J'ai d'importants désaccords avec l'orientation que suit
actuellement notre parti ainsi qu'avec la politique actuelle de construction du
PCI. A de multiples reprises, je me suis abstenu au comité central sur de
nombreuses résolutions et j'ai plus ou moins développé mes positions sur
l'orientation qui, je le pense, devrait être celle du
parti.
On me pose la question : mais pourquoi l'abstention et
ne pas opposer texte à texte ? Je voulais marquer ainsi que si importants que
soient mes désaccords, je ne crois pas que ce soit, du moins à l'étape actuelle,
la bonne méthode. Même si cela paraît extrêmement difficile, il faut essayer de
convaincre l'ensemble de l'organisation, y compris la direction actuelle, de la
justesse de mes positions ; à moins que la position des uns et des autres évolue
et se rapproche; à moins que je sois moi-même convaincu que j'ai partiellement
ou totalement tort.
Je pense que le parti dans son ensemble surmontera les
difficultés actuelles, qui sont incontestables, dans sa construction, ou bien ce
sera l'impasse et ses conséquences. Je n'oppose donc pas un autre texte à ceux
votés par la quasi-totalité du comité central mais une contribution à la
discussion.
Je le fais après avoir longuement réfléchi. Finalement,
ce sont les camarades du comité central qui m'ont convaincu. A la session de
décembre 1983, beaucoup m'ont dit : “ Stéphane, tu dois écrire et définir
clairement pour tout le parti tes positions. ” C'est ce que je fais dans ce
texte.
Il est long. Mais l'on comprendra qu'il n'était pas
possible de faire autrement étant donné les questions en cause, la nécessité
d'argumenter et de répondre sur ces questions et sur l'orientation que je
préconise. Il fallait, pour que la discussion soit, claire, que je m'explique.
C'est ce que je fais. Je m'efforce de le faire en tentant d'établir qu'il ne
peut y avoir d’autre ligne générale pour le PCI dans la situation actuelle que
celle clairement définie en septembre 1981: “ On ne peut aller de l’avant si
l’on a peur d’aller au socialisme ” . Cette ligne intègre les revendications
démocratiques, la défense des libertés démocratiques pour la destruction de la
Ve République et de ses institutions. Mais il n’y a pas pour autant une ligne
qui serait celle de la démocratie. La ligne définie en septembre 1981 implique
un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses
populaires, qui réponde à la question: comment résoudre la crise ? Par un plan
de production élaboré et appliqué sous le contrôle ouvrier qui réponde aux
besoins des masses et qui brise la logique du profit capitaliste. Loin
d’affaiblir la lutte pour les revendications, un tel programme la
fonde.
Je m'efforce de situer comment se pose actuellement la
question du gouvernement et comment nous devons y répondre ainsi que comment se
pose la question du front unique et comment nous devons y répondre en opposition
à “ l'Union de la gauche ” et à sa politique. C'est à partir de là que nous
pouvons avancer dans la construction du PCI. Mais il n'y a ni solution
miraculeuse, ni raccourci pour le construire.
Maintes fois dans le passé, on a tenté de recourir à ces
“ méthodes ” . Les résultats ont toujours été catastrophiques. “ Nous
construirons le PCI à la sueur de notre front. ” .
Bien entendu, je ne prétends pas répondre à tout. Mais
que la discussion la plus large s'engage,
Stéphane Just
Trois mois après la défaite de Giscard d'Estaing, du RPR
et de l'UDF, deux mois après l'élection de Mitterrand à la présidence de la
République et d'une écrasante majorité de députés du PS (Ils ont à eux seuls la
majorité absolue) et du PCF à l'Assemblée nationale, le 8 septembre 1981, le
comité central de l'OCI publiait une déclaration. Elle portait un titre qui
synthétisait son contenu : “ On ne peut aller de l'avant si on a peur d'aller
au socialisme ” .
Le vendredi 23 octobre se tenait le premier grand
meeting organisé par l'OCI depuis les élections de mai-juin. Il regroupait
environ 6 000 participants. La banderole qui dominait la tribune donnait
l’orientation de ce meeting et du PCI à ce moment. Elle affirmait: : “ On ne
peut aller de l'avant si on a peur d'aller au socialisme”
.
Le 2 décembre 1983, se tenait le meeting central de la
campagne des 100 meetings que le CC avait décidée, en tant que parties
constituantes du plan d'ensemble d'activité et de construction du PCI dont
l'échéance se situait en décembre. Sur la banderole dominant la tribune, donnant
l’orientation du meeting, et désormais, celle du PCI, on lisait : “ Continuer
ainsi nous conduirait tous à la ruine. Front commun pour faire aboutir les
réformes indispensables ” .
La différence est frappante entre les deux mots d'ordre
synthétisant l'orientation du PCI ; dans le premier cas, 3 mois après la venue
au pouvoir de Mitterrand et la formation du gouvernement Mitterrand-Mauroy-
Crépeau-Fiterman, dans le second cas deux ans et demi après sa venue au
pouvoir.
Le premier mot d'ordre signifie : sans mettre en cause
le régime capitaliste en crise, sans s'engager sur la voie qui conduit au
socialisme, on ne peut pas satisfaire les revendications, les besoins, les
aspirations de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires. Il
signifie : bien plus, on ne peut que se dresser contre elles, et tenter de leur
faire payer le prix de la crise du régime capitaliste. Il donne le contenu
concret de la revendication adressée au PS et au PCF : “ Rompez avec la
bourgeoisie, réalisez le front unique ouvrier. ”
Le 2e mot d'ordre paraît insolite. “ Continuer ainsi
nous conduirait tous à la ruine. ” A qui s'adresse cette exhortation ? De
quel “ nous ” s'agit-il ? Sommes-nous sur le même bateau que le
gouvernement d' “ Union de la gauche ” ?
“ Front commun ” ? Entre qui et qui? Entre le
gouvernement, le PS, le PCF, les syndicats ? Ou entre les organisations
ouvrières auxquelles on adresse la revendication “ rompez avec la bourgeoisie
” , “ réalisez le front unique ouvrier ” ? “ Pour faire aboutir
les réformes nécessaires ” ? Mais quelles sont les “ réformes nécessaires ”
? Et surtout, peut-on résoudre la crise économique, sociale et politique qui
résulte de la faillite de la société bourgeoise par “ des réformes ” ? L
’affirmer serait une singulière nouveauté pour des trotskystes. On peut arguer:
mais les trotskystes ne sont pas par principe contre des “ réformes ” .
C’est là utiliser une rhétorique d’avocat qui justifie
n’importe quoi au moyen d’acrobaties verbales. Voyons plutôt comment le
Programme de transition aborde et répond à cette
question.
“ La social-démocratie classique, qui développa son
action à l’époque où le capitalisme était progressiste, divisait son programme
en deux parties indépendantes l’une de l’autre: le programme minimum qui se
limitait à des réformes dans le cadre de la société bourgeoise, et le programme
maximum, qui permettait pour un avenir indéterminé le remplacement du
capitalisme par le socialisme.
Entre le programme minimum et le programme maximum, il
n’y avait aucun pont. La social-démocratie n’a pas besoin de ce pont, car, de
socialisme, elle ne parle que les jours de fête. L’Internationale communiste est
entrée dans la voie de la social-démocratie à l’époque du capitalisme
pourrissant alors qu’il ne peut plus être question de réformes sociales
systématiques ni de l’élévation du niveau de vie des masses: alors que la
bourgeoisie reprend chaque fois de la main droite le double de ce qu’elle a
donné de la main gauche ( impôts, droits de douane, inflation, “ déflation ” ,
vie chère, chômage, réglementation policière des grèves, etc...); alors que
chaque revendication sérieuse du
prolétariat et même chaque revendication progressiste de la
petite-bourgeoisie conduisent inévitablement au-delà des limites de la propriété
capitaliste et de l’Etat bourgeois. ”
Plus loin:
“ La IVe Internationale ne repousse pas les
revendications du vieux programme “ minimum ” , dans la mesure où elles ont
conservé quelques forces de vie. Elle défend inlassablement les droits
démocratiques des ouvriers et leurs conquêtes sociales. Mais elle mène ce
travail de tous les jours dans le cadre d’une perspective correcte, réelle,
c’est-à-dire révolutionnaire. Dans la mesure où les vieilles revendications
partielles “ minimum ” des masses se heurtent aux tendances destructives et
dégradantes du capitalisme décadent - et cela se produit à chaque pas - la IVe
Internationale met en avant un système de revendications transitoires
dont le sens est de se diriger de plus en plus ouvertement et résolument
contre les bases même du régime bourgeois. Le vieux “ programme minimum ” est
constamment dépassé par le programme de transition dont la tâche consiste
en une mobilisation systématique des masses pour la révolution prolétarienne.
”
Ici un jugement clair et net est porté sur “ les
réformes ” , fussent-elles déclarées “ nécessaire ” : “ Il ne peut être
question de réformes sociales systématiques ” . A quoi on peut objecter:
depuis que le Programme de transition a été écrit, d’importantes réformes
sociales, comme la Sécurité sociale, ont été arrachées ainsi que des
sous-produits de la vague révolutionnaire qui a eu lieu à la fin de la Deuxième
Guerre mondiale et dans l’immédiat après-guerre. Il y a même eu au cours des
trente dernières années dans les métropoles impérialistes une élévation
considérable du niveau de vie des masses. C’est vrai.
Mais cela n’a été possible qu’en raison d’une
conjoncture économique et politique que nous avons maintes fois analysée, sous
la protection politique de la bureaucratie stalinienne et de son appareil
international, des bureaucraties réformistes politiques et syndicales,
l’impérialisme US a pu impulser la reconstruction du système capitaliste, une
nouvelle accumulation du capital. Mais il l’a fait au prix d’un fantastique
parasitisme, en prenant en charge et en intégrant en son sein, l’ensemble des
contradictions du mode de production capitaliste parvenu à son stade
impérialiste, sans pour autant donner une nouvelle jeunesse aux vieilles
puissances impérialistes d’Europe et à celle du Japon.
Aujourd’hui, l’échéance est venue. La crise en témoigne.
Et ce n’est qu’un début. L’affirmation du Programme de transition est
plus vraie encore en 1983 qu’elle ne l’était en 1936: “ Il ne peut plus être
question de réformes sociales systématiques ” . Pire encore, toutes les
conquêtes, tous les acquis de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses
populaires, ne peuvent qu’être remis en question pour et par la défense du
capitalisme. Plus encore: inéluctablement, le mouvement mécanique de la crise
les détruira si le capitalisme se survit.
Le Programme de transition, “ L’agonie du capitalisme et les tâches de la IVe
Internationale ” , ne parle nulle part de “ réformes nécessaires ” .
Il parle des “ revendications ” , de la “ défense inlassable des
droits démocratiques des ouvriers et de leurs conquêtes sociales ” . En
opposition aux “ réformes ” et aux réformistes, il précise: “ dans le
cadre d’une perspective correcte, réelle, c’est-à-dire révolutionnaire ” .
Or, quelle peut-être cette perspective sinon celle que
Lénine affirmait déjà dans “ La catastrophe imminente et les moyens de la
conjurer ” ( une des premières esquisses d’un programme de transition) : “
On ne peut aller de l’avant si l’on craint d’aller au socialisme ” .
Telle est la perspective ouverte par le Programme de transition lorsqu’il
déclare :
“ Chaque revendication sérieuse du prolétariat et même
chaque revendication progressiste de la petite-bourgeoisie conduisent
inéluctablement au-delà des limites de la propriété capitaliste et de l’Etat
bourgeois ” .
Parmi les revendications et les acquis de la classe
ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires, qu’il s’agit de défendre
inlassablement, prennent incontestablement place: la défense des libertés et des
conquêtes démocratiques, la défense du pouvoir d’achat, du droit au travail (
une loi interdisant les licenciements), la lutte pour la défense de la Sécurité
sociale, du droit à la santé, des retraites, etc..., la défense de la laïcité de
l’Etat et de l’enseignement, du droit et des conditions d’une instruction
scientifique et rationnelle ( ainsi que cette revendication est définie par Marx
dans sa “ Critique du programme de Gotha ” )etc. Ce ne sont pas là des “
réformes nécessaires ” mais des revendications qui doivent s’inscrire dans un
programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse et des masses
populaires dont l’axe ne peut qu’être : “ On ne peut aller de l’avant si l’on
craint d’aller au socialisme ” .
Alors pourquoi cette banderole qui synthétisait
l’orientation du PCI et dominait la tribune du meeting du 2 décembre 1983 ? On
ne peut s’abstraire du contenu politique que l’histoire et les données
politiques concrètes de la situation actuelle donnent aux formules et aux mots
d’ordre. L’activité politique qui se situe ou affirme se situer sur le terrain
des “ réformes nécessaires ” est l’activité proclamée des organisations dites “
réformistes ” en opposition à l’activité et aux positions des organisations
révolutionnaires.
Cette banderole n'était-elle pas un clin d'oeil., un
appel du pied fait par le PCI sinon aux organisations dites “ réformistes ” ,
mais au moins aux “ réformistes ” ? “ Voyez, le PCI est aussi pour les
"réformes nécessaires" ” ? D'autant plus que IO n° l135 écrit du meeting
placé sous ce mot d'ordre qu'il est “ le début d'une construction commune
” . D'autant plus que le CC des 9 et 10 décembre 1983 a voté une résolution,
laquelle exprime (selon l'appréciation de ceux qui l'ont votée) le contenu du
meeting et dégage l'orientation qui en découle. Dans cette résolution il est
écrit :
“ Le temps est venu de rassembler des forces dans une
initiative centralisée et nationale, qui pourrait prendre le contenu d'un
mouvement qui pourrait être intitulé : "pour le front commun, pour un parti
ouvrier, un parti des travailleurs " dont les portes seraient grandes ouvertes à
tous ceux qui désirent y travailler, qui désirent aider à organiser les
travailleurs, les jeunes, les aider dans la lutte contre le capital et la
politique capitaliste du front populaire. ”
Si les mots ont un sens, cela signifie : la constitution
d'un pré-parti pour un parti ouvrier, lequel ne serait pas le PCI.. Assurément,
il est affirmé que ce mouvement devrait aider à organiser les travailleurs, les
jeunes, les aider dans la lutte contre le capital et la politique capitaliste de
front populaire. Louable intention. Mais sur quelle ligne, sinon sur quel
programme ? Celle et celui des “ réformes nécessaires ” ?
D'autant qu'il est répété à plusieurs reprises dans
cette résolution qu'il s'agit de combattre “ sur la ligne de la démocratie
” . D'autant plus que c'est là l'aboutissement d'une évolution politique que
l'on peut suivre pas à pas dans la collection d'IO et en différents textes et
tracts. La déclaration du CC de l'OCI du 8 septembre 1981 liait les
revendications démocratiques contre la Ve République et son caractère
bonapartiste aux revendications économiques sociales, au problème du
gouvernement et à la voie à suivre :
“ Tout se tient. Les masses ont chassé Giscard. Elles
ont écrasé les partis de la Ve République. C'est une défaite des capitalistes,
de la bourgeoisie. C'est une victoire considérable des masses. Pourtant rien
n'est joué, Les capitalistes, la bourgeoisie veulent leur revanche sur les
masses. Ils disposent de puissants moyens économiques et politiques. On ne peut
gouverner en essayant de concilier les intérêts des capitalistes et ceux de la
classe ouvrière, de la jeunesse, des masses exploitées. Une telle politique ne
ferait en fin de compte que le jeu des capitalistes et de la bourgeoisie qui
exigent du gouvernement des mesures contre les masses laborieuses, la protection
et la défense de leurs intérêts. Il faut gouverner, non seulement sans la
bourgeoisie (A ce propos, que viennent faire dans le gouvernement les
représentants des groupuscules bourgeois d'origine gaulliste (Jobert) ou
radicale (Crépeau ) ? Ne serait-il pas nécessaire de les renvoyer du
gouvernement ? A-t-on oublié que le radical bourgeois Crépeau s'est présenté au
premier tour des élections présidentielles contre Mitterrand pour tenter de
faire passer Giscard ?), mais contre elle en s'appuyant sur les masses. Ainsi,
n'est-il pas nécessaire que se réunisse un congrès des employés de banque, des
institutions financières, des assurances, avec à son ordre du jour : la
nationalisation du crédit ? Il ne s'agit pas d"'autogestion ". Les travailleurs
ne peuvent gérer l'économie que par la détention du pouvoir
politique.
Pour cela, il faut détruire l'Etat bourgeois, instituer
le pouvoir des conseils, construire l'Etat ouvrier, exproprier le capital. L'“
autogestion ” dont il est question ne peut être dans les conditions actuelles,
que la “ cogestion ” dans le cadre du régime capitaliste, les travailleurs
organisant leur propre exploitation. Ce dont il s'agit c'est de réaliser un
véritable contrôle ouvrier sur le crédit, comme il s'agit de le réaliser sur la
production, la distribution, sur les prix.
Tout se tient. Pour que la victoire des masses
laborieuses soit honorée, il faut démanteler l'Etat UDF-RPR, en finir avec la Ve
République, ses institutions, sa Constitution, il faut satisfaire aux
revendications des masses, il faut en finir avec la hausse des prix, le chômage,
la crise, et pour cela, il faut rompre avec la bourgeoisie, s'appuyer sur les
masses, les appeler à s'organiser, à se mobiliser. L'OCI unifiée affirme : on ne
peut aller de l'avant si l'on craint de marcher au socialisme ! ”
.
