Lutte de classe
Extraits
commentés de Que faire ? de Lénine – 1902
(Texte
copié à partir du site Internet Les archives des marxistes)
Ainsi donc, il y avait à la fois
éveil spontané des masses ouvrières, éveil à la vie consciente et à la lutte
consciente, et une jeunesse révolutionnaire qui, armée de la théorie
sociale-démocrate brûlait de se rapprocher des ouvriers. A ce propos, il
importe particulièrement d'établir ce fait souvent oublié (et relativement peu
connu), que les premiers social-démocrates de cette période, qui se livraient
avec ardeur à l'agitation économique (en tenant strictement compte, à cet
égard, des indications vraiment utiles de la brochure De l'agitation,
encore manuscrite en ce temps-là, loin de considérer cette agitation comme leur
tâche unique, assignaient dès le début à la social-démocratie russe les plus
grandes tâches historiques en général et la tâche du renversement de
l'autocratie, en particulier. (page10)
Commentaire : Sans
qu’il s’agisse de prétendre que toutes les conditions seraient réunies pour
renverser le régime demain matin et vaincre, il est bon de rappeler que c’est
l’objectif qui doit nous guider à chaque instant, et que cet objectif doit être
clairement mis en avant et non relégué à un futur indéterminé, ou simplement
évoqué dans un programme ou une brochure théorique, comme si on craignait de
choquer la susceptibilité des travailleurs.
Notez que pour Lénine,
l’inexistence d’un parti révolutionnaire capable de prendre le pouvoir
(condition subjective) n’interdit pas de faire de l’agitation politique sur le
thème du renversement du régime en place, parce que c’est le seul axe autour
duquel doit se construire le parti, ce qui s’inscrit en totale contradiction
avec la liquidation du PCI par les dirigeants actuel du PT au profit du
regroupement hétérogène que nous connaissons aujourd’hui.
Le 21 avril 2002 a démontré que les solutions
politiques proposées par l’ensemble des partis institutionnels étaient rejetées
par l’immense majorité des travailleurs laissant la question du pouvoir ouverte
et sans réponse. Cette analyse a été amplement confirmée par la victoire du non
au référendum du 29 mai 2005 qui posait directement la question du pouvoir, de
la nature des institutions et du régime.
Refuser aujourd’hui
d’engager le combat politique contre le gouvernement, contre le régime et les
institutions de la Ve République, c’est non seulement se positionner à la
traîne des masses, pire c’est les tirer en arrière.
Mais pour profiter de l'expérience
du mouvement et en tirer des leçons pratiques, il faut se rendre compte,
jusqu'au bout, des causes et de l'importance de tel ou tel défaut. (id)
Commentaire : au lendemain du mouvement contre le CPE, après le 14 avril, à ma connaissance personne, mais absolument personne, n’a évoqué de « tel défaut », on s’est contenté de nous ressortir les constatations générales qu’on nous sert maintenant depuis des décennies, une sorte de vérité éternelle, sans que personne ne se pose la moindre question, c’est superflu puisque les événements sont sensés se répéter ainsi jusqu’à la fin des temps. A quoi bon se poser des questions auxquelles on est incapable de répondre spontanément. C’est vrai que c’est plus facile de se poser des questions dont on connaît déjà les réponses… et de s’en contenter !
Nos révolutionnaires se sont contentés de constater les faits sans en tirer la moindre leçon, voilà la vérité. Tirer les leçons du mouvement social contre le gouvernement aurait nécessité de se poser une question que personne ne pose aujourd’hui : ne faut-il pas rompre toutes les relations avec le gouvernement, avec le Medef ? Ne faut-il pas boycotter tous les organismes de collaboration de classe ? Ne faut-il pas exiger que les syndicats ouvriers rompent immédiatement avec la CES ?
L'expérience révolutionnaire et
l'habileté organisatrice sont choses qui s'acquièrent. Il suffit qu'on veuille
développer en soi les qualités nécessaires ! Il suffit qu'on prenne conscience
de ses défauts, ce qui, en matière révolutionnaire, est plus que corriger à moitié
! (id)
Commentaire : on n’a pas toujours raison et il nous arrive de nous tromper, il faut le reconnaître, ce qui n’est pas le fort de l’homme en général ! Lénine avait raison, il n’y a pas de demi-mesure en la matière, qu’on le veuille ou non, sans tomber dans l’autocritique de préférence. La pression des idées dominantes est perceptible à l’intérieur de chaque parti ou groupe de militants, c’est un euphémisme aujourd’hui.
Elle se traduit évidemment en premier lieu en termes politiques, mais aussi au niveau du comportement de chaque militant. Un militant a le choix entre plusieurs comportements possibles :
1 – il répète comme un perroquet ce que lui disent ses dirigeants sans se donner la peine de réfléchir, il confond la confiance qu’il est nécessaire d’accorder à la direction du parti et la confiance aveugle dans la capacité de cette direction d’analyser correctement une situation politique, et à qui il prête un pouvoir d’infaillibilité. C’est le cas le plus fréquent ;
2 – il se fait sa propre idée de la situation politique sans en parler avec les autres camarades, de cette manière, il est sûr d’avoir raison dans son coin et il s’en contente, il évite ainsi toute controverse qui pourrait le forcer à argumenter ses positions, à corriger ses erreurs, il vit à l’intérieur du parti dans sa bulle, il suit la politique de sa direction mais sans la comprendre ;
3 – il regarde, écoute, lit ce que disent les uns et les autres avant de se forger sa propre opinion, il refuse catégoriquement de s’en remettre à telle ou telle position tant qu’il n’est pas capable de la défendre avec ses propres arguments, et s’il ne parvient pas à se faire une idée claire de la situation, provisoirement, il s’en remet à l’analyse qui lui paraît la plus sérieuse et la mieux argumentée, tout en continuant son travail de réflexion pour parvenir à une position irréfutable et défendable. Cela nécessite d’être particulièrement exigeant avec soi-même, ce qui est rarement le cas, c’est plus facile d’être exigeant envers les autres.
