant des organisations de base d'un semblable mouvement en voulant les soumettre au contrôle administratif du PCI et aux limites politiques fixées arbitrairement, a priori par le PCI.

En fait de démocratie ouvrière, ce serait exactement le contraire. S'il s'agit de forces réelles, elles ne l'accepteraient pas plus qu'elles ne pourraient accepter de s'exprimer sous le contrôle du PCI dans Informations ouvrières. Finalement, nous ne regrouperions personne.

 

S'il était vrai que ces tendances à l'état encore plus ou moins de nébuleuses existent, alors il faudrait s'acheminer vers une sorte de conférence dont nous prendrions l'initiative et pas seulement monter des “ sections” dont on ne saurait pas ce qu'elles seraient, sections placées néanmoins rigoureusement sous notre contrôle. Mais il faudrait proposer une politique d'ensemble, sauf à dresser nous-mêmes un obstacle supplémentaire à la construction du parti révolutionnaire en contribuant à édifier une organisation indéfinie qui se chargerait forcément d'un contenu propre. Ce ne peut être seulement le “ front commun, la démocratie ” , c'est obligatoirement un programme de défense (une plate-forme si on veut l'appeler ainsi) de la classe ouvrière, de la jeunesse et des masses populaires, un programme d'action.

 

Le 17 janvier 1984,

Stéphane Just