Ainsi, il s'agirait d'orienter l'intervention du PCI “
sur la ligne de la démocratie ” . Sans aucun doute, les trotskystes ne
peuvent ignorer l'importance des revendications démocratiques dans le combat
pour la révolution prolétarienne et la construction des partis de la IVe
Internationale. A l'époque de l'impérialisme, dans les pays où des tâches
démocratiques relevant de la démocratie bourgeoise n'ont pas été réalisées, la
réalisation de ces tâches est au premier plan du programme de la révolution
prolétarienne; Dans ces pays, le prolétariat “ est contraint de combiner la
lutte pour les tâches les plus élémentaires de l'indépendance nationale et de la
démocratie bourgeoise avec la lutte socialiste contre l'impérialisme mondial
” . Qui plus est, à l'époque de l'impérialisme, “ réaction sur toute la
ligne ” , même dans les pays où les tâches démocratiques relevant de la
démocratie bourgeoise ont été réalisées, elles peuvent être remises en cause et
le sont effectivement à chaque moment. C'est ainsi que la réaction fasciste
liquide toute forme de démocratie . pour liquider toutes les conquêtes sociales
et politiques du prolétariat et des masses populaires, toute forme
d'organisation indépendante du prolétariat, syndicats et partis, et même de la
bourgeoisie.
Trotsky écrivait à propos de l'Espagne en 1931
:
“ Ce serait du "doctrinarisme " le plus piteux et le
plus stérile que d'opposer le mot d'ordre de la dictature du prolétariat aux
tâches, mots d'ordre de la démocratie révolutionnaire (République, révolution
agraire, séparation de l'Eglise et de l'Etat, confiscation des biens
ecclésiastiques, indépendance nationale, Assemblée constituante
révolutionnaire). Avant de conquérir le pouvoir, les masses populaires doivent
se grouper autour du parti révolutionnaire dirigeant. La lutte pour la
représentation aux Cortès à cette étape de la révolution peut faciliter
considérablement la solution de cette tâche. ” (page 71, “ La Révolution espagnole ” , textes
recueillis et présentés par Pierre Broué).
Trotsky écrivait à propos de l'Allemagne, après la prise
du pouvoir par Hitler :
“ Théoriquement, la victoire du fascisme est le
témoignage incontestable de ce que la démocratie a épuisé toutes ses
possibilités ; mais, pratiquement, le régime fasciste conserve les préjugés
démocratiques, les ressuscite à nouveau, les, implante dans la jeunesse et est
même capable de leur donner, pour un bref laps de temps, une plus grande
vigueur. C'est précisément en cela que consiste une des manifestations les plus
importantes du rôle historique réactionnaire du fascisme
(...).
Dans le cours du réveil révolutionnaire des masses, les
mots d'ordre démocratiques constitueraient inéluctablement le premier chapitre.
Même si la marche ultérieure de la lutte ne permettait pas de façon générale la
renaissance ne fût-ce qu'un jour de l'Etat démocratique -- et c'est parfaitement
possible – la lutte elle-même ne peut se développer sans mots d'ordre
démocratiques ! Un parti révolutionnaire qui tenterait de sauter par-dessus
cette étape se casserait le cou (...).
Sous quels mots d'ordre politiques se mènera cette lutte
? La dictature de Hitler a surgi directement de la Constitution de Weimar. Les
représentants de la petite bourgeoisie lui ont, de leurs propres mains, donné
mandat pour sa dictature. Si l'on admet un développement très favorable et très
rapide de la crise du fascisme, alors la revendication de la convocation du
Reichstag, y compris tous les députés exclus, pourra, à un certain moment, unir
les ouvriers et les couches les plus larges de la petite bourgeoisie. Si la
crise devait éclater plus tard et que le souvenir même du Reichtag ait eu le
temps de s'effacer, le mot d'ordre de nouvelles élections pourrait avoir une
grande popularité. Nous ne disons pas que le développement se fera forcément sur
cette voie. Il suffit qu'il soit possible. Se lier les mains par rapport aux
mots d'ordre démocratiques de transition qui peuvent être imposés par nos alliés
petits-bourgeois et par les couches arriérées du prolétariat lui-même serait un
"doctrinarisme funeste ". ”
(pages 240, 243, 244 et 245 des Oeuvres, tome
I).
Mais la France n'est pas l'Espagne. C'est au contraire
le pays où les tâches démocratiques relevant de la démocratie bourgeoise ont été
le plus radicalement accomplies, Il reste que l'institution de la Ve République
en 1958 a mis fin à un régime démocratique bourgeois parlementaire, Elle a
établi un régime dit type bonapartiste. Ce n'est pas la peine de s'étendre sur
l'importance majeure de la substitution d'une forme de domination de classe de
la bourgeoisie à une autre pour le prolétariat. La fonction de la Ve République
était, en rendant le pouvoir d'Etat indépendant du contrôle du Parlement,
d'établir un régime fort, capable de discipliner la classe ouvrière et les
masses exploitées aux exigences du capitalisme bourgeois décadent et même de
discipliner les différentes couches de la bourgeoisie aux besoins et intérêts du
capital financier. Néanmoins, le bonapartisme n'est pas le fascisme, bien qu'il
puisse en être la préface. Et surtout, le bonapartisme de la Ve République est
un bonapartisme bâtard. La logique de la Ve République était “ d'en finir
avec les partis ” , de détruire les organisations de classe du prolétariat
en intégrant notamment les syndicats à l'Etat, c'est-à-dire en les liquidant en
tant qu'organisations ouvrières.
C'était tout un ensemble de “ réformes ” réduisant à
rien les conquêtes économiques, sociales et politiques du prolétariat et des
masses exploitées. C'était d'instituer le corporatisme. Cette logique a été
brisée par la résistance du prolétariat et de la jeunesse qui s'est notamment
exprimée dans la grève des mineurs de mars-avril 1963 et la grève générale de
1968. La suprême tentative de de Gaulle pour reprendre l'initiative et instaurer
le corporatisme a échoué en 1969. Il a été battu au référendum d'avril 1969
parce que, FO se prononçant la. première, les centrales syndicales et les partis
ouvriers ont appelé à voter NON et qu'une partie de la bourgeoisie, consciente
que les rapports de force entre les classes ne permettaient pas de réaliser le
corporatisme, était opposée à cette nouvelle tentative. De Gaulle a dû se
démettre.
Une situation exceptionnelle en est résultée. Sans que
la Ve République soit balayée, sans qu'il soit mis fin au bonapartisme et à ses
institutions, non seulement les syndicats ouvriers n'ont pas été intégrés et
détruits, non seulement il n'a pas été mis “ fin aux partis ” , mais,
utilisant les formes politiques de la Ve République, la classe ouvrière, les
masses populaires ont élu Mitterrand à la présidence de la République parce que
principal dirigeant du nouveau PS et elles ont élu une majorité écrasante de
députés du PS et du PCF à l'Assemblée nationale.
Mais Mitterrand et la majorité PS-PCF s'efforcent de
maintenir et faire fonctionner les institutions antiparlementaires et
anti-ouvrières de la Ve République. Ils mettent tout en oeuvre pour réaliser les
réformes réactionnaires que n'ont pu qu'ébaucher de Gaulle, Pompidou, Giscard
d'Estaing, et cela d'autant plus que la crise du capitalisme français se fait
pressante et exigeante.
Le maître d'oeuvre de cette politique est le principal
dirigeant du PS, parti ouvrier bourgeois parlementaire, Mitterrand. Le
gouvernement qui la développe est un gouvernement composé de ministres du PS et
du PCF pour l'essentiel avec juste ce qu'il faut de ministres d'organisations
bourgeoises pour affirmer la nature de ce gouvernement. Il gouverne sous la
couverture de la majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale . Les principales
forces de sa mise en oeuvre et de sa défense dans la classe ouvrière, ce sont le
PS et le PCF et les appareils syndicaux. Tout cela va à l'encontre de
l'extraordinaire victoire politique remportée par les masses en mai-juin 1981
qui ont écrasé électoralement les partis bourgeois.
Dans ces conditions, que veut dire “ la ligne de la
démocratie en général ” ? S'agit-il de mettre en avant, comme c'était le cas
en 1931, comme c'est encore nécessaire en Espagne actuellement, le mot d'ordre
de la République ? Evidemment non. Ce serait pour les masses complètement
incompréhensible. Elles considèrent la Ve République comme une république et de
plus une république tout aussi démocratique que l'étaient la IVe et même la IIIe
Républiques. A l'encontre de la vocation de la Ve République il est vrai, en
raison de leurs propres combats, leurs organisations n'ont pas été détruites.
Les libertés de la presse,de manifester, de s'organiser, etc... , existent et,
aujourd'hui, elles ne sont pas en cause. Les masses le savent parfaitement.
S'agit-il d'élire une Assemblée réellement représentative, selon la norme un
citoyen/un suffrage, en respectant les règles communes aux démocraties
bourgeoises ? Evidemment non. Les masses populaires ont élu, en utilisant les
institutions de la Ve République Mitterrand à la présidence de la République et
une majorité de députés PS-PCF à l'Assemblée nationale, et il n'appartient qu'à
Mitterrand et à la majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale de répondre aux
aspirations et besoins de la classe ouvrière et des masses populaires. C'est du
rapport entre la classe ouvrière et ses organisations politiques qu'il s'agit.
S'agit-il de ne pas accepter que les organisations ouvrières, notamment les
syndicats, fassent des pas sur la voie du corporatisme que les lois Auroux
dessinent ? Là aussi, c'est du rapport entre la classe ouvrière et ses
organisations syndicales qu'il s'agit.
Mais ne faut-il pas en finir avec les institutions de la
Ve République à caractère bonapartiste ?
Assurément, Mais la “ ligne de la démocratie ” est bien
difficilement saisissable pour les masses et même pour une avant-garde. Elles
ont le sentiment de vivre dans un régime “ démocratique ” au sens attribué, en
général, par la tradition à ce terme dans les pays de vieilles démocraties
bourgeoises. Il faut même faire attention avec ce mot “ démocratie ”
.
A juste titre, au nom de la “ démocratie ” , nous avons
mené des campagnes avant 1981 pour la dissolution de l'Assemblée nationale.
Toutes les élections partielles démontraient que la majorité d'alors UDF-RPR de
députés à l'Assemblée nationale était minoritaire dans le pays. Au moins depuis
les élections municipales de mars 1983, il est évident que c'est au tour de la
majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale d'être minoritaire dans le pays. L'appel
à la “ démocratie ” en général pourrait bien devenir un boomerang.
Ce dont il s'agit, c'est de mettre en avant en tant que
parti un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses
populaires, des revendications démocratiques précises et non “ la ligne de la
démocratie ” , dont on ne sait pas trop ce qu'elle est. Au centre des
revendications démocratiques se situe la revendication qui met en cause le
bonapartisme et ses institutions de la Ve République. La souveraineté totale de
l'Assemblée nationale impliquant notamment que le gouvernement émane d’elle et
soit responsable devant elle. Encore n'est-elle valable qu'autant qu'il existe
une majorité absolue de députés du PS-PCF à l’Assemblée
nationale.
C’est donc une revendication, un mot d’ordre d’apparence
démocratique mais qui prend sa force par son caractère de classe, son caractère
de front unique ouvrier, opposé à la collaboration avec la bourgeoisie. Il
signifie le pouvoir aux partis ouvriers, rupture avec la bourgeoisie, pour une
politique mettant en cause le régime capitaliste, répondant aux intérêts de la
classe ouvrière, de la jeunesse et des masses populaires.
Il signifie mettre concrètement en cause le
fonctionnement de l’Etat bourgeois tel que celui-ci a été structuré et
fonctionne sous la Ve République. Il ne peut être caractérisé comme une “
réforme nécessaire ” . Dans la mesure où il est une revendication démocratique,
il est une revendication de la “ démocratie révolutionnaire ” . Il exige la
mobilisation révolutionnaire des masses et appelle à cette
mobilisation.
De toute évidence, on oppose la “ ligne de la démocratie
” à celle que la formule “ on ne peut aller de l'avant si on craint d'aller
au socialisme” implique. Certaines positions développées à diverses reprises
dans Informations ouvrières sont inquiétantes. Ainsi, Informations
ouvrières n° 1083, en date du 4 décembre 1982, rapporte en ces termes ce que
disait Seldjouk dans son rapport à la Conférence des groupes politiques à propos
du socialisme et de la démocratie.
“ Que demandons-nous ? Le socialisme pour demain matin
comme l'a suggéré démagogiquement Christian Pierret dans un discours à
l'Assemblée nationale ? Chacun sait bien que non. Le PCI qui a pris l'initiative
de la manifestation d'hier et de la conférence d'aujourd'hui, combat pour le
socialisme, incontestablement, et chacun de ses actes est motivé par ce but
qu'il se fixe. Et n'en déplaise à ceux qui prétendent parler au nom des
travailleurs. Les travailleurs sauront s'ouvrir cette voie. Et nous, PCI, les y
aiderons. .
La démocratie...
Camarades, ce que nous réclamons, c'est le respect d'un
principe dont se revendiquent, du moins en paroles, la quasi-totalité des partis
et hommes politiques de ce pays : nous demandons le respect de la démocratie. La
démocratie, c'est la domination de la majorité. Or, rarement la volonté de la
majorité s'était exprimée les 10 mai, 14 et 21 juin 1981 avec autant de force
dans l'histoire de notre pays.
En chassant Giscard, la majorité UDF-RPR, la majorité a
dit : assez de la domination de la minorité des exploiteurs et de leurs partis :
nous ne voulons plus les voir au pouvoir ?
En désignant une majorité de députés du PS et du PCF, la
majorité a dit : gouvernez dans le sens de nos revendications et de nos
aspirations, utilisez le pouvoir que nous vous confions pour desserrer l'étau du
chômage et de la dégradation générale des conditions d'existence qui étouffent
des milliers de familles ouvrières. La volonté de la majorité s'est clairement
manifestée. La volonté de la majorité doit être respectée. La démocratie doit
être respectée. Adopter un budget soumis aux injonctions de la minorité des
exploiteurs battus avec les partis UDF-RPR les 14 et 21 juin, c'est tourner le
dos au mandat du peuple et bafouer la démocratie.
Imposer à la majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale une
mesure à laquelle elle s'était opposée, par le recours aux mécanismes les plus
antidémocratiques des institutions réactionnaires de la Ve République, en
l'occurrence l'article 49 ter, comme cela fut fait voilà 10 jours à propos de
l'amnistie des généraux de l'OAS, c'est bafouer la démocratie
(...).
...Exige le respect du
mandat...
La démocratie exige le respect du mandat. La démocratie
exige que l'Assemblée se déclare souveraine et prenne en mains tous les pouvoirs
afin de résoudre les graves problèmes auxquels sont confrontés ceux qui ont
mandaté cette majorité, c'est-à-dire la classe ouvrière et l'ensemble des
couches laborieuses de ce pays (...). ”
Nous venons de le voir, identifier la “ démocratie ” à
une majorité électorale et au respect de cette majorité électorale n'est pas
sans danger. C'est vrai, la quasi-totalité des partis et des hommes politiques
(des partis et hommes politiques ouvriers et bourgeois “ de droite ” comme de “
gauche ” ) identifient démocratie et majorité sortie des urnes. Et pas seulement
eux : la plus grande partie des masses populaires également. Il y a dans ce que
dit Seldjouk l'idée juste suivante : en élisant une majorité de députés PS-PCF,
la majorité réelle de la population, celle des exploités, est parvenue .à
s'exprimer. Pour une fois, majorité réelle et majorité sortant des urnes,
majorité parlementaire ont coïncidé. En conséquence : que la majorité de députés
du PS et du PCF décrète : “ L'Assemblée nationale est souveraine et elle prend
tous les pouvoirs. ”
S'exprimer ainsi, c'est se placer sur le terrain de la
lutte des classes et non se référer à une majorité électorale plus ou moins
épisodique. Mais que veut dire cette fausse discussion avec Christian Pierret
?
Pierret proclame : “ Le socialisme n'est pas pour
demain matin ” , et Seldjouk répond en substance : “ D'accord, le socialisme
n'est pas pour demain matin, d'ailleurs le socialisme, ce n'est plus votre
affaire, c'est l'affaire du prolétariat.., et du PCI. ” C'est un tour de
passe-passe. L'affirmation de Pierret signifie en réalité : “ Le moment n'est
pas venu de s'engager sur la voie qui mène au socialisme ” , et nullement, “ Le
socialisme ne sera pas réalisé demain matin. ” Et Seldjouk marche dans la
combine de Pierret. Il ne met pas à jour son escroquerie politique: Il répète
après Pierret.., le socialisme, ce n'est pas pour demain, alors qu'il s'agit de
savoir si on s'engage .sur la voie qui conduit au socialisme. C'est là que tout
se concentre.
“ En désignant une majorité de députés du PS et du PCF
la majorité a dit : gouvernez dans le sens de nos revendications et de nos
aspirations, utilisez le pouvoir que nous vous confions pour desserrer l'étau du
chômage, de la dégradation générale des conditions d'existence qui étouffe des
milliers de familles ouvrières. ”
Voilà qui est fort bien dit. Mais comment est-ce
possible sans mettre en cause le régime capitaliste, sans notamment un plan de
production qui répond aux besoins des masses et brise avec la logique du profit
?
Comment est-ce possible sans mettre en cause la
propriété privée des principaux moyens de production et sans exproprier les
grandes sociétés capitalistes ? Comment est-ce possible sans en appeler à la
mobilisation des masses et notamment au contrôle ouvrier?
Pourquoi ne pas répondre à la façon dont Lénine
répondait déjà dans la Russie pourtant économiquement arriérée de 1917 pour “
conjurer la catastrophe ” ?