Seule le troisième comportement remet tout en cause en permanence sans tabou ni artifice. Il est un gage d’évolution et de progrès pour le militant, mais aussi pour le parti qui doit former des cadres capables de réfléchir par eux-mêmes. Prendre conscience de ses défauts ne s’improvise pas, c’est un art de vivre, c’est le produit d’une éducation que l’on nous a donnée ou le plus souvent une éducation qu’on s’est forgée avec le temps. Comment pourrait-on exiger des militants qu’ils adoptent ce comportement dans le parti s’ils ne sont pas capables de l’adopter dans la vie quotidienne ? Serait-on communiste dans certaines circonstances, quand on milite par exemple, et le reste du temps on se contenterait d’être un vulgaire individualiste ?
Lénine a parfaitement raison, sans efforts on n’arrive à rien dans la vie, au mieux notre propre médiocrité nous éblouie, et en aucun cas on ne peut prétendre être un militant révolutionnaire.
Tout homme fort de son opinion et
croyant apporter du nouveau, écrit avec "fougue" et il écrit de telle
sorte qu'il exprime sa manière de voir avec relief. Seuls les gens habitués à
rester assis entre deux chaises, manquent de "fougue" (...) (page
14)
Commentaire : notez bien qu’il ne faut pas confondre la fougue avec le gauchisme.
Les faits sont toujours teintés d’émotions. Certaines situations, certains comportements, certains événements nous donnent littéralement la nausée, donc il n’est pas osé de penser que nous ne sommes pas les seules à les ressentir de cette manière là.
Refuser d’exprimer
notre haine du système capitaliste pourri sous prétexte de s’en tenir à une
phraséologie et une sémantique stéréotypées comme s’est le cas dans la presse
révolutionnaire d’aujourd’hui, c’est se priver d’atteindre les masses qui
ressentent les choses avant de les comprendre, ce que les médias et les
capitalistes ont compris depuis très longtemps.
On ne peut être
qu’ulcérer devant toutes les compromissions auxquelles nous assistons, les
dénoncer avec « fougue » ne signifie pas qu’on est un enragé,
l’essentiel est de rester sur le terrain de la lutte des classes, d’éviter les
procès d’intention et surtout les insultes, ce qui serait inexcusable.
Que le mouvement de masse soit un phénomène très important, cela est hors de discussion. Mais toute la question est de savoir comment comprendre la "détermination des tâches" par ce mouvement de masse. Elle peut être comprise de deux façons : ou bien l'on s'incline devant la spontanéité de ce mouvement, c'est-à-dire que l'on ramène le rôle de la social-démocratie à celui de simple servante du mouvement ouvrier comme tel (ainsi l'entendent la Rabotchaïa Mysl, le "Groupe de l'autolibération" et les autres économistes) ou bien l'on admet que le mouvement de masse nous impose de nouvelles tâches théoriques, politiques et d'organisation, beaucoup plus compliquées que celles dont on pouvait se contenter avant l'apparition du mouvement de masse. (id)
Commentaire : il
vaut mieux choisir la deuxième attitude. Lénine insiste sur le fait qu’on doit
toujours se remettre en cause, ne suivre aucun principe aveuglément, qu’il faut
sans cesse faire des efforts. Le combat politique n’est pas de tout repos, il
implique que chaque militant soit capable de donner le meilleur de lui-même, il
est très exigeant, beaucoup plus qu’on ne peut l’être dans la vie quotidienne.
La lutte des classes
nécessite de s’adapter en permanence aux modifications de la situation
politique. Cela nécessite au niveau individuel, du militant, d’avoir un esprit
souple et ouvert et non un esprit étroit et borné.
Ceux qui refusent de poser clairement et directement la question du pouvoir, des institutions et de l’abolition du capitalisme « s'incline devant la spontanéité » du mouvement des masses en intégrant ses illusions au lieu d’être l’expression consciente du mouvement inconscient.
Quand un parti et son journal se consacrent uniquement au combat contre la fermeture des écoles, des hôpitaux, des bureaux de postes, à la défense des statuts des fonctionnaires, etc., ce qui est avant tout le rôle des syndicats, et qu’il refuse d’engager fermement le combat politique contre le gouvernement et le régime, ce n’est pas un parti socialiste, communiste ou révolutionnaire, c’est tout simplement un parti trade-unioniste.
On pourrait croire que Lénine a élaboré cette définition du trade-unionisme pour le Parti des travailleurs et Lutte ouvrière, elle leur va comme un gant.
Confondre la reconnaissance de
principe de tous les moyens, de tous les plans et procédés de lutte, pourvu
qu'ils soient rationnels, avec la nécessité de se guider à un moment politique
donné d'après un plan appliqué rigoureusement, si l'on veut parler tactique,
équivalait à confondre la reconnaissance par la médecine de tous les systèmes
de traitement, avec la nécessité de s'en tenir à un système déterminé dans le
traitement d'une maladie donnée. (page 15)
Commentaire : la
théorie en général ne peut remplacer ou déterminer à l’avance le choix d’une
tactique et d’un plan correspondant aux tâches à accomplir. De plus, il ne faut
pas confondre initiative et improvisation, ce qu’explique aussi Lénine.