“ Ou bien l'on est réellement démocrate révolutionnaire
et alors on ne saurait craindre de s'acheminer vers le socialisme. Ou bien l'on
craint de s'acheminer vers le socialisme et l'on condamne tous les pas faits
dans cette direction sous le prétexte, comme le disent les Plekanov, les Dan et
les Tcheranov, que notre révolution est bourgeoise, qu'on ne peut "introduire"
le socialisme, etc. Dans ce cas, on arrive fatalement à la politique de
Kerensky, Milioukov, Kornilov, c'est-à-dire la répression bureaucratique
réactionnaire des aspirations démocratiques révolutionnaires des masses
ouvrières”
Quelques voix s'élèveront sans doute pour dire :
attention, ne confondons pas, en Russie en 1917, les soviets existaient. Rien de
tel. n'existe en France en 1984. Lorsque Lénine parlait de démocratie
révolutionnaire, il pensait aux soviets. De plus “ la catastrophe imminente ” et
les moyens de la conjurer a été écrite entre le 10 et le 14 septembre 1917,
environ un mois avant la prise du pouvoir par les bolcheviks. Ces arguments ne
valent rien. Il s'agit de savoir comment peuvent être satisfaites les
revendications et aspirations des masses. Il s'agit de savoir ce que le PS et le
PCF doivent faire alors qu'ils dirigent le gouvernement et qu'ils disposent
d'une majorité écrasante à l'Assemblée nationale. .
L'argument selon lequel on ne peut demander au PS et au
PCF de s'engager sur la voie qui mène au socialisme parce qu'ils se situent sur
le terrain de la “ démocratie ” , ou que l'on ne peut leur demander “
d'appliquer notre programme ” ne vaut pas plus cher.
S'il s'agit du respect de leur engagement et seulement
de cela, alors le PS et le PCF, Mitterrand se sont engagés à... respecter la Ve
République, sa Constitution, ses institutions... Ils ne se sont pas engagés à
l'acte révolutionnaire qui serait de décider que l'Assemblée nationale “ se
déclare souveraine ” et prenne en mains tous les pouvoirs. Ils comprennent la “
démocratie ” dans le cadre de la Ve République et de ses institutions. A cet
égard, ils sont fidèles à “ leurs engagements ” , comme à beaucoup d'autres
points de vue qu'expriment les l10 propositions que François Mitterrand a
formulées au cours de la campagne des élections
présidentielles.
Se situer sur le terrain du “ contrat ” qu'ils auraient
passé avec “ le peuple ” , c'est s'engager dans une impasse. Déclarer que les
revendications du Programme de transition ne sont pas les leurs, mais
celles des trotskystes, et qu'on ne peut leur demander d'appliquer notre
programme, c'est également s'engager dans une impasse.
Une chose est de ne pas conditionner l'appel à voter
pour les candidats du PS et du PCF au cours d'élections afin de battre les
candidats bourgeois. Une autre chose sont les revendications que nous adressons
aux dirigeants du PS et du PCF lorsqu'ils sont au pouvoir. D'abord, s'ils se
réclament de la “ démocratie ” , d'une certaine “ démocratie ” , ils se disent
également “ socialistes ” ou “ communistes ” , bien qu'il soit vrai que leur “
socialisme ” , leur “ communisme ” vaut pour les “ dimanches et jours de fête ”
, tout comme leur “ démocratie ” est celle acceptable par la bourgeoisie. Il est
donc tout aussi justifié d'exiger d'eux qu'ils s'engagent sur la voie qui mène
au socialisme qu'il est justifié d'exiger de la majorité de députés du PS et du
PCF qu'elle décrète que l'Assemblée nationale est souveraine. D'ailleurs, quelle
autre signification peut avoir ce que le Programme de transition
écrit:
“ De tous les partis et organisations qui s'appuient sur
les ouvriers et paysans et parlent eu leur nom, nous exigeons qu'ils rompent
politiquement avec la bourgeoisie et entrent dans la voie de la lutte pour le
gouvernement ouvrier et paysan. ”
Les revendications que nous adressons au nom des masses
aux dirigeants du PS et du PCF, notamment lorsqu’ils sont au pouvoir, émanent de
notre programme et ne peuvent qu’en émaner. Sans quoi, cela signifierait qu’il
peut y avoir un autre programme répondant aux besoins , aux exigences, aux
intérêts des masses laborieuses, ou bien que notre programme doit être révisé.
Bien sûr, il ne s'agit pas de lancer indistinctement toutes les revendications
et les mots d'ordre que contient notre programme, mais celles et ceux qui
correspondent aux besoins de l'heure, aux développements de la lutte des classes
en tenant compte de l'état d'esprit des masses. Nous devons dire : la question
n'est pas de savoir si telle ou telle revendication est incluse dans le
programme du PS ou (et) du PCF, mais : “ Pour desserrer l'étau du chômage, pour
satisfaire les aspirations de la population laborieuse, les revendications,
etc., prendre ces mesures est-ce oui ou non indispensable ? ” ; tout comme nous
disons : “ N'est-il pas indispensable que, compte tenu qu'ils disposent de la
majorité absolue, les députés du PS et du PCF proclament la pleine souveraineté
de l'Assemblée nationale ” ?
En fait, nous devons montrer la relation existante entre
les mesures anticapitalistes indispensables à prendre et l'acte révolutionnaire
que serait la proclamation de la pleine souveraineté de l'Assemblée nationale
par les députés du PS et du PCF. Les dirigeants du PS et du PCF sont contre
l'application de la démocratie réelle, de la “ démocratie révolutionnaire
” , comme disait Lénine, parce qu'ils ne veulent pas mettre en cause le
régime capitaliste, parce qu'ils le défendent, parce qu'ils ne veulent pas
rompre avec la bourgeoisie. Au contraire, ils font sa politique, ils répondent à
ses besoins et exigences.
Il n'y a pas la “ ligne de la démocratie ” et celle pour
“ s'engager sur la voie qui mène au socialisme ” , mais une ligne unique réelle
qui intègre les revendications démocratiques, la défense des libertés
démocratiques et s'engage sur la voie qui conduit au socialisme par les
revendications et mots d'ordre de transition :
“ Il faut aider les masses dans le processus de leur
lutte quotidienne à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le
programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de
revendications transitoires partant des revendications actuelles et la
conscience actuelle des larges couches de la classe ouvrière et conduisant
invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le
prolétariat. ”
Y compris à propos de l'Espagne en 1931, alors qu'il
insistait sur l'importance décisive des mots d'ordre démocratiques, Léon Trotsky
ajoutait :
“ Le programme radical de la législation sociale, en
particulier l'assurance chômage, le rejet des charges fiscales sur les classes
possédantes, l'enseignement général gratuit, toutes ces mesures et des mesures
semblables qui ne dépassent pas encore le cadre de la société bourgeoise doivent
être inscrites sur le drapeau du parti du prolétariat.
En même temps (souligné par moi), il faut dès maintenant mettre en
avant les revendications à caractère transitoire : nationalisation des chemins
de fer, qui en Espagne, sont tous propriété privée ; nationalisation des
banques, contrôle ouvrier de l'industrie ; enfin réglementation de l'économie
par l'Etat. Toutes ces revendications sont liées au passage du régime bourgeois
au régime prolétarien, elles préparent ce passage pour, après la nationalisation
des banques et de l'industrie, se fondre dans le système des mesures de
l'économie organisée qui prépare la société socialiste.
”
Le Programme de transition n'est pas une sorte de
chapelet dont il faudrait égrener les mots d'ordre et revendications les uns
après les autres jusqu'à la réalisation de la dictature du prolétariat, Il faut
déterminer les mots d'ordre et revendications qui répondent à une situation
déterminée en fonction des rapports entre les classes et en tenant compte de
l'état d'esprit des masses. En d'autres termes, il faut savoir saisir le ou les
maillons décisifs de la chaîne. Ces mailIons peuvent varier selon les moments.
En France, quels sont-ils actuellement ? Qu’on le veuille ou non, ce ne sont pas
ceux de “ la démocratie ” en général. Ce sont ceux de la défense des conquêtes
et des acquis de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires, et
de la solution à la crise économique sur la base de laquelle, compte tenu des
rapports entre les classes, se développe la crise sociale et politique qui, à
son tour, accentue et risque de précipiter la crise économique. C’est pour
répondre à ces problèmes qu’il nous faut un programme de défense de la classe
ouvrière, de la jeunesse et des masses laborieuses. Au centre de ces problèmes,
se situe la réponse à la question: comment résoudre la crise ?
Certains estiment qu'il n'y a pas besoin d'un tel
programme puisqu'il y a le Programme de transition ou un ensemble de
réponses politiques qui y correspondraient dans notre presse et notre activité.
Encore une fois, il s’agit, en partant du Programme de transition et de
sa méthode, d ’élaborer un programme répondant concrètement aux problèmes
auxquels sont confrontés la classe ouvrière et les exploités de ce pays dans la
situation actuelle. cela, nous ne l’avons pas. Et pourtant, c’est essentiel pour
donner son unité à notre politique. Sans quoi nous avons une somme de mots
d’ordre, de revendications mais pas une politique globale. Pour construire un
parti, il faut formuler les réponses aux questions fondamentales qui se posent
dans le pays, et notamment celle : comment résoudre la crise ?
Certains disent même que nous ne pouvons répondre à “
comment résoudre la crise ” , “ puisque pour résoudre la crise, il faut prendre
le pouvoir et en finir avec le capital ” . Laissons-leur la responsabilité de
ces affirmations. Mais l'on peut constater que ce n'était pas l'avis de Trotsky.
Dés le printemps 1934, Trotsky écrivait dans un court article intitulé : “
Pour un programme d'action ” :
“ La question de "l'économie ", de 1"'équilibre du
budget ", c'est la question de la diminution des salaires, des pensions, des
secours de chômage, etc., et c'est maintenant la question la plus brûlante. Ici,
nous sommes sur la défensive, mais il faut la mener d'une manière précise et
vigoureuse. ”
Ensuite, il soulignait l'importance du mot d'ordre du “
contrôle ouvrier ” . Face à la menace fasciste, il mettait en avant le mot
d'ordre de “ milice ouvrière et paysanne, d'armement du peuple ” . Et il
ajoutait :
“ Avec le contrôle ouvrier et la milice, nous restons
toujours sur la défensive. Nous ne voulons pas permettre de rejeter la société
dans la barbarie et la décomposition. Mais cela ne suffit pas. Il faut faire
sortir la société de l'impasse où elle se trouve et, pour cela, il faut recréer
l'économie nationale de fond en comble en l'adaptant aux intérêts du peuple
travailleur et en sacrifiant les privilégiés des sommets oustricards et
staviscrates. ”
Il insistait alors sur la question clé du gouvernement
:
“ D'un gouvernement du peuple travailleur, un
gouvernement ouvrier et paysan (...). Le gouvernement, en expropriant les
richesses des exploiteurs, pourra diminuer les impôts qui retombent sur les
paysans et la petite bourgeoisie des villes. En éliminant la concurrence par
l'économie planifiée, le gouvernement ouvrier et paysan pourra laisser aux
petits propriétaires (paysans, artisans, commerçants) la pleine liberté de
disposer de leur propriété et leur assurer en même temps de scommandes de l'Etat
à des prix qui doivent élever considérablement leur niveau de vie.
”
Il écrivait encore :
“ Pour la classe ouvrière, et c'est par cela qu'il
faudrait peut être commencer, il est à indiquer que 1’"économie planifiée
permettra de passer immédiatement à la journée de 7 heures et, pour des
industries extractives et insalubres, de 6 heures, et d'instaurer un système
accompli de véritables assurances sociales. ”
“ Mais aujourd'hui, il n'y a pas de ligues fascistes..,
les masses ne ressentent pas la nécessité de la milice ouvrière, de l'armement
du prolétariat.., donc nous ne pouvons élaborer un programme d'action. ” De tels
arguments ont déjà été entendus. Ceux qui les utilisent ou les utiliseraient ne
se rendent pas compte qu'ils condamnent ainsi “ la ligne de la démocratie ” . En
effet, la classe ouvrière, les masses laborieuses n'ont pas le sentiment que
leurs libertés, leurs organisations sont menacées actuellement par des bandes
fascistes (bien que cela puisse venir) et un programme de défense de la classe
ouvrière, de la jeunesse et des masses laborieuses n'a pas à mettre en avant
immédiatement le mot d'ordre de milices ouvrières. Par contre, ce qui est au
premier plan, c'est la défense des acquis économiques, sociaux et politiques, et
la solution à la crise.
Peut-être va-t-on objecter : “ Le contrôle ouvrier, le
plan, les nationalisations, etc., mais vous n'y pensez pas.., et les lois
Auroux, et la “ planification démocratique ” et les nationalisations déjà
effectuées en France qui portent sur la plus grande partie du crédit et une
partie déterminante de l'industrie.., ce serait nous engager sur la voie du
corporatisme. ” Objections banales.
Trotsky y répondait déjà d'une certaine manière au cours
des années 1934-1936. Les “ planistes ”existaient déjà alors et leur inspiration
était la même que celle des “ autogestionnaires ” de la CFDT et d'ailleurs
d'aujourd'hui. Ce sont eux, par exemple, qui ont inspiré le “ 'plan ” de la CGT
de 1934. Pierre Broué, qui a présenté et choisi les textes de Léon Trotsky
publiés dans le recueil Le mouvement communiste en France, lequel
contient le texte du “ plan de la CGT à la conquête du pouvoir ” , indique en
note :
“ C'est en 1933 que le socialiste belge Henri de Man
avait fait adopter les thèses sur la planification au congrès du Parti ouvrier
belge. Les idées planistes furent répandues en France par le groupe "Révolution
constructive " dont Georges Lefranc était un des animateurs. Le bureau d'étude,
créé sur la proposition de Jouhaux du CCN de la CGT en mai 1934, élabora un
"plan de travail" qui fut adopté en octobre 1934 par le CCN.
”
Je renvoie les camarades à la lecture de ce texte qui, à
mon sens, répond parfaitement à la façon dont il faut argumenter sur ces
questions. Je ne citerai que ce déjà long passage :
Le but du plan
“ Dans les différents exposés de la CGT nous lisons
souvent qu'il s'agit de rénovation de l'économie nationale, parfois opposée à la
réorganisation économique et sociale, mais parfois aussi identifiée à
celle-ci.
Camarades, il est bien difficile de dire aux ouvriers,
aux paysans : "Nous voulons la rénovation de l'économie nationale ", alors que
tout le monde se sert maintenant de la même expression : les jeunesses
patriotes, les démocrates populaires, "le Front paysan ", parfois même les
radicaux, mais surtout M. Flandin, proclament et promettent tous la rénovation
et même la réorganisation de l'économie nationale. Il faut que notre plan se
distingue de ceux de l'ennemi de classe par la définition précise de son
but.
Toutes les rénovations et réorganisations dont je viens
de parler veulent rester sur la base capitaliste, c'est-à-dire sauvegarder la
propriété privée des moyens de production. Et le plan de la CGT ? S'agit-il de
rénover l'économie capitaliste ou de la remplacer par une autre ? J'avoue ne pas
avoir trouvé une réponse exacte à cette question. Parfois nous lisons dans les
mêmes exposés qu'il s'agit non pas d'une transformation du régime actuel, mais
seulement de mesures d'urgence pour pallier la crise.
Cependant, nous trouvons aussi cette affirmation que les
mesures d'urgence doivent ouvrir la voie à des transformations profondes.
Peut-être que tout cela est juste, mais on ne trouve jamais la définition exacte
du régime auquel on veut abolir. De quel ordre doivent être les transformations
dites profondes? S'agit-il seulement - je ne parle qu'hypothétiquement - de
transformer une partie du capitalisme privé en capitalisme d'Etat ? Ou bien
voulons-nous remplacer le capitalisme tout entier par un autre régime social ?
Lequel ? Quel est notre but final ? C'est étonnant, camarades, mais tous les
exposés et même les "notes à l'usage des propagandistes " n'en disent absolument
rien. Voulons-nous remplacer le capitalisme par le socialisme, par le communisme
ou par l'anarchie proudhonienne ? Ou bien voulons-nous tout simplement rajeunir
le capitalisme en le réformant et en le modernisant ? Quand je veux me déplacer
pour une ou deux stations seulement, je dois savoir où va le train. Même pour
des mesures d'urgence, nous avons besoin d'une orientation générale. Quel est
l'idéal social de la CGT ? Est-ce le socialisme ? Oui où non ? Il faut qu'on
nous le dise, sinon, comme propagandistes, nous restons tout à fait désarmés
devant la masse. ”
Il faut s'attendre à la réplique : “ Il nous faut
intervenir dans la lutte des classes, ou c'est là de l'idéologie, de la
propagande. ” A quoi il importe de répondre : “ D'abord, il ne faut pas,
confondre idéologie et propagande. La propagande est tout aussi indispensable
que l'agitation pour intervenir dans la lutte des classes et construire le parti
de la IVe Internationale. ” De plus, ce n'était pas l'avis de Trotsky qu'il
s'agissait seulement de propagande. De ce point de vue, la deuxième partie de sa
petite brochure “ Encore une fois, où va la France ? ” est remarquable et
tant pis si cela allonge cette contribution, il faut la citer (pages 52-53 de
Où va la France) :
“ Le document le plus autorisé sur la question des
"revendications immédiates " est la résolution programmatique du comité central
du Parti communiste (voir L'Humanité du 24 février). Nous nous arrêterons à ce
document.
L'énoncé des revendications. immédiates est fait très
généralement : défense des salaires, amélioration des assurances sociales,
conventions collectives, "contre la vie chère ", etc. On ne dit pas un mot sur
le caractère que peut et doit prendre dans les conditions de la crise sociale
actuelle la lutte pour ces revendications. Pourtant, tout ouvrier comprend
qu'avec deux millions de chômeurs complets et partiels, la lutte syndicale
ordinaire pour des conventions collectives est une utopie.
.