(...) est désirable la lutte qui
est possible ; est possible celle qui se livre au moment présent. C'est là
précisément la tendance de l'opportunisme illimité, qui s'adapte passivement à
la spontanéité. (id)
Commentaire :
Lénine ne confond pas la lutte qui est possible cher aux opportunistes
et qui sert de référence aux dirigeants syndicaux (notamment, et à LO en
particulier) qui prétendent que la grève générale n’est pas possible et que
seule la grève qui s’étendra entreprise par entreprise finira un jour par se
transformer en grève générale, ce qui revient à tirer le mouvement en arrière,
et la nécessité de dégager une tactique et des mots d’ordre contre le pouvoir
en place en s’adressant à l’ensemble du prolétariat et de sa jeunesse en
s’appuyant sur leurs fractions les plus avancées.
On comprend également
la différence entre le mot d’ordre de grève générale interprofessionnelle qui
demeure sur le terrain économique, et celui de
grève générale qui se place résolument sur le terrain politique.
S’en remettre à ce qui
est possible, c’est ne pas voir plus loin que le bout de son nez. C’est
s’adapter au présent, donc s’est forcément
s’adapter au capitalisme, c’est sombrer dans le réformisme vulgaire, le
trade-unionisme et l’altermondialisme.
La vie, c’est le
mouvement, donc pour que la vie puisse se concevoir au-delà du moment présent,
on est obligé de la concevoir dans son devenir. Si j’ajoute que le monde vivant
est issu du monde inorganique, on comprend bien que tout raisonnement inverse
est forcément rétrograde, antiscientifique et réactionnaire.
"La tactique-plan
contredit l'esprit fondamental du marxisme !" Mais c'est calomnier le
marxisme, c'est en faire une caricature analogue à celle que nous opposaient
les populistes dans leur guerre contre nous. C'est rabaisser l'initiative et
l'énergie des militants conscients, alors que le marxisme stimule au contraire,
formidablement l'initiative et l'énergie du social-démocrate, en lui ouvrant
les plus larges perspectives, en mettant (si l'on peut s'exprimer ainsi) à sa
disposition les forces prodigieuses des millions et des millions d'ouvriers qui
se dressent "spontanément" pour la lutte ! Toute l'histoire de la
social-démocratie internationale fourmille de plans formulés par tel ou tel
chef politique, plans qui attestent la clairvoyance des uns et la justesse de
leurs vues en matière de politique et d'organisation, ou qui dévoilent la
myopie et les erreurs politiques des autres. (id)
Commentaire : Tous
ceux qui rabâchent des mots d’ordre éculés sans tactique ni plan devraient
réfléchir à cette question. Peut-être se rendraient-ils compte alors, que les
analyses qu’ils développent et les positions qu’ils défendent actuellement ne permettent
pas d’aboutir à mettre sur pied un plan rigoureux devant mener à la prise du
pouvoir par le prolétariat, mais tout simplement à une impasse politique.
Il faut admettre
qu’aujourd’hui, le PT est le seul parti à avoir un plan d’action dont le Comité
pour la reconquête de la démocratie est l’expression achevée. Certes sa
forme et son contenu sont sur une ligne trade-unioniste, donc erronés, et ils
ne permettent pas d’envisager la prise du pouvoir par le prolétariat. Cependant
la tactique est correcte : pour que le prolétariat prenne le pouvoir et
constitue sa propre représentation politique au cours de la révolution
prolétarienne, il doit se doter d’un organisme politique indépendant de combat
pour préparer l’avènement de l’Assemblée constituante souveraine. Ces comités
fédérés au niveau national ne devront être subordonnés à aucun parti et être
organisés sur le modèle des soviets, indépendamment de l’Assemblée
constituante, qui, en cas de faillite, sera liquidée, les soviets prendront
alors le pouvoir, guidés par le parti révolutionnaire devenu majoritaire.
Les militants, dont la
sincérité et l’honnêteté n’est pas à remettre en cause, qui s’imaginent pouvoir
combattre le gouvernement efficacement et construire un parti révolutionnaire
sans plan ni tactique, se fourrent le doigt dans l’œil et perdent leur temps et
gaspillent leur énergie.
J’ai envie de leur dire
que l’amour-propre mal placé est aussi nocif que le pire des opportunismes.
Reprenez la tactique et
le plan du PT en donnant à ces comités une forme englobant tous les secteurs du
prolétariat et de la petite-bourgeoisie, intégrant des syndicalistes et des
élus, et donnez leur un contenu conforme au combat politique et non au combat
économique, et vous jugerez les résultats par vous-mêmes.
Il vaut mieux encore
avoir un mauvais plan que pas de plan du tout, comme c’est le cas actuellement
de l’ensemble des groupes de militants. Notez bien qu’il ne s’agit pas de
copier le PT, mais de faire mieux, de corriger ses erreurs au lieu de les
reproduire à l’infini.
Au moment où de nombreux
social-démocrates russes manquent justement d'initiative et d'énergie, manquent
d'"envergure dans la propagande, l'agitation et l'organisation
politiques", manquent de "plans" pour une
organisation plus large du travail révolutionnaire, dire dans un pareil moment
que "la tactique-plan contredit l'esprit fondamental du marxisme",
c'est non seulement avilir théoriquement le marxisme, mais pratiquement tirer
le parti en arrière.(id)
Commentaire : Embrasser la situation politique, économique et social actuelle sans prendre en compte les développements futurs qu’elle porte en germe, ne peut qu’aboutir à l’opportunisme.
Vous aurez remarqué que dans le paragraphe précédent Lénine avait évoqué les bons et les mauvais plans, car pour lui le pire, c’est de n’en avoir aucun. On peut soumettre deux plans distincts à la critique en comparant leurs arguments, et mener ensuite le combat contre le plan erroné, mais il est plus difficile, voir impossible, de lutter contre ceux qui n’en ont aucun, puisqu’ils passent sans cesse d’une position à une autre. Il dira plus loin que l’opportunisme est la pire attitude politique. On comprend pourquoi. Cela n’empêche personne d’avoir un plan et de s’avérer être un vulgaire opportuniste, mais c’est plus facile de le démasquer.
De ce que les intérêts économiques
jouent un rôle décisif, il ne s'ensuit nullement que la lutte économique (=
professionnelle) soit d'un intérêt primordial, car les intérêts les plus
essentiels, "décisifs", des classes ne peuvent être satisfaits, en
général, que par des transformations politiques radicales, en particulier,
l'intérêt économique capital du prolétariat ne peut être satisfait que par une
révolution politique remplaçant la dictature de la bourgeoisie par celle du prolétariat.
B. Kritchevski répète le raisonnement des "V V. de la social-démocratie
russe" (le politique vient après l'économique, etc.) et des bernsteiniens
de la social-démocratie allemande (c'est justement par un raisonnement analogue
que Voltmann, par exemple, cherchait à démontrer que les ouvriers doivent
commencer par acquérir la "force économique" avant de songer à la
révolution politique). (id)
Commentaire : La
subordination de la lutte politique à
la lutte économique aboutit à ce que nous assistons au PT, la LCR et LO.
C’est le prolétariat
élevé au rang de classe dominante (la dictature du prolétariat) qui peut
résoudre toutes les questions économiques fondamentales auxquelles il est
confronté. Le combat politique pour renverser le régime ne s’inscrit pas dans
la continuité du combat économique contre le patronat dans les entreprises, il
ne se substitue pas non plus à lui, ces deux combats se mènent de front et
séparément bien qu’ils puissent se recouper par endroits. Ceux qui confondent
les deux aboutissent au trade-unionisme.
Le mot d’ordre de
gouvernement des partis et des syndicats reflète cette confusion. La
subordination des syndicats aux partis et au gouvernement aboutit à leur
liquidation en tant que syndicats ouvriers indépendants, et au pire, elle ouvre
la voie au parti unique, à la dictature ou au stalinisme, ce qui revient
sensiblement au même pour le prolétariat.
Que ce soit lors des
émeutes des banlieues en novembre 2005 ou lors du mouvement contre le CPE de
février en avril 2006, ou même lors du référendum sur le traité constitutionnel
européen, pourquoi les uns et les autres ont-ils cherché à tout prix à
détourner l’attention des travailleurs et des jeunes du véritable enjeu de ces
batailles ? Parce qu’elles posaient une question éminemment
politique : la question du pouvoir, de l’Etat, des institutions, de la
constitution qu’il fallait protéger, soit par la démagogie la plus grotesque
soit par la répression. Qui ne voit pas que la question du pouvoir est brûlante
depuis le 21 avril 2002 ?
Lénine remet à sa place
le combat économique et le combat politique des militants révolutionnaires.
Cela m’amène à poser
une question : pourquoi le combat politique devrait-il toujours dépendre
en dernière analyse du combat économique ? Lénine prétend le contraire et
je pense qu’il avait raison.
Tous les
révolutionnaires font découler le début de la révolution de la grève générale
dont le contenu est à la base économique. Or, chaque fois nous sommes
confrontés au même problème : la grève démarre sur la base de
revendications économiques, et lorsqu’elle prend une tournure politique, chaque
fois, au dernier moment, elle est ramenée au point de départ, c’est-à-dire au
niveau économique ce qui permet de sauver le régime en place, tout au plus aboutissons-nous
à un changement de gouvernement.
On pourrait donc en
déduire que la grève générale pourrait avoir une orientation politique dés le
début du mouvement, qu’elle devrait être impulsée par les partis ouvriers et
non par les syndicats, ce qui n’empêche pas les syndicats d’appeler à des
grèves pour soutenir des revendications économiques, ni de soutenir une grève
au contenu politique, à condition que chacun reste à sa place et de ne pas tout
confondre.
Le problème qui se
produit chaque fois, c’est que les appareils des partis ouvriers finissent
toujours par favoriser le contenu économique de la grève au détriment de son
contenu politique. D’où la nécessité absolue pour le prolétariat de constituer
des comités politiques de résistances pour empêcher que cette dérive se
reproduise...
On pourrait ajouter que
le processus que je viens de décrire s’explique parfaitement par la
subordination des appareils des syndicats ouvriers à ceux des principaux partis
issus du mouvement ouvrier PS, PCF, LCR, LO, et PT.
L’indépendance des
syndicats ouvriers est un leurre, une mystification de ceux qui s’en réclament
comme si elle existait vraiment.
C’est justement pour
essayer de camoufler cette supercherie que certains mettent sans cesse en avant
cette soi-disant indépendance des syndicats vis-à-vis des partis, pour qu’on ne
s’interroge pas trop sur le rôle exact qu’ils jouent à l’intérieur des
syndicats, ils se présentent comme les meilleurs défenseurs de leur
indépendance. On a là un exemple type de ce qu’on appelle l’opportunisme en
politique.