Pour contraindre dans les conditions actuelles les
capitalistes à faire des concessions sérieuses, il faut briser leur volonté ; on
ne peut y parvenir que par une offensive révolutionnaire. Mais une offensive
révolutionnaire qui oppose une classe à une classe ne peut se développer
uniquement sous des mots d'ordre économiques partiels. On tombe dans un cercle
vicieux. C'est là qu'est la principale cause de la stagnation du front
unique.
La thèse marxiste générale - les réformes sociales ne
sont que les sous-produits de la lutte révolutionnaire - prend à l'époque du
déclin capitaliste l'importance la plus immédiate et la plus brûlante. Les
capitalistes ne peuvent céder aux ouvriers quelque chose que s'ils sont menacés
du danger de perdre tout.
Mais même les plus grandes "concessions " dont est
capable le capitalisme contemporain, lui-même acculé dans l'impasse, resteront
absolument insignifiantes en comparaison avec la misère des masses et la
profondeur de la crise sociale. Voilà pourquoi la plus immédiate de toutes les
revendications doit être de revendiquer l'expropriation des capitalistes et la
nationalisation (socialisation) des moyens de production... Cette revendication
est irréalisable sous la domination de la bourgeoisie ?
Evidemment.
C'est pourquoi il faut conquérir le pouvoir.
”
Plus loin :
“ Dans la période présente - remarque inopinément la
résolution - la lutte économique nécessite de la part des ouvriers de lourds
sacrifices. Il faudrait encore ajouter : et ce n'est que par exception qu'elle
promet des résultats positifs. Et pourtant, la lutte pour les revendications
immédiates a pour tâche d'améliorer la situation des ouvriers. En mettant cette
lutte au premier plan, en renonçant pour elle aux mots d'ordre révolutionnaires,
les staliniens considèrent, sans doute, que c'est précisément la lutte
économique partielle qui est le plus capable de soulever de larges masses. Il
s'avère justement le contraire : les masses ne font presque aucun écho aux
appels pour des grèves économiques.
Comment peut-on donc en politique ne pas tenir compte
des faits ?
Les masses comprennent ou sentent que dans les
conditions de la crise et du chômage, des conflits économiques partiels exigent
des sacrifices inouïs, que ne justifieront en aucun cas les résultats obtenus.
Les masses attendent et réclament d'autres méthodes, plus efficaces. Messieurs
les stratèges, apprenez chez les masses : elles sont guidées par un sûr instinct
révolutionnaire. ”
Et encore :
“ La formule politique marxiste en fait doit être
celle-ci en expliquant chaque jour aux masses que le capitalisme pourrissant ne
laisse pas de place non seulement à l'amélioration de leur situation mais même
pour le maintien du niveau de misère habituelle, en posant ouvertement devant
les masses la tâche de la révolution socialiste, comme la tâche immédiate de nos
jours, en mobilisant les ouvriers pour la prise dû pouvoir, en défendant les
organisations ouvrières au moyen de la milice. Les communistes (ou les
socialistes) ne perdent pas, en même temps, une seule occasion pour arracher
chemin faisant à l'ennemi telle ou telle concession partielle ou au moins pour
l'empêcher d'abaisser encore le niveau de vie des ouvriers.
”
Mais tout cela se passait il y a un demi-siècle. La
situation actuellement est profondément différente, dira-t-on
peut-être.
Assurément, la situation actuelle présente de profondes
différences. A l'échelle mondiale, le prolétariat n'a depuis 1943, subi aucune
défaite décisive. Plus encore, sa puissance sociale et politique s'est
considérablement accrue. Le capital a été exproprié à une échelle
gigantesque.
Dans les pays impérialistes dominants, le prolétariat a
arraché d'immenses conquêtes sociales et politiques. Les empires coloniaux ont
été disloqués. La révolution prolétarienne est à l'ordre du jour de l'Amérique
latine à l'Europe de l'Ouest, la révolution politique couve en Pologne. Elle
jaillit de temps à autre ainsi que jaillit la lave brûlante d'un volcan.
annonçant l'éruption. Elle est à l'ordre du jour en Europe de l'Est et en URSS.
La crise de l'impérialisme a atteint un niveau où la dislocation de l'économie
capitaliste, reconstruite après la guerre mais grâce au volant d'entraînement de
l'économie d'armement et du parasitisme multiforme, est à l'ordre du
jour.
L'impérialisme US a concentré chez lui toutes les
contradictions poussées à l'extrême du capitalisme à son stade impérialiste. La
crise économique, sociale et politique du système capitaliste se conjugue
étroitement à celle qui étreint les bureaucraties parasitaires dont au premier
chef celle du Kremlin. En 1934-1935, l'appareil international de la bureaucratie
du Kremlin triomphait. Il encamisolait le mouvement ouvrier, il paralysait la
classe ouvrière, il confortait d'une certaine manière les appareils réformistes
et il provoquait les plus terribles défaites que le prolétariat ait jamais
subies au cours de son histoire. Aujourd'hui, il est en crise.
En ce qui concerne la France, la situation du
capitalisme est encore plus catastrophique qu'elle ne l'était au cours des
années 1930. Il est un des chaînons les plus faibles parmi la chaîne des
puissances impérialistes alors que sa dépendance par rapport au marché mondial
et à la division internationale du travail s'est multipliée. La tentative
d'établir un régime bonapartiste fort est un échec historique même si le
bonapartisme se survit sous une forme bâtarde. La victoire politique remportée
par la classe ouvrière et la population laborieuse en chassant, même si c'est au
moyen du bulletin de vote, Giscard, en élisant Mitterrand à la présidence de la
République et une écrasante majorité de députés du PS et du PCF à l'Assemblée
nationale, a établi une situation pré-révolutionnaire.
Elle ouvre la voie à de grandes luttes de classes, à une
situation révolutionnaire, à la révolution prolétarienne. La crise de l'Etat, la
crise qui se développe au sein du PS et du PCF se conjuguent. Le PS et le PCF,
partis ouvriers (et dans le cas du PS, parti ouvrier parlementaire) doivent
couvrir le fonctionnement de l'Etat bonapartiste que Mitterrand et son
gouvernement assument, alors que ce gouvernement doit mener l'offensive la plus
réactionnaire qui ait été engagée depuis la fin de la guerre contre la classe
ouvrière, la jeunesse et la population laborieuse (et aussi contre la petite
bourgeoisie). Et cela les distord. Ces données et d'autres contribuent à ouvrir
des brèches dans le dispositif anti-ouvrier.
Les coups que subissent les masses populaires, la classe
ouvrière, les poussent à transférer la victoire politique de mai-juin 1981 sur
le terrain de la lutte des classes ouverte, en utilisant leurs propres moyens et
méthodes de classe.
Pourtant, voilà maintenant plus de deux ans et demi que
cette victoire a été remportée. Les conditions d'existence des masses
s'aggravent,. les réformes réactionnaires s'accumulent et se développent. Les
acquis sont remis en question. Le chômage est devenu un chômage de masse. Il ne
peut que s'aggraver.
Et il n'y a pas eu, jusqu'alors, d'engagement massif de
la classe ouvrière sur son terrain et en utilisant ses méthodes de classe. A
plusieurs reprises, nous avons estimé que la voie s'ouvrait à de puissants
mouvements mobilisant d'importants secteurs de la classe ouvrière en avant-garde
d'un mouvement général.
Dès le 17 octobre 1981, nous titrions le n° 1022
d'lnformations ouvrières : “ Renault : premiers affrontements de
classes depuis le 10 mai ” . Dans le n° 1038 du 30 janvier l982, nous
écrivions : “ Grèves en série pour protéger les acquis ” . Le numéro
suivant était titré : “ Ce que signifient les grèves en cours ” . Et,
nous expliquions :
“ Si la politique du gouvernement se poursuit, elle
construira elle-même un lien étroit entre les grèves à forme "revendicative " et
le débouché politique qu'elles se cherchent et qu'elles trouveront dans un
mouvement massif d'ampleur nationale. ”
Un des sous-titres de l'appel du XXVIIe Congrès du PCI,
daté du 30 décembre 1982, publié dans Informations ouvrières n° 1087,
était : “ 1983 : une année de combats décisifs. ” Le numéro 1091 du 28
janvier 1983 publiait un éditorial intitulé : “ A propos des grèves en cours
” , où il était écrit :
“ C'est une évidence : les motifs des grèves en cours
concernent la totalité des ouvriers de l'automobile. Et au-delà. Et si ce n'est
pas l'actuel mouvement gréviste qui constitue le commencement de l'explosion
redoutée par Le Figaro, ce sera le suivant. ”
A la veille des élections municipales, les mineurs de
Carmaux contraignaient les dirigeants de leurs organisations syndicales à
l'unité. Ils engageaient la grève contre la compression des effectifs et
remportaient une victoire totale. Informations ouvrières n°1097, du 15
mars 1983, écrivait :
“ Une question se pose aux dirigeants et aux groupes
parlementaires PS et PCF : la poursuite de la politique d'entente avec les
capitalistes suivie jusqu'à présent conduit non seulement à l'échec électoral,
mais accumule les motifs d'inquiétude et de mécontentement parmi les
travailleurs comme autant de matières inflammables qui vont se concentrer. Il
suffirait alors de la moindre étincelle - telle une grève comme celle des
mineurs de Carmaux - pour allumer l’incendie.”
La grève des étudiants en médecine et le mouvement des
étudiants d'autres disciplines obligeaient le gouvernement à. reculer, notamment
en ce qui concerne les dispositions que prévoyait le projet de loi Savary sur
l'enseignement supérieur, dispositions qui organisent la sélection à l'entrée du
2e cycle. Sous la direction des militants du PCI, l'UNEF-ID jouait un rôle
majeur dans ce combat. A l'annonce que leurs tarifs préférentiels de
consommation d'électricité -pouvaient être remis en cause, les agents de
l'EDF-GDF imposaient aux directions syndicales qu'elles donnent au moins
parallèlement un ordre de grève de quelques heures le 31 mai. La grève était
suivie à 85 %. Le ministre annonçait alors qu'il n'était pas question de
remettre en cause ces avantages acquis.
Le 17 juin, le syndicat autonome traction de la RATP
approuvait la classification par niveau mais, s'opposant à la revendication des
syndicats CGT, FO, CFDT des autres catégories d'exécution qui réclamaient pour
ces catégories la parité avec les conducteurs, appelait pour maintenir les
différences salariales entre l'ensemble des catégories d'exécution et les
conducteurs de métro, à une grève de 24 heures. Elle était suivie par 80 à 90 %
dès conducteurs. A la suite des mouvements et des grèves du printemps 1983, nous
avons estimé que se réunissaient les conditions de puissantes luttes de classe à
la rentrée de septembre-octobre, se dressant contre les mesures prises par le
patronat et le gouvernement et que ces mouvements “ convergeraient vers la
grève générale ” .
Le numéro 1109 d'Informations ouvrières, en date
du 3 juin, titrait : “ Contre la rentrée catastrophique de Savary, pour que
dans l'unité des travailleurs et des organisations soit organisée la grève
générale de l'enseignement. Partout, désigner des délégués à la conférence du 11
septembre. ”
Ensuite, c'était l'appel de Neuves-Maisons qui affirmait
:
“ Le moment est trop grave. M. Levy ne laisse plus
qu'une seule issue à la population ouvrière de Neuves-Maisons : le combat pour
que les travailleurs et les organisations décident la grève générale.
”
Une assemblée d'employés de la Sécurité sociale, réunie
à l'initiative du PCI, se tenait le 24 août. Elle s'adressait à tout le
personnel :
“ Nous employés de Sécurité sociale réunis à
l'initiative du PCI, nous proposons que se discute dans tous les centres, tous
les services : la grève. M. Beregovoy doit reculer. A lors, pour cela, grève !
Dans l'unité du personnel et des organisations, grève pour imposer l'abrogation
de l'avenant. ”
Le numéro 2 du Courrier des travailleurs des PTT, édité
par la commission ouvrière du PCI, du 10 septembre exigeait
:
“ Avant le 1er octobre ! Retrait du plan
Mexandeau-Daucet. Pour cela : tous les moyens doivent être utilisés dans l'unité
des travailleurs et des organisations pour faire reculer Mexandeau-Daucet. Tous
les moyens y compris la grève, 18 septembre : conférence nationale des
PTT.”
Et l'éditorial insistait :
“ C'est maintenant, c'est tout de suite que tous
les moyens doivent être utilisés dans l'unité des travailleurs et des
organisations, tous les moyens y compris la grève. Pour les postiers des
bureaux-gares et des centres de tri, une nécessité s'impose : annulation du
plan du 1er octobre ; alors, pour cela : grève ! ”
Jusqu'ici, ni dans l'enseignement, ni dans les PTT, ni à
la Sécurité sociale, ni dans la sidérurgie, ni en d'autres corporations, il n'y
a eu de mouvements débouchant sur la grève générale. Pourtant, sous des formes
multiples et diverses, des attaques extrêmement dures ont été engagées contre
les travailleurs de ces corporations. La volonté des travailleurs des PTT des
bureaux-gares d'engager le combat pour riposter aux attaques du gouvernement
contre leurs conditions de travail et leurs salaires s'est manifestée avec
force. Il faut néanmoins constater que cela n'a pas été le raz de marée qui en
certaines occasions submerge tous les obstacles. La volonté de résister aux
menaces de licenciements qui est celle des sidérurgistes et des mineurs a
contraint les dirigeants syndicaux à appeler en commun à une manifestation des
sidérurgistes à Longwy le 23 septembre et à une grève de 24 heures des mineurs
de Lorraine le 10 novembre. Le mouvement le plus explosif jusqu'alors a été
celui des travailleurs de chez Talbot contre les licenciements. Engagé sous
l'impulsion des travailleurs, ce mouvement a posé clairement la question de la
direction de la grève, celle de la grève générale des travailleurs de
l'automobile contre les licenciements.
Mais, après deux ans et demi de gouvernement de front
populaire, alors que les travailleurs sont les victimes des plus brutales
agressions contre leur pouvoir d'achat, leurs conditions d'existence et de
travail, leurs acquis sociaux, alors qu'il y a plus de deux millions de
chômeurs, il n'y a pas encore eu de déferlement. Et même par rapport à ces
agressions, les mouvements sont relativement peu nombreux. Ce n'est pas sérieux
de mettre sur le compte de la “ capitulation ” des dirigeants et de militants du
PCI le fait qu'il n'y ait pas eu, par exemple dans l'enseignement, les PTT, la
Sécurité sociale, éventuellement en d'autres corporations, de puissants
mouvements s'orientant vers la grève générale.
Les erreurs que nous pouvons commettre nous empêchent
d'aider la classe ouvrière à dégager les obstacles qui se dressent sur sa voie
alors que cela est possible. Dans quelle mesure des initiatives prises dans
l'Est de la France ont-elles aidé à la réalisation de la manifestation de Longwy
et à la grève de 24 heures des mineurs de charbon de Lorraine ? Il n'y a pas
d'instrument qui permet de le mesurer. Mais il est certain qu'elles y ont
contribué. Par contre, notre carence chez Talbot a joué à l'inverse. Mais le
fond de l'affaire est que nos analyses et nos réponses politiques sont
insuffisantes pour rendre compte de ce qui se passe dans la classe ouvrière et y
intervenir avec le maximum d'efficacité.
Ici, il est nécessaire de renouer avec ce que Léon
Trotsky expliquait en 1934-1935. Précisons bien : la classe ouvrière, la
jeunesse, les masses laborieuses n'ont subi aucune défaite ; les résultats
électoraux ne traduisent pas un affaiblissement politique du prolétariat mais
recouvrent au contraire un processus de maturation politique. Alors que l'Etat
est en crise, que le gouvernement est en crise, que les partis au pouvoir sont
en crise, il est inéluctable que la victoire politique de mai-juin 1981 amène à
un jaillissement du prolétariat sur le terrain de la lutte de classe directe et
ouverte et selon ses moyens et méthodes, Mais la classe ouvrière, surtout dans
ses couches profondes, prend de plus en plus conscience que la crise du régime
capitaliste met en cause toute la vie sociale et économique du pays, qu'il ne
s'agit plus seulement de la lutte quotidienne que se livrent le capital et lé
travail. Plus encore, elle ressent plus ou moins clairement que l'on ne peut se
permettre une agitation qui n'arriverait pas à déboucher sur les véritables
problèmes à résoudre et par là même ne ferait qu'aggraver la situation.
Instinctivement, de façon semi-consciente ou consciente, elle perçoit ce que
Trotsky expliquait dès 1934-1935 (bien qu'elle ne sache pas que Trotsky a écrit
cela et qui il est) :
“ La plus immédiate de toutes les revendications doit
être de revendiquer l'expropriation des capitalistes et la nationalisation
(socialisation) des moyens de production. ”
On objectera sans doute : “ Le champ des
nationalisations est déjà considérable et les travailleurs des entreprises
nationalisées du dépendantes de l'Etat n'en subissent pas moins les attaques que
subissent l'ensemble des travailleurs. Quant à la classe ouvrière dans son
ensemble, elle constate que ces nationalisations ne résolvent aucunement la
crise. ” C'est vrai. Mais la classe ouvrière sait que ces “nationalisations ” ,
loin de mettre en cause le régime capitaliste, loin d'être des “ socialisations
” , ont été faites pour le défendre et fonctionnent selon les normes du capital,
qu'elles ne peuvent pas, par conséquent, résoudre la
crise.