Mais quel est le rôle de la
social-démocratie, si ce n'est d'être "l'esprit" qui non seulement
plane au-dessus du mouvement spontané, mais élève ce dernier jusqu'à "son
programme" ? Ce n'est pourtant pas de se traîner à la queue du mouvement :
chose inutile dans le meilleur des cas, et, dans le pire, extrêmement nuisible
pour le mouvement. Le Rabotchéïé Diélo, lui, ne se borne pas à suivre cette
"tactique-processus"; il l'érige même en principe, de sorte que sa tendance
devrait être qualifiée non d'opportunisme, mais plutôt de queuisme (du mot
queue). Force est de reconnaître que des gens fermement décidés à toujours
marcher à la queue du mouvement, sont absolument et à jamais garantis contre le
défaut de "sous-estimer l'élément spontané du développement". (page
16)
Commentaire :
élever le mouvement spontané jusqu’au programme de la révolution prolétarienne.
Les revendications
politiques ne sont pas une extension des revendications économiques.
A partir des rapports
sociaux d’exploitation existant, il appartient aux institutions de l’Etat de
déterminer les moyens politiques à mettre en œuvre pour défendre les intérêts
spécifiques de la classe dominante (donc économiques), et c’est à la
Constitution que revient le rôle de garantir la pérennité du système
capitaliste en codifiant les rapports entre les exploiteurs et les exploités,
et de définir ainsi la nature du régime.
Ce n’est pas
l’entreprise ou le patron en soi qui détermine l’existence des classes
sociales, elles existent, c’est un constat. Le patron s’appuie sur les droits
que lui octroient les institutions et la Constitution pour exploiter les
travailleurs. Il est dés lors facile de comprendre, que toute atteinte aux
droits sociaux, économiques et démocratiques des travailleurs descend
directement des institutions et de la Constitution pour le compte des patrons,
et qu’il suffirait de remplacer le contenu de ces institutions et de cette
Constitution pour régler son compte aux patrons, au capitalisme.
Le rôle de l’Etat à
travers ses institutions est de permettre aux patrons d’exploiter les
travailleurs. C’est donc l’Etat qui fixe les règles du jeu. En s’attaquant à
l’Etat bourgeois, on remet directement en cause la nature du régime, on arrache
la mauvaise herbe par la racine, on abolit le capitalisme au lieu de le
réformer.
L’entreprise est bien
le lieu où se déroule l’exploitation capitaliste, mais c’est la Constitution et
les institutions qui en garantissent
l’existence et la pérennité, qui en sont les piliers.
On pourrait démontrer
de mille manières que le combat des révolutionnaires contre la fermeture d’un
hôpital, par exemple, ne peut conduire, en cas de succès, qu’à une solution
provisoire, fragile et bâtarde. Puisque le gouvernement, confronté à un mouvement
social de masse dans l’hôpital en question, sera peut-être obligé de reculer et
d’abandonner son projet, il lui suffira alors de s’attaquer à un autre hôpital
en ayant tiré les leçons de son échec, pour aboutir à ses fins, par exemple,
cette fois, en associant directement la direction des syndicats après une
campagne démagogique en direction de la population locale. Si ce combat ne
s’inscrit pas dans le cadre du combat politique pour en finir avec le régime,
il aura été mené en pure perte ou presque, en tout cas, il n’aura pas permis de
recruter des militants sur une base saine, mais sur une base trade-unioniste.
Les militants
révolutionnaires peuvent combattre la fermeture d’un hôpital dans leur
syndicat, et ils peuvent aussi mener le combat directement sur le terrain
politique en expliquant pourquoi le gouvernement et la nature du régime
s’opposent à l’existence de cet hôpital, d’où la nécessité de s’organiser
pour construire un parti
révolutionnaire, afin d’en finir avec les institutions, etc.
Cette démarche est
logique et rationnelle, elle tient debout, parce qu’elle se situe d’une part
dans la perspective politique du renversement du régime par les masses, et
d’autre part parce qu’elle part de la nécessité de construire un parti
révolutionnaire pour y parvenir. Ne comprenez-vous donc pas pourquoi le PT, la
LCR et LO ne sont pas sur cette ligne ? Mais tout simplement parce qu’ils
ne construisent pas un parti révolutionnaire. C’est très simple à comprendre
pourtant.
Au fur et à mesure que l'élan spontané
des masses s'accroît et que le mouvement s'élargit, le besoin de haute
conscience dans le travail théorique, politique et d'organisation de la
social-démocratie augmente infiniment plus vite encore. (id)
Commentaire :
aucun.
La social démocratie dirige la
lutte de la classe ouvrière, non seulement pour obtenir des conditions
avantageuses dans la vente de la force de travail, mais aussi pour la
suppression de l'ordre social qui oblige les non-possédants à se vendre aux
riches. La social-démocratie représente la classe ouvrière dans ses rapports
non seulement avec un groupe donné d'employeurs, mais aussi avec toutes les
classes de la société contemporaine, avec l'Etat comme force politique
organisée. Il s'ensuit donc que, non seulement les social-démocrates ne peuvent
se limiter à la lutte économique, mais qu'ils ne peuvent admettre que
l'organisation des divulgations économiques constitue le plus clair de leur
activité. Nous devons entreprendre activement l'éducation politique de la
classe ouvrière, travailler à développer sa conscience politique. (page18)
Commentaire : pour
les révolutionnaires, le travail politique doit être prépondérant sur le
travail économique, c’est-à-dire à l’intérieur des syndicats. Or aujourd’hui,
on assiste à tout le contraire, il y a même des groupes politiques qui sont
intégrés dans des structures syndicales (Éducation nationale). Ne rigolez pas,
ce sont des trotskystes, encore une étiquette qui ne veut plus rien dire.
Le syndicalisme n’est
plus dans certains cas qu’un groupe de pression, qu’un cartel de militants bien
organisé défendant les revendications de leur profession, à la façon d’un
lobby, en faisant pression sur le gouvernement. Quant au reste, c’est-à-dire
aux revendication politiques du prolétariat, cela fait longtemps qu’ils ont
abandonné tout combat, libres à eux d’affirmer le contraire, cela ne changera
d’ailleurs rien à la réalité.
La question se pose : en quoi donc
doit consister l'éducation politique ? Peut-on se borner à propager l'idée que
la classe ouvrière est hostile à l'autocratie ? Certes, non. Il ne suffit pas
d'éclairer les ouvriers sur leur oppression politique (comme il ne suffisait
pas de les éclairer sur l'opposition de leurs intérêts à ceux du patronat). Il
faut faire de l'agitation à propos de chaque manifestation concrète de cette
oppression (comme nous l'avons fait pour les manifestations concrètes de
l'oppression économique). Or, comme cette oppression s'exerce sur les classes
les plus diverses de la société, se manifeste dans les domaines les plus divers
de la vie et de l'activité professionnelle, civile, privée, familiale,
religieuse, scientifique etc., etc., n'est-il pas évident que nous
n'accomplirons pas notre tâche qui est de développer la conscience politique
des ouvriers, si nous ne nous chargeons pas d'organiser une vaste campagne
politique de dénonciation de l'autocratie ? En effet, pour faire de l'agitation
au sujet des manifestations concrètes d'oppression, il faut dénoncer ces
manifestations (de même que pour mener l'agitation économique, il fallait
dénoncer les abus commis dans les usines). (id)
Commentaire : même lorsque Chirac a été mis en cause par des juges et sommé de s’expliquer devant la justice, ce qu’il a refusé de faire au nom de l’immunité qui protège la fonction de chef de l’Etat, aucun parti n’a engagé une campagne nationale pour dénoncer les privilèges exorbitants attachés à sa charge, sur le thème, par exemple, de l’abolition des privilèges, abolition de la fonction présidentielle et des institutions de la Ve république. A aucun moment le PT, la LCR ou LO n’ont engagé de bataille politique allant dans le sens de ce qu’écrivait Lénine. Sans doute valait-il mieux laisser la parole aux médias et ne pas déranger Chirac. On avait bien compris.
Là encore nous avons une preuve de plus que ces partis et organisations n’ont rien à voir avec le parti dont parlait Lénine.
Est-il vrai que la lutte
économique soit en général "le moyen le plus largement applicable"
pour entraîner les masses dans la lutte politique ? C'est absolument faux.
Toutes les manifestations, quelles qu'elles soient, de l'oppression policière
et de l'arbitraire absolutiste, et non pas seulement celles qui sont liées à la
lutte économique, sont un moyen non moins "largement applicable" pour
un pareil "entraînement". (id)
Commentaire : un pavé dans la mare des trade-unionistes.
Pourquoi le PT ne s’intéresse-t-il pas du tout aux milliers de militants qui ont été arrêtés, aux dizaines de condamnations qui ont eu lieu dans la foulée entre février et avril 2006 ? Parce qu’il n’y avait aucun militant du PT dans le lot ? On est en droit de le penser. Les intérêts du PT s’arrêtent-ils à sa petite entreprise de presse, la SARL Informations ouvrières ?
N'aurait-il pas été plus logique
de dire ici encore qu'il faut soutenir une lutte économique aussi large que
possible ; qu'il faut toujours l'utiliser aux fins d'agitation politique mais
qu'il "n'est nul besoin" de considérer la lutte économique comme le
moyen le plus largement applicable pour entraîner la masse à la lutte politique
active ? (id)
Commentaire : déjà fait plus haut.
La social-démocratie
révolutionnaire a toujours compris et comprend toujours dans son activité la
lutte pour les réformes. Mais elle use de l'agitation "économique"
non seulement pour exiger du gouvernement des mesures de toutes sortes, mais
aussi (et surtout) pour exiger de lui qu'il cesse d'être un gouvernement
autocratique. En outre, elle croit devoir présenter au gouvernement cette
revendication non seulement sur le terrain de la lutte économique, mais aussi
sur le terrain de toutes les manifestations, quelles qu'elles soient, de la vie
politique et sociale. En un mot, elle subordonne la lutte pour les réformes,
comme la partie au tout, à la lutte révolutionnaire pour la liberté et le socialisme.
(page 19)
Commentaire : Lénine a écrit ses lignes en 1902 au moment ou le capitalisme était dans sa période ascendante, lorsque pour se développer, il avait besoin de résoudre des questions liées à l’éducation et la santé des travailleurs… Il était alors en pleine expansion. Le capitalisme n’a pas institué l’école obligatoire par humanisme, à la fin du XIXe siècle, mais par nécessité économique uniquement.
Aujourd’hui et depuis la première guerre mondiale, plus tard disent certains, le capitalisme est entrée dans sa période descendante, de pourrissement et de décomposition. Dés lors, l’heure n’est plus aux réformes, mais aux contre-réformes, à la liquidation de tous les acquis sociaux et démocratiques. Ce qui pourrait être considéré à première vue pour une réforme, est immédiatement accompagné d’une contre-réforme aujourd’hui.