Est-ce à dire que la classe ouvrière, la jeunesse, les
masses laborieuses ne veulent pas défendre leur niveau de vie, leurs conquêtes,
leurs acquis, qu'elles acceptent de faire des chômeurs ? Certainement pas. Elles
veulent défendre leurs acquis. Elles ne veulent pas faire des chômeurs. Les
travailleurs sont prêts à s’exprimer massivement pour la défense du pouvoir
d’achat, pour que l’avenant mettant en cause le régime particulier de retraite
de la Sécurité Sociale soit rapporté, pour que le plan Giscard-Beulac-Haby-
Mitterand-Mauroy-Savary cesse d’être appliqué dans l’enseignement, pour exiger
de l’Assemblée nationale qu’elle vote une loi interdisant les licenciements,
etc. Il faut mettre en avant ces objectifs. Le PCI doit combattre pour ces
revendications en associant le plus largement possible pour impulser cette
bataille. Pourtant, si nous prenons par exemple la loi interdisant les
licenciements, les plus larges masses savent que ce peut être qu’une mesure
d’urgence. Elle n’empêchera pas la crise et même la
précipitera.
Elles se rendent compte de la concurrence
internationale, du rétrécissement du marché. Elles se rendent compte qu’une
charge semblable précipiterait de multiples entreprises capitalistes à la
faillite. Les masses savent que ce qu’elles arrachent d’un coté sera rapidement
remis en cause par le mouvement mécanique de la crise économique si leur action
ne débouche pas rapidement sur des objectifs plus
fondamentaux.
Bien entendu, ce n'est pas un absolu. Mais nous devons
analyser soigneusement ce qui s'est passé à Talbot. La grève n'étant pas dirigée
par un comité de grève assurant son unité, ouvrant à court terme la perspective
de la grève générale de l'automobile mais étant systématiquement disloquée par
les dirigeants syndicaux, la crainte de n'aboutir qu'à la fermeture pure et
simple de chez Talbot a pesé lourd dans la possibilité de manoeuvre de la
direction et a contribué à permettre l'affrontement. La nécessité d'une solution
globale à la question du chômage, à la question de la crise, que n'assure pas la
mesure d'urgence d'une loi interdisant les licenciements (bien au contraire),
est indispensable pour éviter la division, voire l'affrontement, entre ceux qui
sont licenciés et ceux qui espèrent pouvoir conserver, ne serait-ce que
provisoirement, leur travail. Personne ne joue le pire.
Comme parti, le PCI doit s'exprimer clairement et dire :
“ Nous combattons pour le maintien du pouvoir d'achat, pour une loi interdisant
les licenciements, pour le maintien de tous les acquis parce qu'il existe une
politique qui peut résoudre la crise, celle qui prendrait toutes les mesures
nécessaires pour établir et réaliser un plan de production répondant aux besoins
des larges masses populaires, élaboré et réalisé
sous le contrôle ouvrier, rompant avec la loi du profit
et l'économie capitaliste. ” Ce doit être l'objet d'une agitation constante.
Ainsi le PCI répondra aux aspirations et besoins des plus larges masses et unira
chômeurs et non chômeurs. Nous avons, par exemple, manqué l'occasion d'une
agitation extraordinaire au moment de la nationalisation des banques et de la
plus grande partie du crédit, en ne mettant pas en avant le mot d'ordre d'un
congrès des employés de banques et des établissements de crédit pour établir
publiquement les comptes de la nation.
Il est si vrai que l'on ne peut se contenter du mot
d'ordre d'une loi interdisant les licenciements, que le texte des 121 à Nantes
condamne “ la politique de déflation conduisant à multiplier le nombre de
chômeurs ” . Qu'est-ce que cela signifie, sinon que l'on ne peut défendre
valablement les revendications sans mettre en cause la politique économique du
gouvernement et se préoccuper d'une solution à la crise ? Mais la réponse donnée
dans ce texte est fausse. Elle se situe entièrement dans le dilemme insoluble
que posent les économistes bourgeois : déflation ou inflation. Polémiquant avec
Verecken à propos de la position à prendre vis-à-vis du plan De Man, Trotsky
écrivait :
“ Dans cette période de crise sociale, de secousses
économiques, l'inflation et la déflation sont deux instruments qui se complétant
pour faire retomber sur le peuple le prix du déclin du capitalisme, Les partis
bourgeois organisent de formidables discussions sur cette question : vaut-il
mieux égorger les travailleurs avec la scie de l'inflation ou le simple couteau
de la déflation ? Notre lutte à nous est dirigée avec la même vigueur contre la
scie et le couteau. ” (Oeuvres, tome 5,
pages 123 et 124)
Voilà ce qui arrive lorsqu'on se refuse à poser les
problèmes fondamentaux et à y répondre sur le terrain qui est celui du
prolétariat et du PCI.
Il existe d'autres raisons au fait que jusqu'alors la
classe ouvrière, la jeunesse, les masses populaires n'ont pas engagé encore de
vastes combats de classe, malgré les agressions de plus en plus brutales dont
elles sont les victimes. Ces raisons sont peut-être plus importantes encore que
celles qui viennent d'être évoquées. La population laborieuse a élu François
Mitterrand à la présidence de la République, elle a élu
à l'Assemblée nationale une majorité de députés membres
du PS et du PCF pour en finir avec la politique de Giscard, des partis bourgeois
UDF et RPR, la politique du capital, et que soient satisfaites les
revendications et que soit résolue la crise. Or, le gouvernement qu'elle a
contribué à porter au pouvoir, couvert par la majorité PS-PCF à l'Assemblée
nationale, non seulement poursuit mais aggrave la politique de Giscard, de
l'UDF, du RPR. Il est entièrement au service de la bourgeoisie. Il tente de
réaliser les réformes réactionnaires que celle-ci exige. Il tente de faire
supporter aux masses toutes les charges et les conséquences dramatiques de la
crise. La classe ouvrière, la jeunesse, les masses populaires se rendent compte
que c'est ce gouvernement qu'elles ont contribué à mettre en place qui, couvert
par la majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale qu'elles ont élue, mène l'assaut
au compte du capital contre leur pouvoir d'achat, leurs acquis, pour leur
imposer le chômage et la misère.
Pendant des mois, nous n'avons pas été nets sur le fait
que Fabius était responsable des licenciements dans les entreprises
nationalisées, que Mexandeau était responsable du plan Daucet dans les PTT, nous
avons laissé croire que Bérégovoy était en contradiction avec Van der Meulen
quant à l'application de l'avenant sur les retraites à la Sécurité sociale. Nous
avons même été jusqu'à écrire “ qu'un premier pas dans la voie de la rupture
avec la bourgeoisie venait de se matérialiser à la Sécurité sociale par
l'existence de deux lettres contradictoires du ministre Bérégovoy et du
président CNPF Van der Meulen, cosignataire avec la CFDT de l'avenant scélérat
” , alors que Bérégovoy écrivait dans sa lettre :
“ Je ne méconnais pas la complexité inhérente à tout
système de retraite, mais il me semble indispensable que la recherche d'une
parfaite équité éclaire le choix de gestion dans le respect des équilibres
financiers. ”
Tout le monde comprend que “ l'équilibre financier ”
dans un régime en déséquilibre considérable exige la remise en cause des
avantages de ce régime. La lettre de Bérégovoy est datée du 16 septembre, un
mois avant les élections à la Sécurité sociale. En réalité, il s'agissait
manifestement d'une manoeuvre pour gagner du temps et permettre que les
élections à la Sécurité sociale se déroulent dans le calme, surtout pas de grève
à la Sécurité sociale à ce moment.
D'autres fois, nous disions bien que c'était le
ministre, assurant telle ou telle fonction, qui portait la responsabilité des
attaques contre la classe ouvrière ou de l'application de telle ou telle réforme
réactionnaire. Nous avons par exemple concentré nos feux sur Savary, ministre de
l'Education nationale. La bataille contre le plan Savary-Prost-Legrand, contre
les conditions de la rentrée, était non seulement justifiée, mais indispensable,
comme celle contre le projet Savary du 18 octobre et la mise en place de “
projets éducatifs ” . Il faut ajouter que le combat contre la loi Savary
concernant l'enseignement supérieur dans sa totalité, et non seulement dans
telles ou telles de ses dispositions spécifiques (bien que la lutte contre
elles, en tant que telles, soit nécessaire), ne l'est pas moins. Les réformes
Savary constituent un ensemble : du primaire au secondaire au supérieur en
passant par le technique. La loi sur l'enseignement supérieur, y compris
amendée, aggrave la réforme engagée par la loi Faure en 1968. Il aurait fallu
qu'au moins le PCI la rejette globalement et mène une campagne contre
elle.
Mais est-il juste de publier des dizaines de milliers de
tracts qui appellent à la manifestation du 14 septembre sur lesquels on lit en
gras : “ Il faut chasser Savary, homme de droite du gouvernement ! ” ?
Savary, homme de droite ? Fabius, Bérégovoy, Delors, Hernu (ministre de
l'expédition militaire au Tchad, de la “ force d'interposition ” et des
bombardements au Liban) et tous les ministres qui pratiquent dans leur secteur
ministériel une politique aussi réactionnaire que celle que Savary applique dans
l'enseignement (politique qui correspond d'ailleurs pour le département
ministériel dont ils ont la charge à celle que pratique Savary au ministère
qu'il dirige) sont-ils des hommes de droite ? Et Pierre Mauroy, qui vient de
prendre ouvertement en charge les licenciements chez . Talbot et prépare non
moins ouvertement une vague de licenciements dans la sidérurgie, les
charbonnages, les chantiers navals, etc., est-il un homme de droite ? Et
Mitterrand, qui oriente et orchestre toute cette politique, est-il un “ homme de
droite ” ? ,
Si on prend cette affirmation au sérieux, l'ensemble du
gouvernement est composé “ d'hommes de droite” . On aboutit au gauchisme à
l'état pur “ tous des hommes de droite ” . Et bien sûr, puisqu'il faut chasser
Savary, homme de droite du gouvernement, il faut aussi chasser tous les hommes
de droite, c'est-à-dire tous les ministres du gouvernement. De fil en aiguille,
on en arriverait à la formule, par ailleurs maudite ; “Il faut chasser le
gouvernement de droite ” , car il est évident qu'un gouvernement dont l'ensemble
des ministres sont de droite est un gouvernement de droite. Nous nageons en
plein gauchisme.
Ce n'est évidemment pas à cela que les auteurs de cette
formule veulent aboutir. Ils veulent éviter de situer les responsabilités de ce
gouvernement dans son ensemble. Alors ils affirment que Savary est un “homme de
droite ” , c'est-à-dire un corps étranger dans le gouvernement de la “ gauche ”
. En d'autres articles et tracts, on pose la question : “ Que fait Savary au
gouvernement? ” . Non, Savary n'est pas un “homme de droite ” . Il est
l'incarnation même de la “ gauche ” . Ce qu'il fait au gouvernement ? Tout le
monde le sait et répondra : “ la politique du gouvernement ” , “ la politique de
Mitterrand-Mauroy-Fiterman-Crépeau ” .
Mais on affirme : il s'agit d'une tactique, En
concentrant nos coups sur un ministre et en l'isolant du gouvernement, on
attaque ainsi de biais le gouvernement. Nous procédons à la façon dont Lénine a
procédé en lançant le mot d'ordre de : “ A bas les dix ministres capitalistes
! ” ou encore à la manière dont Trotsky disait en juillet 1936 : “ Il
faut mettre en cause la présence des radicaux dans le gouvernement Blum ” .
Non cela n'a rien de commun. Lénine et Trotsky menaient l'agitation pour jeter
du gouvernement les ministres des partis bourgeois, représentants directs de la
bourgeoisie. Ils menaient campagne pour la rupture des partis ouvriers, et dans
le cas des SR en Russie, d'un parti petit-bourgeois, avec la bourgeoisie, pour
un gouvernement sans représentants des partis bourgeois. Savary, Delors, Hernu,
Fabius, Bérégovoy, et tant d'autres n'appartiennent pas à un parti bourgeois.
Veut-on dire qu'ils représentent la bourgeoisie et défendent ses intérêts au
sein du gouvernement ? Mitterrand, Mauroy et autres ne représentent pas moins la
bourgeoisie et ne défendent pas moins ses intérêts. D'ailleurs, ce gouvernement
est un gouvernement bourgeois qui défend tout naturellement les intérêts de la
bourgeoisie.
Incidemment, il n'est pas sans intérêt de rappeler
comment Lénine traitait le gouvernement de coalition comme tel. Il n'y a qu'à se
reporter à ses oeuvres. A ce petit article, par exemple :
“ Devinette : Qu'est-ce qui distingue un gouvernement
bourgeois ordinaire d'un gouvernement bourgeois pas ordinaire, révolutionnaire,
qui ne se considère pas comme bourgeois. C'est, dit-on, que : un gouvernement
bourgeois ordinaire ne peut interdire des manifestations qu'en tenant compte de
la Constitution , un gouvernement pas ordinaire et pseudo-socialiste peut
interdire les manifestations sans justification et en se référant à des faits
connus de lui seul. ” (La Pravda, II
juin 1917, Oeuvres tome 25, page 75).
Cette prétendue tactique va de pair avec une démarche
qui s'est peu à peu imposée et dont on peut suivre la progression dans IO, dans
les tracts et textes du PCI, Cela a commencé par un mot introduit dans un
article de temps à autre. A la place de désigner le RPR et l'UDF pour ce qu'ils
sont, des organisations politiques de la bourgeoisie, on les a désignés comme “
la droite ” . Peu à peu, cela a pris de l'ampleur, pour prendre sa pleine
dimension à partir de la campagne pour les élections municipales menée sur le
slogan :
“ Candidats PS-PCF, pour battre la droite, ne laissez
pas faire Rocard-Delors-Maire. Prenez position contre le plan d'austérité qu'ils
proposent. ” (IO n° 1093, II
février).
De fil en aiguille on en est arrivé à une totale
ambiguïté, Dans un tract “ supplément à IO n° 1090 ” , sous prétexte de répondre
à une lettre de lecteur, on titre (entre guillemets il est vrai) : “ Qui
divise la gauche ”? Entretenant la confusion, on écrit
:
“ Tout d'abord, notre correspondant nous permettra de
récuser l'accusation selon laquelle notre " vocation " serait de "diviser la
gauche à chaque scrutin " ” . .
Pour quiconque raisonne sans restrictions mentales ou en
casuistes, formulé positivement, cela veut dire :“ nous sommes pour l’union de
la gauche ” , au lieu d'opposer clairement à “ l'union de la gauche ” le front
unique ouvrier et d'expliquer clairement ce qu'est la politique “ d'union de la
gauche ” qui aboutit et ne peut qu'aboutir à une politique d'agression des
masses au profit du capital. Notre ambiguïté est totale par rapport à ce
gouvernement. La formule qui témoigne le mieux de cette ambiguïté est celle du
titre de IO n°1046 daté du 27 mars 1982 : “ Le gouvernement à la croisée des
chemins, Quelle direction empruntera-t-il?”
Pour quiconque comprend le français, cela veut dire que
ce gouvernement, le gouvernement de front populaire, le gouvernement de l'union
de la gauche, que nous avons à juste titre caractérisé comme un gouvernement
bourgeois, peut tout aussi bien défendre les intérêts du capital que les
intérêts du prolétariat et des masses populaires. Après cela, que nous soyons
aussi équivoques sur la “ droite ” , “ la gauche ” , n'est pas étonnant. Non, “
l'Union de la gauche ” , le gouvernement “ d'Union de la gauche ” ne peuvent
suivre un autre chemin que celui de la défense des, intérêts de la bourgeoisie
contre les intérêts des masses. Derrière ces formulations, il y a l'illusion que
ce gouvernement aurait une double nature qui résulterait de ce que la plupart
des ministres sont membres du PS et du PCF. C'est une fausse interprétation de
la fameuse phrase du Programme de transition qui indique que
:
“ En des circonstances exceptionnelles.., des partis
petits-bourgeois, y compris staliniens, peuvent aller plus loin qu'ils ne le
veulent sur la voie de la rupture avec la bourgeoisie.
”
Derrière la formule “ le gouvernement à la croisée
des chemins ” , se dessine une politique de pression sur le gouvernement de
l'union de la gauche. Il y a confusion : le gouvernement de front populaire peut
être contraint de reculer, comme tout autre gouvernement, sous l'action des
masses et nous sommes pour le contraindre à reculer, comme on fait reculer les
patrons ; sous l'effet de la violence des contradictions
entre les classes, il peut éclater. Mais ce n'est pas la
même chose que d'être “ à la croisée des chemins ”
.
En tout cas, de plus en plus, la classe ouvrière, la
jeunesse, la population laborieuse se rendent compte que ce gouvernement
qu'elles ont contribué à porter au pouvoir se dresse contre elles, qu'il fait la
politique du capital en crise. Elles se rendent compte que pour défendre leurs
revendications, leurs acquis, se battre contre le chômage, elles doivent
l'affronter, ne serait-ce que pour le faire reculer. Les enseignants
savent
bien qu'il ne s'agit pas seulement de Savary mais du
gouvernement Mitterrand-Mauroy-Fiterman-Crépeau. Les travailleurs des
entreprises nationalisées savent bien qu'il ne s'agit pas seulement de Fabius,
etc.
Surtout après deux ans et demi d'exercice du pouvoir,
les masses ressentent que de puissants mouvements de classe, a fortiori la grève
générale, poseront la question du gouvernement. Et elles sont décontenancées
(pas défaites mais décontenancées). Elles se heurtent au mur des illusions
qu'elles ont plus ou moins nourries.