Prenez la CMU, par exemple, ou même le RMI, on pourrait penser que ce sont deux réformes progressistes puisqu’elles soulagent les plus pauvres. Dans le même temps, le gouvernement prend un certain nombre de mesures contre la Sécurité sociale, ferme des maternités, supprime des lits dans tous les hôpitaux, etc., et il organise la chasse aux chômeurs, il en fait radier des dizaines de milliers des Assedic. La CMU et le RMI ne sont donc pas des réformes, elles accompagnent la paupérisation croissante de la société, produit des contre-réformes qu’il a mises en œuvre lui-même pour éviter ou retarder une explosion sociale, une révolution.
Ceux qui prétendent à l’image du PT (voir l’article de Stentor dans IO) que l’heure est la réforme sont des mystificateurs et des falsificateurs puisqu’ils osent se réclamer encore des enseignements de Lénine.
Que l’on défende bec et ongle toutes les conquêtes sociales, c’est un devoir absolu auquel aucun militant ne devrait échapper, mais prétendre que l’on lutte pour des réformes, cela signifie que le capitalisme est encore en mesure d’en accorder de grès ou de force, ce qui contredit évidemment ce qu’ils disent par ailleurs, lorsqu’ils affirment que le capitalisme est entrée dans une phase de décomposition, de pourrissement, depuis bientôt un siècle.
On retrouve là l’opportunisme dont parlait Lénine : tout dire et son contraire de façon à ce qu’on ne sache plus très bien ce que vous faites ni qui vous êtes exactement.
"La lutte économique
contre le gouvernement" est précisément la politique trade-unioniste,
qui est encore très, très loin de la politique social-démocrate. (page 20)
Commentaire : un doux euphémisme de la part de Lénine qui se comprenait en 1902, mais qui passerai très mal aujourd’hui. La politique trade-unioniste est si éloignée du marxisme qu’on devrait plutôt parler de réactionnaires.
La conscience de la classe
ouvrière ne peut être une conscience politique véritable si les ouvriers ne
sont pas habitués à réagir contre tous abus, toute manifestation d'arbitraire,
d'oppression, de violence, quelles que soient les classes qui en sont victimes,
et à réagir justement du point de vue social-démocrate, et non d'un autre. La conscience
des masses ouvrières ne peut être une conscience de classe véritable si les
ouvriers n'apprennent pas à profiter des faits et événements politiques
concrets et actuels pour observer chacune des autres classes sociales dans
toutes les manifestations de leur vie intellectuelle, morale et politique,
s'ils n'apprennent pas à appliquer pratiquement l'analyse et le critérium
matérialistes à toutes les formes de l'activité et de la vie de toutes les
classes, catégories et groupes de la population. Quiconque attire l'attention,
l'esprit d'observation et la conscience de la classe ouvrière uniquement ou
même principalement sur elle-même, n'est pas un social-démocrate; car, pour se
bien connaître elle-même, la classe ouvrière doit avoir une connaissance précise
des rapports réciproques de la société contemporaine, connaissance non
seulement théorique... disons plutôt : moins théorique que fondée sur
l'expérience de la vie politique. Voilà pourquoi nos économistes qui prêchent
la lutte économique comme le moyen le plus largement applicable pour entraîner
les masses dans le mouvement politique, font oeuvre profondément nuisible et
profondément réactionnaire dans ses résultats pratiques. Pour devenir
social-démocrate, l'ouvrier doit se représenter clairement la nature
économique, la physionomie politique et sociale du gros propriétaire foncier et
du pope, du dignitaire et du paysan, de l'étudiant et du vagabond, connaître
leurs côtés forts et leurs côtés faibles, savoir démêler le sens des formules
courantes et des sophismes de toute sorte, dont chaque classe et chaque couche
sociale recouvre ses appétits égoïstes et sa “nature” véritable ; savoir
distinguer quels intérêts reflètent les institutions et les lois et comment
elles les reflètent. Or, ce n'est pas dans les livres que l'ouvrier pourra
puiser cette “représentation claire” : il ne la trouvera que dans des exposés
vivants, dans des révélations encore toutes chaudes sur ce qui se passe à un
moment donné autour de nous, dont tous ou chacun parlent ou chuchotent entre
eux, ce qui se manifeste par tels ou tels faits, chiffres, verdicts, etc., etc.
Ces révélations politiques embrassant tous les domaines sont la condition
nécessaire et fondamentale pour éduquer les masses en vue de leur activité
révolutionnaire. (page 20-21)
Commentaire : Encore faudrait-il qu’on soit capable de s‘adresser aux travailleurs dans un autre langage que celui des militants professionnels qui ne s’adressent qu’à eux-mêmes. Dans une autre partie de Que faire ? Lénine aborde la question de la propagande et du journal du parti. Il explique qu’il faudrait avoir un journal plus théorique destiné aux militants et un autre plus accessible aux masses, abordant les questions de la vie quotidienne telles que les vivent les différentes classes de la société. Il faut entraîner les travailleurs à haïr les patrons, les propriétaires, les politiciens qui se goinfrent sur leur dos.
Là encore la place est cédée à une certaine presse populaire bourgeoise qui dénonce les excès des uns pour mieux accabler les autres ou leur trouver des circonstances atténuantes, cela ne remplacera jamais un journal dirigé par des marxistes.
De cette manière, on a l’impression d’être en démocratie, cela rend service à la bourgeoisie, elle s’y retrouve au bout du compte. Pour elle, ce qui compte de l’extérieur, ce n’est pas ce qu’elle est vraiment, mais les fausses intentions qu’on lui prête.