Cela ne veut pas dire que les grandes luttes de classe
ne partiront pas dés revendications, que la grève générale éventuelle, ne
partira pas de revendications. Cela ne veut pas dire que le mot d'ordre de
grandes luttes de classe, celui d'une grève générale éventuelle sera “ A bas le
gouvernement ” . Cela veut dire que de tels mouvements se heurteront de plein
fouet à ce gouvernement et que la question du gouvernement se pose. A des degrés
divers, avec de multiples variantes, les masses le ressentent. C'est une raison
majeure, sinon la raison majeure pour laquelle il n'y a pas encore eu de grands
mouvements de classe et que le déferlement des masses n'a pas eu lieu: Comment
s'engager dans le combat ? Pour aboutir à quoi ? Ce sont des questions que se
posent les plus larges masses. Et nous devons dialoguer avec elles,
les
aider à y répondre. D'abord, et avant tout, en
n'entretenant aucune illusion sur le gouvernement de “l'Union de la gauche
”
Nous ne pouvons “ dénoncer le gouvernement, ce serait
heurter de front les illusions des masses ” , dit-on. Et l'on se réfère à
Trotsky, on cite notamment :
“ Nous devons bien comprendre nous-mêmes que la
prochaine grève sera, selon toute vraisemblance dirigée, non contre le
gouvernement Blum, mais contre les ennemis de ce gouvernement : les 200
familles, les radicaux, le Sénat, la haute bureaucratie, l'état-major... Nous
devons répéter qu'en dépit de notre opposition irréductible au gouvernement
Blum, les ouvriers nous trouveront en première ligne pour combattre ses ennemis
impérialistes. C'est là une nuance très importante, décisive même pour la
période qui vient. C'est dans ce sens qu'il nous faut faire une propagande
systématique pour la seconde grève générale, non pour renverser le gouvernement,
mais pour briser les obstacles devant lui. ” (“ Préparer la seconde vague 21 juin 1936 ” - tome X des
Oeuvres, page 119).
Notons tout de suite que Trotsky est clair : “ Nous
devons répéter qu'en dépit de notre opposition irréductible ” , écrit-il,
c'est-à-dire qu'il faut absolument “ répéter ” que nous sommes “
irréductiblement opposés à ce gouvernement et bien sûr pourquoi nous y sommes
irréductiblement opposés ” , Trotsky indique déjà dans un article qui date du 9
juillet intitulé : “ Devant la seconde étape ” :
“ La logique de la situation, telle qu'elle découle de
la victoire de juin, ou plus exactement, du caractère semi-fictif de cette
victoire, forcera les ouvriers à répondre à l'appel, c'est-à-dire à entrer de
nouveau en lutte. C'est par peur de cette perspective que le gouvernement va de
plus en plus à droite.”
Et encore :
“ Tout cela signifie que le prolétariat entrera dans la
prochaine étape du conflit, non seulement sans la direction de ses organisations
traditionnelles, comme en juin 1936, mais aussi contre elles ” (de la page 213 à la page 219, Oeuvres, tome
X).
Dans un petit texte : “ Les radicaux, agents de la
bourgeoisie au gouvernement ” , 19 juillet, il précise: “ Quand nous
disons que le moment n'est pas encore venu de combattre de front le gouvernement
Blum, nous ne voulons pas dire qu'il faille le protéger, mais seulement qu'il
faut l'attaquer sur les flancs. Son flanc droit étant les radicaux... En tout
cas le mot d'ordre ne peut être "A bas le gouvernement Blum " mais "Il faut
chasser les bourgeois radicaux du gouvernement Blum ". Voilà la nuance. Elle est
extrêmement importante pour cette période, mais elle ne signifie nullement la
protection du gouvernement Blum. ”
Pour comprendre l'opinion de Trotsky, il faut rappeler
qu'il met en cause ici la position de Révolution qui était l'organe des
Jeunesses socialistes révolutionnaires (JSR) qui avaient participé à la
fondation du POI et dont les dirigeants étaient membres du POUM (note en bas de
page de Pierre Broué). Révolution avait écrit : “ Sous la protection
virulente des travailleurs français, le gouvernement de front populaire pourra
réaliser son programme. ”
A quoi Trotsky réplique :
“ Cette affirmation est doublement
fausse.
1/ Même sous la "protection ", le gouvernement de front
populaire ne pourra réaliser son programme, irréalisable puisqu'il présume la
prospérité en régime capitaliste.
2/ Notre tâche n'est nullement de " protection du
gouvernement de coalition " entre le prolétariat et la bourgeoisie.
”
(pages 271 et 272, tome X).
Trotsky est ici aussi très net. Il dit : “ Il faut
combattre le gouvernement Blum pas encore de face mais au moins de biais. Il ne
faut pas appeler à renverser le gouvernement Blum dans l'immédiat. Mais il faut
d'ores et déjà mettre en cause ce gouvernement tel qu'il est aujourd'hui. ” Il
explique : “ Il faut chasser les bourgeois radicaux du gouvernement Blum ” .
N'est-ce pas dire :.il faut un autre gouvernement ? C'est l'évidence qu'un autre
gouvernement, surtout en 1936, dont on aurait été chassés (Trotsky dit chassés)
les radicaux, un gouvernement composé des seuls ministres SFIO ou de ministres
SFIO et PCF, même s'il était toujours dirigé par Blum, aurait été un autre
gouvernement qu'un gouvernement Blum en coalition avec les radicaux. Pour
tous, c'était clair. Qu'était-ce donc sinon “ dénoncer ” le gouvernement de
front populaire ?
Pourtant, c'était en juillet 1936. La classe ouvrière,
la jeunesse, les masses populaires baignaient dans l'euphorie et les illusions
du front populaire. Elles considéraient ce gouvernement réellement comme leur
gouvernement. La grève générale de mai-juin 1936 avait arraché les augmentations
de salaires, les 40 heures, les congés payés, les conventions collectives, les
délégués des travailleurs dans les entreprises, etc. Le “ savoir terminer une
grève lorsque les principales revendications ont été obtenues ” de Thorez
avait été très difficilement appliqué. La classe ouvrière voulait aller plus
loin, toujours plus loin.
Néanmoins, pour les masses, le gouvernement et la
chambre de front populaire avaient légalisé leurs conquêtes. Les plus larges
masses avaient confiance dans le front populaire, le PS et le PCF, et les partis
recrutaient massivement ainsi que la CGT unifiée.
Mai-juin 1981 et les mois suivants ont été très
différents de ce que furent les premiers mois du front populaire en 1936. Les
masses n'ont pas ressenti pour l'Union de la gauche l'enthousiasme qu'elles ont
éprouvé pour le front populaire. Elles ont eu la volonté acharnée de chasser
Giscard, le RPR et l'UDF du pouvoir, mais une volonté froide. Elles ont élu
Mitterrand à la présidence de la République et une majorité PS-PCF à l'Assemblée
nationale mais il n'y a eu ni déferlement sous la forme d'une grève générale, ni
d'importantes revendications arrachées et légalisées par le nouveau
gouvernement, par la nouvelle majorité, Il n'y a pas eu une masse d'adhésions au
PS, un gonflement considérable de ses effectifs. Pas plus qu'il n'y a eu de ruée
vers le PCF, la CGT et les syndicats en général. C'est tout le contraire, pour
ce qui concerne le PCF. Ce n'est pas sans signification politique. Depuis deux
ans, non seulement ce gouvernement n'a rien apporté aux masses de ce qu'elles en
espéraient plus ou moins, mais il a déclenché contre elles une offensive
économique et sociale, conformément aux besoins et exigences du capital, sans
exemple depuis la fin de la guerre. Etant donné les rapports existants entre les
classes, c'est aujourd'hui le meilleur gouvernement dont la bourgeoisie puisse
disposer. Si elle fait pression sur lui, elle n'entend pas, pour le moment, le
déstabiliser comme elle a déstabilisé le gouvernement de front populaire en 1936
en France et. encore moins organiser un putsch militaire comme en Espagne en
juillet 1936 ou au Chili en septembre 1973. Cela, les masses le ressentent
pleinement et personne ne s'y trompe.
A quoi il faut ajouter une différence ayant son
importance par rapport à 1936. En 1936, sauf les fonctionnaires, dès que la
classe ouvrière se mettait en mouvement, ses gros bataillons se heurtaient
directement au patronat.
Aujourd'hui, les nationalisations dans l'industrie,
l'énergie, les transports, les banques, du système de crédit font que la partie,
peut-être, déterminante de la classe ouvrière dès qu'elle revendique et se met
en mouvement, se heurte à l’Etat patron, c'est-à-dire concrètement au
gouvernement.
Mais même dans l'industrie privé, l'exemple de Talbot
est éloquent : les travailleurs savent que lorsqu'ils entrent en conflit et
qu'il s'agit de questions comme les salaires, les licenciements, ils se heurtent
à une politique conjointe et coordonnée entre le gouvernement et le patronat.
Il est d'autant plus intéressant de rappeler
l'orientation que préconisait Trotsky en 1937, en pleine guerre civile contre
Franco, Je ne peux citer tout ici mais j'invite les camarades à lire
attentivement ce qu'il écrivait au moins dans deux textes qui se complètent
parfaitement : " Contre le défaitisme en Espagne ” et “ Aide à
l'Espagne et soutien à Negrin ” , publiés dans le recueil La révolution
espagnole composé par Pierre Broué (de la page 431 à la page 444). Dans le
premier, Trotsky établit avec la plus grande précision la position que nous
devions avoir dans la guerre civile, La note n° 2 du texte Aide à l'Espagne
et soutien à Negrin explique à qui et à quoi répondait Léon Trotsky dans
cette lettre adressée à Cannon : “ Max Shachtman avait écrit à Trotsky le 18
septembre : "Vous dites " : "Si nous avions un député aux Cortes, il voterait
contre les budgets militaires de Negrin. ". "A moins qu'il ne s'agisse d'une
erreur typographique, cela nous paraît faux. Si, comme nous le croyons tous,
l'élément de guerre impérialiste ne domine pas dans le moment présent du conflit
espagnol, et si, au contraire, l'élément décisif est encore la lutte entre la
démocratie bourgeoise pourrissante, avec tout ce qu'elle comporte, d'un côté, et
le fascisme de l'autre, et si, en outre, nous sommes obligés de soutenir
militairement la lutte contre le fascisme, nous ne voyons pas comment il serait
possible de voter aux Cortes contre le budget militaire. "
”
Trotsky réplique :
“ Un vote au Parlement en faveur du budget n'est pas une
aide "matérielle", mais un acte de solidarité politique. Si nous pouvons voter
pour le budget de Negrin, pourquoi ne pouvons-nous pas déléguer notre
représentant dans son gouvernement ? Cela aussi pourrait être interprété comme
une "aide matérielle"
Les staliniens français ont donné leur confiance au
gouvernement de front populaire, mais n'y participent pas officiellement. Nous
appelons cette forme de non-participation la pire, la plus pernicieuse des
formes de participation. Donner à Blum et à Chautemps tous les moyens dont ils
ont besoin pour leur action signifie participer politiquement au gouvernement de
coalition.
La question de Shachtman : "Comment pouvons-nous refuser
de consacrer un million de pesetas à l'achat des fusils pour le front ? ", nous
a été posée des centaines et des milliers de fois à nous, marxistes
révolutionnaires, par les réformistes : " Comment pouvez-vous refuser de voter
les millions et les millions nécessaires pour les écoles et pour les routes,
pour ne pas parler de la défense nationale ? " Nous admettons la nécessité du
combat contre Franco. Nous utilisons les chemins de fer "capitalistes " ; nos
enfants vont aux écoles "capitalistes " mais nous refusons de voter pour le
budget du gouvernement capitaliste.
Pendant notre lutte contre Kornilov, nous n'avons jamais
voté au soviet d'une façon qui aurait pu être interprétée comme une solidarité
politique avec Kerensky.
Du point de vue de l'agitation, nous n'aurions pas
aujourd'hui en Espagne la moindre difficulté à expliquer notre vote négatif :
"Nous réclamions deux millions pour des fusils et ils nous en ont donné
seulement un million. Nous réclamions la distribution des fusils sous contrôle
ouvrier, ils nous l'ont refusée. Comment pourrions-nous donner volontairement
notre argent et notre confiance à ce gouvernement? " Tout travailleur
comprendrait et approuverait notre action.
Tout ce que fait le gouvernement Negrin, il le fait sous
le signe des nécessités de guerre. Si nousacceptons une responsabilité politique
pour sa propre administration des nécessités de la guerre, nous voterions
politiquement en faveur de toute proposition gouvernementale sérieuse. De la
même façon, nous les approuverions dans notre presse, dans nos réunions. Ainsi
deviendrions-nous un parti gouvernemental à la POUM. Comment, dans de telles
conditions, nous préparer à renverser le gouvernement Negrin ? Tout le sens de
ma réponse est là : nous combattons militairement Franco malgré l'existence du
gouvernement Negrin, simultanément nous préparons politiquement le renversement
du gouvernement Negrin. Si nous sommes d'accord sur ce principe de base, nous ne
pouvons être en désaccord sur les conséquences pratiques.
”
Cela en pleine guerre civile. Il n'y a pas de guerre
civile en France jusqu'alors. Répétons-le, pour le moment, ce gouvernement est
le meilleur dans les circonstances données, dont puisse disposer la bourgeoisie.
Faut-il oui ou non mettre en cause ce gouvernement comme tel ? Faisons comme
Trotsky un cas de figure. Supposons que nous ayons des députés à l'Assemblée
nationale, devraient-ils voter contre le budget par exemple, c'est-à-dire contre
le gouvernement en disant : “ Comment pourrions-nous donner volontairement notre
confiance à ce gouvernement qui organise l'offensive anti-ouvrière, distribue
des milliards aux capitalistes, organise les licenciements, le démantèlement des
conquêtes ouvrières, de l'instruction publique, dépense des centaines de
milliards de crédits militaires, intervient militairement au Tchad et au Liban,
etc. ” .
Ne devrions-nous pas expliquer qu'il existe une issue
gouvernementale différente ? En l'occurrence : “ Il y a une majorité de députés
PS et PCF à l'Assemblée nationale. Déclarons que l'Assemblée nationale est
souveraine, que le gouvernement doit émaner d'elle, qu'il doit répondre devant
elle pour appliquer une autre politique, celle de là rupture avec la bourgeoisie
avec ce qu'elle implique. Décidons en quelque sorte que l'Assemblée nationale se
transforme en une sorte de Convention. ” .
L'affirmation que je suis pour lancer le mot d'ordre “ A
bas le gouvernement ! ” est tout simplement ridicule. Elle n’est faite que pour
effrayer les militants du PCI. Simplement, en tenant compte des circonstances,
il faut utiliser la méthode que Léon Trotsky utilisait. Il faut affirmer: aucune
confiance à ce gouvernement ne peut être faite. Il faut un mot d’ordre
saisissable pour les masses qui leur ouvre une voie politique sur la question
gouvernementale. La possibilité de ce mot d’ordre existe en raison de la
majorité PS-PCF à l’Assemblée nationale: utilisons-la.
C’est nécessaire, c'est indispensable comme centre
politique d'un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse, des
masses populaires qui met au premier plan la satisfaction des revendications
démocratiques, des revendications en défense du pouvoir d'achat et des
conditions d'existence des masses, de défense des acquis, la revendication du
droit au travail (loi interdisant les licenciements), qui réponde à la question
comment résoudre la crise par l'élaboration et la mise en place du contrôle
ouvrier, d'un plan de production répondant aux besoins des masses populaires et
brisant avec la loi capitaliste du profit - les nationalisations du crédit, des
banques, d'une partie de l'industrie donnent les premières possibilités d'un tel
plan.
C'est nécessaire, c'est indispensable pour aider les
masses à s'engager dans les grands combats de classe, d'aller vers la grève
générale. Nous devons les aider à saisir qu'il existe un débouché politique
autre que ce gouvernement, une autre possibilité gouvernementale. Dire qu'un
gouvernement émanant de l'Assemblée nationale et répondant devant elle ne serait
pas un gouvernement ouvrier et paysan, pour s'opposer à ce mot d'ordre, ne
serait pas sérieux, Il s'agit de savoir s'il est un mot d'ordre ouvrant une voie
aux masses et aidant à leur mobilisation et nous aidant à organiser une
avant-garde politique liée aux masses, intervenant dans la lutte des classes
pour préparer les combats à venir. Une chose est certaine : ce mot d'ordre met
radicalement en cause le bonapartisme ; il concrétise ce qu'est le front unique
ouvrier en opposition au front populaire, à l'Union de la gauche ; il concrétise
sur le plan politique gouvernemental ce que signifie faire des pas en avant sur
la voie de la rupture avec la bourgeoisie.
Allons plus loin. Les gouvernements de front populaire,
d’Union de la gauche concentrent ce que sont les fronts populaires, l'Union de
la gauche. Ne pas mettre en cause, avec toute la souplesse nécessaire, les
gouvernements de front populaire, d'Union de la gauche, ce n'est pas mettre en
cause le front populaire, l'Union de la gauche, mais tendre à les “ gauchir ” ,
à faire pression sur eux ; les mettre en cause, cela ne signifie pas que l'on ne
s'adresse pas à eux pour exiger qu'ils satisfassent les revendications ou
reculent sur tel ou tel aspect de leur politique. On le fait bien par rapport
aux gouvernements bourgeois classiques et on peut éventuellement les faire
reculer.
D'ailleurs, au bureau politique de décembre, un axe
avait été défini qui, à mon avis, s'insère parfaitement dans l'orientation que
je préconise: exigeons une session d'urgence de l'Assemblée nationale pour
qu'elle décide de la politique sociale. N’est-ce pas opposer la majorité PS-PCF
au gouvernement actuel et mettre celui-ci en cause ? N'est-ce pas là s’avancer
sur l'axe : “ Décidez de la souveraineté totale de l'Assemblée nationale,
décidez d'un gouvernement émanant de l'Assemblée nationale et répondant devant
elle. ” ?
Comment l'Assemblée nationale pourrait-elle d'ailleurs être
pleinement souveraine sans un gouvernement émanant d'elle, répondant devant
elle, sans agir comme la Convention.? Mais cela il faut le dire : la politique
révolutionnaire n'est pas un jeu de devinettes.
Il ne s'agit pas d'attendre que les conditions soient
réunies pour que l'Assemblée nationale devienne une convention. Ce qui ne se
réalisera peut-être et même sans doute jamais. Il ne s'agit pas non plus
d'attendre que les conditions soient réunies pour que soit réalisé un programme
de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse, et des masses populaires. La
lutte pour les revendications, pour la défense des acquis, ou pour la défense du
droit à l'instruction ne peut attendre. Il s'agit au contraire d'aider à la
réalisation des grandes luttes du prolétariat qui convergent vers la grève
générale. Dans ce sens par exemple, il me semble parfaitement correct de
combattre politiquement, comme cela est fait, pour une marche sur Paris des
populations des villes de l’Est touchées par les licenciements en faisant
intervenir lés élus PS et PCF de la région, en constituant des comités
d'initiative pour l'unité des organisations ouvrières dans la lutte contre les
licenciements et la préparation de la marche sur Paris.
Il me semble également correct d'engager la bataille
telle que cela est fait contre les plans de destruction de l'enseignement
public, contre l'application de la loi Giscard-Beullac-Haby qui est devenue le
plan Giscard-Beullac-Haby-Mitterrand-Mauroy-Savary : tout le monde sait, ne
serait-ce que parce qu'ils l'ont dit, que la politique que Savary applique à
l'Education nationale a été définie en commun avec Mitterrand et
Mauroy.
Il me semble indispensable d'engager, notamment dans les
entreprises dépendantes de l'Etat, parmi les fonctionnaires, une bataille
politique pour l'unité des syndicats et du personnel pour exiger : récupération
du pouvoir d'achat perdu en 1982-1983, sur cette base, garantie du pouvoir
d’achat en 1984. A mon sens, les militants du PCI dans chaque entreprise
dépendante de l'Etat, parmi les fonctionnaires dans les PTT, l'EDF-GDF, à la
SNCF, à la RATP, etc. devraient engager une campagne
particulière.
Il me semble qu'au moment actuel la globalisation serait
une erreur, quoique Informations ouvrières doive poser la question
du
pouvoir d'achat et de la lutte pour la défense dans son
ensemble. De même, il est possible et nécessaire d'engager l'action politique
pour chaque entreprise touchée par, ou directement menacée par des
licenciements, en relation avec notre ligne politique générale et comme
application particulière de cette ligne s'articulant à l'ensemble. En l'adaptant
aux conditions spécifiques et en tenant compte de nos forces dans chaque
entreprise, en tenant compte des positions que nous occupons, ce qui a été
réalisé à la Sécurité sociale, la constitution d'un réseau de “ délégués de
services ” qui doivent effectivement constituer un réseau politique comme
pouvaient en constituer des “ hommes de confiance” pendant la révolution
allemande de 1918-1919, doit être entreprise dans les différentes
corporations.
A partir du mois d'octobre, un mot d'ordre qui trace une
orientation a été lancé “ pour le front commun” . J'avoue ne pas très
bien comprendre pourquoi dire “ pour le front commun” plutôt que
d’utiliser la formule qui nous est traditionnelle “ pour le front unique des
organisations ouvrières” et celle devenue traditionnelle en France : “
Pour l'unité des organisations ouvrières. ” Quoi qu'il en soit, il est
évident que la réalisation du “ front commun des organisations ouvrières
” , lorsqu'il se réalise sur le terrain des revendications et intérêts de la
classe ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires, répond aux aspirations
des travailleurs et qu'ils aspirent à sa réalisation. C'est ainsi que sous leur
pression, il a été réalisé à Carmaux et a permis la
victoire.
C'est ainsi que, confrontés aux aspirations des
travailleurs et de la population que nous avons contribué à dégager dans l'est
de la France, les dirigeants syndicaux ont été contraints d'appeler ensemble à
la manifestation de Longwy et à la grève de 24 heures des mineurs de l'Est et,
qu'en ce qui concerne les charbonnages, l'ensemble des fédérations syndicales
affirment qu'elles sont contre le plan gouvernemental de compression des
effectifs.
A
priori, le mot d'ordre “ la revendication de l'unité ” est un puissant
moyen d'agitation, et la réalisation, même partielle, de l'unité pour les
revendications, la défense des acquis, pour la lutte contre les licenciements,
contribue à dégager la voie de l'action politique, selon ses moyens et ses
méthodes de classe, à la classe ouvrière. Il semble que contraindre les
dirigeants à l'unité soit plus immédiatement saisissable pour et par les
travailleurs sur le plan des entreprises et des corporations. Pourtant, comme le
prouvent les positions prises par certains élus du PS et du PCF, notamment dans
l'Est, on peut et on doit donner au combat pour le
front unique sur des revendications et objectifs précis le contenu de la lutte
politique pour le front unique ouvrier qui implique nécessairement la démarche
politique en direction des partis ouvriers, en l'occurrence le PS et le
PCF.
Il en est ainsi par exemple pour lutter contre les
licenciements dans une entreprise, une corporation, une région donnée.
D'ailleurs, ce qui donne toute sa dimension à la lutte pour le front unique des
organisations ouvrières n'est-ce pas la revendication adressée aux dirigeants,
aux députés du PS et du PCF “
Vous êtes la majorité à l'Assemblée nationale, décidez qu'elle est
souveraine, décidez que le gouvernement émane d'elle et réponde devant elle,
décidez d'une autre politique qui rompe avec la bourgeoisie. ”
?
On ne peut, cependant, faire abstraction que, en
réalisant “ l'union de la gauche ” , les dirigeants du PS et du PCF prétendent
avoir réalisé “ l'unité ” et le gouvernement actuel est justement l'expression
de ce genre “ d'unité” de ces organisations. Pas plus que l'on ne peut faire
abstraction du fait que les dirigeants des syndicats conjuguent “ l'unité” et la
division pour faire passer la politique réactionnaire du gouvernement et du
capital et, qu'alors même qu'ils font un pas en avant en réponse aux aspirations
des travailleurs ou de la population, c'est pour mieux contrôler d'éventuels
mouvements et les dévoyer. Pas plus qu'aucun mot d'ordre, celui de “ front
commun” n'est une panacée. C'est d'autant plus évident après ce qui vient de se
passer chez Talbot et à propos de Talbot. Les dirigeants ont conjugué “ unité”
et division.
Il pouvait sembler au point de départ qu'il y avait une
certaine “ unité” chez Talbot “ contre les licenciements ” . Elle a rapidement
débouché sur le pugilat syndical pour faire passer les licenciements. Mais
surtout, au vu de tous, l'opération Talbot a été organisée implicitement et
explicitement entre le gouvernement Mauroy et Mitterrand en tête, le patronat,
les dirigeants du PS et du PCF, les dirigeants des centrales syndicales, la
CFDT, la CGT et FO. Bergeron n'a peut-être pas été consulté avant que soient
tombés d'accord Mauroydirection PSA, mais il est intervenu démonstrativement
pendant la bataille pour affirmer : “ Les licenciements sont nécessaires”
; “ l'accord entre le gouvernement et Talbot doit être respecté ! ” Les
uns et les autres ont voulu faire un exemple national : les licenciements sont
nécessaires et auront lieu.
La revendication du front unique vise autant que
possible à sa réalisation. Mais, étant donnée la nature. Du PS et du PCF, des
appareils contre-révolutionnaires staliniens, réformistes de la CGT et de FO,
bien que ceux-ci puissent être sujets à de violentes contradictions, se fissurer
et même faire quelques avancées positives, c'est toujours momentané et remis en
question. La réalisation, même limitée, même provisoire, du front unique aide la
classe ouvrière.
La revendication du front unique doit être dans tous les
cas un levier pour la mobilisation et l'organisation des masses pour leurs
propres objectifs. Il n'est pas sûr qu'au cours des derniers mois et des
dernières semaines nous l'ayons compris totalement dans ce
sens.
C'est ce qui peut expliquer que chez Talbot nous n'ayons
pas saisi en temps opportun, dès le début du mouvement, la nécessité de
combattre pour la constitution d'un comité de grève dans lequel les
représentants directement élus des travailleurs et ceux des organisations
syndicales auraient siégé. Il est vrai qu'au moment où les ouvriers ont réalisé
la grève, en l'imposant aux dirigeants, nous ne savions pas que nous avions des
militants chez Talbot, en tout cas personne n'en a fait mention au BP.
La grève chez Talbot, la question du comité de grève,
ont valeur d'enseignement général. Ce n'est pas seulement la lutte pour le front
unique contre les organisations ouvrières, sur la ligne de la rupture avec la
bourgeoisie, que nous avons à mener, mais comme développement normal de cette
bataille, celle pour l'auto-organisation des masses dont la formation
d'éventuels comités de grève est une forme, mais dont la forme, à un certain
niveau de développement de la lutte, sont les comités d'usines, les soviets. En
réalité, il s'agit de surmonter l'obstacle de la division conjuguée à la
collaboration de classe ouverte ou masquée “ dans l'unité ” qui, joint aux
autres dont il a été fait état plus haut, se dresse sur la voie de la classe
ouvrière et qui barre la route à de grands mouvements de classe, à la grève
générale.
Depuis mai-juin 1968, la classe ouvrière, la jeunesse,
les masses populaires ont beaucoup appris. Elles ressentent qu'il ne suffit pas
de se lancer par un déferlement spontané en de grands mouvements de classe et
même d'aboutir à la grève générale. Elles savent que, contre de tels mouvements
et à chaque moment de, ces mouvements lorsqu'elles parviennent à les réaliser,
elles ont devant elles les appareils des organisations qui sont néanmoins des
organisations syndicales et partis qui proviennent d'elles et dont elles ont
besoin. Elles ressentent qu'il faut l'unité, il faut quelque chose de plus que
l'unité des organisations ouvrières : des formes d'organisation souples et
directes capables d'englober les organisations traditionnelles mais les
dépassant. : les comités de grève de chez Talbot auront au moins eu le mérite de
le souligner aux yeux des plus larges masses et d'abord de nous le
rappeler.
La grève de chez Talbot nous renvoie à nouveau à
Trotsky. Elle nous invite, en particulier, à relire “ Comités d'action et
front populaire” . La lutte pour le front unique ne doit pas être conçue
comme une supplique aux dirigeants à s'unir mais comme une bataille d'agitation
pour la mobilisation, l'organisation, l'action des masses et l'organisation
d'une avant-garde. Cela vaut pour le mot d'ordre, la revendication adressée aux
dirigeants, aux députés du PS et du PCF à l'Assemblée nationale : “ Décidez que
l'Assemblée nationale est souveraine, que le gouvernement procède d'elle, qu'il
doit répondre devant elle.”
Tout le monde sait bien qu'ils couvrent le gouvernement
de l'Union de la gauche et sa politique. La possibilité de cette revendication
résulte de ce qu'il n'y a pas identité totale entre le gouvernement, le PS, le
PCF et les députés de ces partis à l'Assemblée nationale. Mais il est évident
pour tous qu'il y a une relation des plus étroites entre eux. Les masses peuvent
établir une différence relative et s'en saisir. Elles établissent néanmoins la
connection. Les suppliques aux dirigeants et aux députés du PS et du PCF ne
changent rien, Aller voir en délégation les élus, les députés du PS et du PCF
individuellement ou les groupes parlementaires du PS et du PCF peut ne pas être
inutile. La limite est cependant vite atteinte. Ce n'est efficace que si cela
s'insère dans un processus qui vise à l'organisation d'une avant-garde, à la
mobilisation, et à l'action des masses. C'est pourquoi il me semble (c'est
simplement une proposition à discuter) qu'il faut d'ores et déjà dans notre
propagande avancer des formules comme : “ Faudra-t-il aller massivement à un
million à l'Assemblée nationale pour dire aux députés du PS et du PCF : nous ne
vous avons pas élus pour couvrir cette politique mais pour une autre politique
qui corresponde aux intérêts de la population laborieuse ?
”
Peut-être va-t-on dire ; il faut partir du PCI pour
revenir au PCI et jusqu'alors il n'est pas question dans ce texte de la
construction du PCI. J'ai l'impression de ne pas avoir un seul moment cessé de
parler de la construction du PCI, car je ne vois pas comment on peut construire
le PCI sans une politique qui permette d'intervenir dans la lutte des classes,
d'organiser, de regrouper.
Une question précise est posée dans “ L'avant-projet de
rapport sur le parti des 10 000 ” , discuté et adopté à l'unanimité sauf mon
abstention au bureau politique du 6 janvier et au comité central des 13 et 14
janvier 1984. “ Peut-on et doit-on construire le parti révolutionnaire avant
la crise révolutionnaire ? ” L'embêtant, est que ce même texte donne deux
réponses, qui ne sont pas identiques, à la question qu'il pose.
A. la fin du point 2 :
“ On peut construire le parti des 10000 avant la crise
révolutionnaire parce que l'on a accumulé les matériaux nécessaires dans la
toute dernière période. ”
Et au point 3, immédiatement en-dessous
:
“ L'alternative est simple : faut-il tout entreprendre,
oui ou non, pour construire le parti révolutionnaire avant la crise
révolutionnaire. Personne ne peut dire si nous avons le temps nécessaire pour
construire le parti des 10000 avant la crise révolutionnaire qui, manifestement
mûrit rapidement. Mais, même si le temps nous fait défaut, c'est en agissant sur
cet objectif, construire le parti des 10000 ans des délais rapides, alors que
toutes les conditions sont réunies, que nous nous armerons pour aborder les
nouveaux problèmes que soulèvera la crise révolutionnaire. Alors oui, il faut
s'attaquer au problème de la construction du parti des 10000.
”
Je ne suis pas sûr que “ le parti des 10000 ” soit “ le
parti révolutionnaire ” et qu'il soit prouvé a priori que “ toutes les
conditions sont réunies ” pour le construire, mais je pense que la deuxième
façon d'aborder la question est la bonne : “ C'est en agissant sur l'objectif
de la. construction du parti révolutionnaire dans des délais rapides que nous
nous armerons pour aborder les nouveaux problèmes que soulèvera la crise
révolutionnaire ” , même si nous ne parvenions pas à le construire avant la
crise révolutionnaire.
Encore qu'il faut faire attention : de grandes luttes de
classe ne constituent pas nécessairement une crise révolutionnaire et une crise
révolutionnaire n'ouvre pas nécessairement la révolution prolétarienne (voir
mai-juin 1968). Mais étant donné qu'il s'agit de “ la ” crise révolutionnaire,
je suppose que le rédacteur a voulu dire l'ouverture de la révolution
prolétarienne.
Pour que “ le parti des 10000 ” soit le parti
révolutionnaire (bien sûr il ne s'agit pas du parti dirigeant de la classe
ouvrière), il faudrait qu'il soit un parti ayant de profondes racines dans des
secteurs décisifs de la classe ouvrière et être 10000 ne donne pas
obligatoirement ces racines. Mais enfin, acceptons qu'il y ait identité : parti
des 10000 = parti révolutionnaire.
La volonté de construire un tel parti doit nous amener à
examiner sérieusement pourquoi nous n'y sommes pas, et de loin, parvenus
jusqu'alors et cela malgré de multiples plans dont aucun n'a pu être réalisé. On
ne peut balayer la question par un désinvolte “ toutes les conditions sont
réunies” . La preuve qu'il n'en est pas ainsi : nous n'y sommes pas parvenus,
Bien plus, nous utilisons maintenant la formule, ô combien élastique : “ dans
des délais rapides ” .
L'expérience m'a amené à dire souvent : je suis
d'accord, les possibilités de construire le parti révolutionnaire se dégagent,
mais l'expérience nous a appris que sa construction ne peut être rigoureusement
planifiée dans le temps comme avec un ordinateur, Il y a trop d'inconnues que
nous ne maîtrisons pas, objectives et subjectives. Est-ce en un an, en deux, en
trois ?
Nous ne pouvons l'affirmer. Nos plans doivent être des
plans d'orientation et être rectifiables.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? Nous sommes 5 900
inscrits au PCI, qui payons des cotisations plus ou moins importantes. Si l'on
veut faire la comparaison avec, par exemple, janvier 1981, il ne faut pas
oublier que n'étaient pas alors comptabilisés comme membres de l'OCI les 800 à
900 participants au GER, lesquels maintenant sont les stagiaires directement
incorporés aux cellules. Les chiffres qui nous sont donnés intègrent désormais
les stagiaires. Est-ce que ceux qui sont donnés pour janvier 1981 intègrent les
participants aux GER? Cela n'est pas dit. Dans le cas où cela ne serait pas, il
faudrait soit ajouter aux 4760 membres de l'OCI, en janvier 1981, les 800 à 900
participants aux GER. Ce qui ferait environ 5 500. Ou, inversement, retrancher
des 5 900 inscrits au PCI, en décembre 1983, ceux qui sont stagiaires. On aurait
une image plus exacte.
Il faut de même rappeler qu'au comité central de
septembre 1977, les objectifs qui étaient déjà fixés étaient : 5000 membres à
l'OCI (plus les participants aux GAI), 1 000 responsables de cellules, 15 000 IO
vendus.
Nous n'avons pas encore, six ans et demi plus tard,
atteint ces objectifs.
Naturellement, on ne peut omettre le terrible choc que
fut pour l'organisation la révélation des agissements de Berg, du trucage des
effectifs pour “ atteindre” à tout prix les objectifs fixés, de son utilisation
à des fins personnelles des fonds du parti. C'est même à partir de là que, pour
ma part, j'ai mesuré que la construction du parti ne pouvait être planifiée et
réalisée comme avec un ordinateur. Nous avons alors reculé considérablement.
Néanmoins, nous étions alors 3 840, plus peut-être les GER. Donc, en ce qui
concerne les effectifs, nous sommes parvenus à l'objectif fixé par le comité
central de septembre 1977. Il faut dire en outre que inscrits ne veut pas dire
militants. Combien parmi ces inscrits n'assistent pas même régulièrement à leurs
réunions de cellules ? Ce qui. n'était pas accepté il y a quelques années. Le
PCI est une organisation dont nombre sortent avec la même rapidité qu'ils y sont
rentrés. Le nombre d'IO vendus est loin d'atteindre les 15 000, objectif fixé en
1977. Où en sommes-nous du nombre des contrats financiers ? L'objectif fixé par
le plan d'août 1983 était de 10 000 contrats pour octobre 1983. Quelles sommes
ont été rassemblées ? Où en est la formation des militants ? Quelle est la vie
politique des cellules ? Comment se fait-il qu'il n'ait pas été possible de
construire une organisation de jeunesse révolutionnaire, indépendante ou
ouvertement trotskyste, alors que nous savons tous que “ la Ive
Internationale porte une attention exceptionnelle à la jeune génération du
prolétariat. Par toute sa politique, elle s'efforce d'inspirer à la jeunesse
confiance dans ses propres forces, dans son avenir. Seuls l'enthousiasme frais
et l'esprit offensif de la jeunesse peuvent assurer les premiers succès dans la
lutte; seuls ces succès peuvent faire revenir dans la voie de la révolution les
meilleurs éléments de la vieille génération. Il en fut toujours ainsi et il en
sera ainsi. ”
Et pourtant, il n'y a pas de quoi “ boire la ciguë”
.
Aucune organisation trotskyste n'a jamais été aussi
forte que le PCI. Nous avons en France réussi d'importantes réalisations :
meetings, manifestation du 4 décembre 1982, campagnes politiques pour la défense
de l'école publique, etc. Nous avons tissé des liens multiples dans la classe
ouvrière, la jeunesse, dans certaines villes ou quartiers. Nous avons réussi à
rassembler sur nos listes aux élections municipales à peu prés 6000 candidats et
obtenu un pourcentage de voix par rapport aux suffrages exprimés qui, pour les
89 municipalités les plus peuplées où nous nous sommes présentés, représente
2,19 % (région parisienne seule, pour 41 municipalités : 1,71 %) et sur la
totalité, environ 2,4 à 2,5 %. C'est bien supérieur à ce que le PCI a
généralement réalisé au cours des élections où il s'est présenté depuis 1946.
Nous avons même, conjointement avec les autres sections de l'organisation
internationale, mené des campagnes internationales en défense des révolutions
polonaise et nicaraguayenne qui ont été des
succès.
Le PCI est une organisation qui représente une force
considérable capable de mener à bien la construction du parti révolutionnaire en
France et de contribuer puissamment à la reconstruction de la Ive Internationale
et de ses partis.
Que pour construire le parti révolutionnaire il faille “
par des mesures politiques et politiques d'organisation, opérer la fusion des
générations” n'est pas douteux. Qu'il faille bannir le sectarisme, le
dogmatisme et aussi.., l'opportunisme, ne l'est pas moins.
Il ne suffit pas de constater que le PCI a tenu alors “
que dans chaque période de front populaire dans le passé (1936 en France,
Espagne, Chili) en quelques mois (les militants trotskystes) étaient
marginalisés ” .
D'autant, que “ leur marginalisation ” ne s'est pas
réalisée simplement à cause du front populaire : elle avait des causes qu'il
n'est pas possible d'examiner ici et ainsi. De toute façon, leur marginalisation
n'explique pas et ne justifie pas notre stagnation.
A mon avis, lés causes de notre stagnation sont
objectives par rapport à nous et subjectives. Nous nous heurtons à une
contradiction. Au contraire de ce que nous avons maintes fois expliqué, à la
suite de la victoire politique remportée les 10 mai et les 14 et 21 juin 1981
par la classe ouvrière et la population laborieuse en général, il n'y a pas eu
de ruée vers les partis ouvriers traditionnels et vers les organisations
syndicales.
Tout en votant pour elles, les masses n'avaient pas
entièrement confiance en elles. Elles sont instruites par une expérience qui
date de près d'un demi-siècle. En deux ans et demi de gouvernement d'“ Union de
la gauche ” , le manque de confiance est devenu méfiance profonde. Ceux qui
expriment le mieux ce mouvement, ce sont les abstentionnistes des élections
municipales et des multiples élections partielles qui ont eu lieu depuis. Mais
les masses ne se détournent pas des vieilles organisations, n’abandonnent pas
leurs vieilles chemises sales pour endosser la chemise propre du trotskysme.
On dira : il ne s'agit pas des masses mais d'une couche
de quelques milliers de jeunes, de militants, de travailleurs que nous voulons
gagner au “ parti des 10000” . Je
répondrai : le phénomène de méfiance vis-à-vis de tous les partis et
organisations est d'autant plus accentué qu'il s'agit de jeunes, de
travailleurs, de militants combatifs et, plus encore, lorsqu'ils ont une
expérience plus ou moins grande. Il s'agit là d'un nouveau prix à payer pour 70
ans de trahison de la social-démocratie et 60 ans de trahison des PC auxquelles
s'ajoute la trahison des appareils des syndicats, que ceux-ci soient réformistes
ou staliniens. A cela s'ajoute la crise de la IVe Internationale qui rejaillit
sur nous et qui déconsidère les organisations se réclamant d'elle et du
trotskysme.
L'existence de la LCR, de LO, de multiples groupuscules
en France, ce n'est pas rien. Le fait que la LCR, LO et d'autres aient sévi
depuis 1968 en France n'est pas sans avoir laissé des traces profondes. Il n'y a
pas besoin pour cela que ceux que nous pourrions gagner au PCI connaissent ce
qu'est la LCR, le SU, LO et d'autres, et même qu'ils sachent ,que ceux-ci
existent. Le trotskysme a une “ certaine réputation” depuis un demi-siècle. Il
va de crise en crise, de trahison en trahison de la IVe Internationale, du
trotskysme, au nom de la IVe Internationale et du trotskysme. Cette “ réputation
” n'est pas pondérale mais elle est comme en suspension dans l'atmosphère
politique.
S'ajoute également le sentiment des limites du PCI du
point de vue de l'efficacité que ceux qui nous côtoient vérifient rapidement.
Ils se rendent parfaitement compte que nous ne pouvons, que rarement mener à
terme ce que nous entreprenons. D'autres mesurent les difficultés à être
militant du PCI encore actuellement. Les contraintes et charges que cela
implique. la dureté de la bataille politique en particulier dans les
entreprises.
Il y a un phénomène remarquable. Souvent nous sommes
capables de regrouper relativement largement, d'associer au moins dans une
certaine mesure pour des objectifs précis. Souvent même nous avons autour de
nous des groupes de travailleurs qui nous soutiennent, qui se réunissent avec
nous. Pourtant, ils ne veulent pas entrer au PCI. Tenter de faire pression sur
tel ou tel travailleur pour qu'il entre tout de même au PCI aboutit très souvent
à ce qu'il prenne le large.
L'ensemble de ces causes qui ne dépendent pas de nous se
conjuguent.
Il en est d'autres qui dépendent de nous. Certaines ont
de nombreuses fois été énumérées : notre difficulté à répondre politiquement, à
se mettre à l'écoute des masses, à dialoguer avec elles, à associer à nos
activités, à organiser, à avoir une intervention continue, constante, à aller
jusqu'au bout, etc. Je ne les reprendrai pas. J'insisterai plutôt sur la
difficulté qu'il y a souvent à comprendre notre politique. Prenons l'exemple des
élections municipales. Nous avons fait toute la campagne sur le thème “ il faut
battre la droite ” . C'est sur ce thème que nous avons constitué nos listes.
S'il fallait “ battre la droite ” , Jospin avait raison de nous répondre ; “
Alors, au moins au deuxième tour, il faut que sans condition vous appeliez à
voter pour la gauche. ” Au lieu de quoi - à juste titre - nous n'avons
appelé ni à voter ni à ne pas voter (au moins officiellement) au deuxième tour.
Non seulement la plupart de ceux qui s’étaient présentés sur nos listes ne
savaient plus où ils en étaient, mais la plupart des militants du PCI non plus.
Au lieu de dire clairement, dès avant le 1er tour : “ En mai-juin 1981, la
population laborieuse a chassé Giscard, représentant patenté du capital.
Peut-elle entériner aujourd'hui par ses votes une politique qui reprend et
aggrave celle de Giscard et qui est entièrement au service du capital?” Ce qui
nous dégageait totalement pour le deuxième tour.
Enfin, s'il y a beaucoup de choses justes dans ce que
nous disons ou faisons, nous ne répondons pas par une politique d'ensemble aux
exigences de la situation actuelle et aux problèmes auxquels doit répondre un
parti. Je n'y reviens pas.
Confronté aux difficultés objectives et subjectives de
la construction du parti révolutionnaire, nous cherchons des solutions miracles
et des raccourcis qui ont pour conséquence d'affaiblir politiquement et
organisationnellement le PCI. Hier, c'était la constitution de “ sections du PCI
” , organismes complètement informes. Ensuite, cela a été les cellules de 10 et
même de 15 membres avec un bureau de cellule. En réalité, c'était transformer de
nombreuses cellules en nébuleuses dont le noyau était le bureau de cellule. Les
résultats n'ont pas été meilleurs. Maintenant, on nous propose une nouvelle
panacée : “ les sections pour le front commun, pour un parti ouvrier” . C'est le
constat de fait de l'échec de tous les plans précédents.
A la vérité, on ne sait plus très bien où on en est et
ce dont il s'agit. On nous dit : “ En aucun cas, il ne s'agit de fixer à ce
combat la construction d'une organisation nationale, d'un parti politique
centralisé. ” Mais précédemment, il est écrit dans la même résolution : “
Le temps est venu de rassembler les forces dans une initiative centralisée et
nationale qui pourrait prendre le contenu organisé d'un mouvement qui pourrait
être intitulé "Pour le front commun, pour un parti ouvrier, parti des
travailleurs". ” Le commun des mortels comprend qu'il s'agit de prendre une
initiative centralisée pour un nouveau parti ouvrier qui ne serait ni le PS, ni
le PCF, ni le PCI. Un tel parti aurait nécessairement une politique, une
direction, un programme implicite ou explicite. Où est la véritable orientation
? Est-ce dans la première où dans la deuxième affirmation
?
Ce n'est pas non plus la “ ligue ouvrière
révolutionnaire ” , éventualité au cas où nous n'aurions pas construit le parti
révolutionnaire avant que ne s'ouvre la crise révolutionnaire et que se
dégagerait un courant qui tendrait “ à s'organiser comme un courant centriste ”
.
“ C'est ici que s'insère la perspective stratégique de
la ligue : un cadre de militants contrôlés par les vieilles directions
s'efforcent de faire pression sur elles pour les amener à répondre aux
aspirations des asses. A ce cadre de militants, nous offrons une politique, des
explications, des mots d'ordre qui sont seuls aptes à répondre aux aspirations
des masses. Nous devons leur offrir une forme d'organisation au niveau de leur
propre expérience. Nous disons à ces militants :
''Pour nous, il n'est qu'un parti qui puisse répondre
aux aspirations des masses : le parti révolutionnaire de la IVe internationale,
qui est l'objectif du combat de l'OCI. Mais le combat de l'OCI sur telle ou
telle politique, tel ou tel mot d'ordre, telle ou telle tactique de lutte, telle
explication – vous l'admettez vous-mêmes - peut unir les travailleurs et la
jeunesse contre le capital et l'Etat. Vous approuvez cette politique de l'OCI
mais vous n'acceptez pas la conclusion que nous en tirons : construire un nouveau parti. Vous pensez pouvoir
utiliser les vieilles organisations pour la défense des intérêts des
travailleurs ; c'est votre droit comme c'est le nôtre de penser, autrement.
Combattons ensemble sur la politique, les mots d'ordre, pour la tactique sur
lesquels nous sommes d'accord.
Organisons-nous pour agir sur cette politique, ces mots
d'ordre, cette tactique. L'expérience, la libre discussion dans les rangs de la
classe ouvrière, trancheront. " ” (Résolution du XVIIIe Congrès de l'OCI - décembre 1972.
La Vérité n° 561 de juillet 1973).
Nous n'avons pas à ma connaissance renoncé à construire
le parti révolutionnaire avant l'ouverture de la crise révolutionnaire, et la
tendance à la construction d'un tel courant ne s'est pas dégagée. Si c'était le
cas, il faudrait le dire.
Il est vrai qu'autour de nous existent des jeunes, des
travailleurs, des militants que nous rassemblons en certaines occasions mais qui
ne rejoignent pas pour autant le PCI. Nous ne pouvons pas les négliger ; car
s'ils ne sont pas trotskystes, il ne faut jamais oublier que comme c'est avec
des civils que l'on fait des militaires, c'est avec des non trotskystes que l'on
fait des trotskystes. De plus, ils représentent à leur façon une force
politique. S'il s'agit de trouver des formes souples qui leur permettent de se
rassembler avec les trotskystes sans adopter pour autant l'ensemble de leur
politique, sans être soumis à la discipline et au militantisme du PCI, je suis
pour ma part d'accord. Il ne me semble pas néanmoins que ce soit une grande
nouveauté. Mais même dans ce cas, il faut distinguer. Il y a ceux que nous
rassemblons et organisons sur tel ou tel combat, sur tel ou tel mot d'ordre ou
revendication. Il y a ceux qui, sans vouloir adhérer au PCI, sont gagnés à la
nécessité d'un parti révolutionnaire et sont ouverts par rapport au PCI. Il ne
faut pas cependant en attendre une solution miracle à la question de la
construction du “ parti des 10 000 ” .
Tel que les choses sont présentées, on peut en déduire
que le “ parti des 10 000 ” , ce sera le PCI + eux.
Dans ce cas, c'est un parti à deux
étages.
En réalité, cela signifie que l'on ramènerait le PCI à
un niveau en dessous pour le mettre sur le plan vague et mal défini qui est
celui de ceux que l'on veut regrouper. Alors, loin de construire “ le parti des
10 000 ” , on irait vers la dissolution politique du PCI dans une masse
(relative) aux contours politiques extrêmement flous.
Nous construirons “ le PCI des 10 000 ” à la sueur de
notre front, si l'on peut dire, et non par des opérations miracles : par
l'intervention dans la lutte des classes, en rassemblant et en organisant avec
nous en des campagnes précises, sur des objectifs précis, en répondant aux
questions politiques que pose le quotidien, mais comme articulations, aspects
spécifiques d'une politique d'ensemble répondant aux questions fondamentales qui
se posent au pays. Pour cela, il faut un programme de défense de la classe
ouvrière, de la jeunesse et des masses populaires, c'est-à-dire un programme
d'action. Ce qui ne suffit encore pas.
Aucun militant ne peut tenir durablement dans le PCI, de
quelque façon qu'il ait été gagné, s'il n'assimile pas (ce qui ne veut pas dire
qu'il doit assimiler le Capital, toutes les oeuvres de Lénine et de
Trotsky) qu'il s'intègre à une organisation, laquelle s'inscrit dans la
perspective historique de la révolution prolétarienne, de reconstruction de la
IVe lnternationale, du socialisme.
S'il est membre du PCI seulement pour des objectifs et
des résultats immédiats, il ne tardera pas à le quitter. Il peut être gagné au
PCI à partir de tel ou tel problème précis, de tels ou tels objectif et action
précis. Mais il lui faut acquérir une vue beaucoup plus générale pour y rester,
Le chemin que nous avons à parcourir est long, très long ; les difficultés sont
et seront considérables et multiples. Il faut donner aux militants cette
compréhension.
Certes, on ne peut écarter qu'un mouvement national
résultant d'une “ initiative nationale centralisée ” soit nécessaire comme
transition vers le parti de la IVe Internationale. Encore faudrait-il être plus
précis sur les tendances plus ou moins affirmées ou en voie de cristallisation
en rupture avec les partis ouvriers traditionnels, les couches ou la couche de
jeunes, de travailleurs, de militants susceptibles de répondre à une telle
initiative et qui ne pourraient être gagnés directement au PCI. Une telle
initiative se justifierait, dit-on, parce que le saut serait trop grand entre
leur état politique supposé et le programme de la Ive
Internationale.
A supposer que cela soit, il est évident qu'un mouvement
national à vocation de parti, d'un parti ouvrier qui ne serait pas d'emblée le
PCI exige une politique et quoique l'on puisse en dire, exige un programme,
exige des moyens d'expression, exige une direction. Le pire serait de structurer
des “ sections ” préfigurant des organisations de base d'un semblable mouvement
en voulant les soumettre au contrôle administratif du PCI et aux limites
politiques fixées arbitrairement, a priori par le PCI.
En fait de démocratie ouvrière, ce serait exactement le
contraire. S'il s'agit de forces réelles, elles ne l'accepteraient pas plus
qu'elles ne pourraient accepter de s'exprimer sous le contrôle du PCI dans
Informations ouvrières. Finalement, nous ne regrouperions personne.
S'il était vrai que ces tendances à l'état encore plus
ou moins de nébuleuses existent, alors il faudrait s'acheminer vers une sorte de
conférence dont nous prendrions l'initiative et pas seulement monter des “
sections” dont on ne saurait pas ce qu'elles seraient, sections placées
néanmoins rigoureusement sous notre contrôle. Mais il faudrait proposer une
politique d'ensemble, sauf à dresser nous-mêmes un obstacle supplémentaire à la
construction du parti révolutionnaire en contribuant à édifier une organisation
indéfinie qui se chargerait forcément d'un contenu propre. Ce ne peut être
seulement le “ front commun, la démocratie ” , c'est obligatoirement un
programme de défense (une plate-forme si on veut l'appeler ainsi) de la classe
ouvrière, de la jeunesse et des masses populaires, un programme
d'action.
Le 17 janvier
1984,
Stéphane Just