Nous avons encore fait très peu,
presque rien pour jeter dans les masses ouvrières des révélations d'actualité
et embrassant tous les domaines. Beaucoup d'entre nous n'ont même pas encore
conscience de cette obligation qui leur incombe, et ils traînent spontanément à
la suite de la “lutte obscure, quotidienne” dans le cadre étroit de la vie
d'usine.(page 22)
Commentaire : idem
Quant à appeler les masses à l'action, cela se fera automatiquement, dès qu'il y aura une agitation politique énergique et des révélations vivantes et précises. Prendre quelqu'un en flagrant délit et le flétrir immédiatement devant tous et partout, voila qui agit plus efficacement que n'importe quel “appel”, et agit souvent de façon qu'il est impossible, dans la suite, d'établir qui a proprement “appelé” la foule et qui a proprement lancé tel ou tel plan de manifestation, etc. Appeler à une action concrète, et non en général, on ne peut le faire sur le lieu même de l'action ; on ne peut appeler les autres à agir que si l'on donne soi-même et immédiatement l'exemple. Notre devoir à nous, publicistes sociales-démocrates, est d'approfondir, d'élargir et de renforcer les révélations politiques et l'agitation politique. (id)
Commentaire : Faut-il encore se situer sur le terrain politique et non celui du trade-unionisme.
Nos économistes, y compris le
Rabotchéïé Diélo, ont eu du succès parce qu'ils se pliaient à la mentalité des
ouvriers arriérés. Mais l'ouvrier social-démocrate, l'ouvrier révolutionnaire
(le nombre de ces ouvriers augmente sans cesse) repoussera avec indignation
tous ces raisonnements sur la lutte pour des revendications “qui promettent des
résultats tangibles”, etc. ; car il comprendra que ce ne sont que des
variations sur le vieux refrain du kopeck d'augmentation par rouble. Cet
ouvrier dira à ses conseilleurs de la Rabotchaïa Mysl et du Rabotchéïé Diélo :
Vous avez tort, messieurs, de vous donner tant de peine et de vous mêler avec
trop de zèle de choses dont nous nous acquittons nous-mêmes, et de vous dérober
à l'accomplissement de vos propres
tâches. Il n'est pas du tout intelligent de dire, comme vous faites, que la
tâche des social-démocrates est de donner un caractère politique à la lutte
économique elle-même ; ceci n'est que le commencement, ce n'est pas la tâche
essentielle des social-démocrates ; car dans le monde entier, la Russie y
comprise, c'est souvent la police elle-même qui commence à donner à la lutte
économique un caractère politique ; les ouvriers apprennent eux-mêmes à
comprendre pour qui est le gouvernement. En effet, la “lutte économique des
ouvriers contre le patronat et le gouvernement”, que vous exaltez comme si vous
aviez découvert une nouvelle Amérique, est menée dans quantité de trous perdus
de la Russie par les ouvriers eux-mêmes, qui ont entendu parler de grèves, mais
ignorent probablement tout du socialisme. Notre “activité” à nous autres
ouvriers, activité que vous vous obstinez à vouloir soutenir en lançant des
revendications concrètes qui promettent des résultats tangibles, existe déjà
chez nous ; et dans notre action professionnelle ordinaire, de tous les jours,
nous présentons nous-mêmes ces revendications concrètes, la plupart du temps
sans aucune aide des intellectuels. Mais cette activité ne nous suffit pas ;
nous ne sommes pas des enfants que l'on peut nourrir avec la bouillie de la
seule politique “économique”; nous voulons savoir tout ce que savent les
autres, nous voulons connaître en détail tous les côtés de la vie politique et
participer activement à chaque événement politique. (id)
Commentaire : assez de « bouillie » trade-unioniste, les travailleurs sont capables d’accéder à la compréhension de la situation politique. Serions-nous nous-mêmes des exceptions, le produit d’un phénomène étrange et inexpliqué ? Grand dieu, par quel miracle avons-nous réussi à sortir de notre crasse ignorance politique ? Les militants se posent-il seulement cette question, je n’en suis pas sûr.
La thèse d'après laquelle il faut
“donner à la lutte économique elle-même un caractère politique” traduit de la
façon la plus frappante le culte de la spontanéité dans le domaine de
l'activité politique. Très souvent, la lutte économique revêt un caractère
politique de façon spontanée, c'est-à-dire sans l'intervention de ce “bacille
révolutionnaire que sont les intellectuels”, sans l'intervention des
social-démocrates conscients. Ainsi, la lutte économique des ouvriers en
Angleterre a revêtu, de même, un caractère politique sans la moindre
participation des socialistes. Mais la tâche des social-démocrates ne se borne
pas à l'agitation politique sur le terrain économique ; leur tâche est de
transformer cette politique trade-unioniste en une lutte politique
social-démocrate, de profiter des lueurs que la lutte économique a fait
pénétrer dans l'esprit des ouvriers pour élever ces derniers à la conscience
politique social-démocrate. Or, au lieu d'élever et de faire progresser la
conscience politique qui s'éveille spontanément, les Martynov se prosternent
devant la spontanéité et répètent, répètent jusqu'à l'écœurement, que la lutte
économique "fait penser” les ouvriers à leur absence de droits politiques.
Il est regrettable que cet éveil spontané de la conscience politique
trade-unioniste ne vous “fasse pas penser”, vous messieurs, à vos tâches de
social-démocrates !(id)
Commentaire : Certains y penseront-ils en lisant ces lignes ? Nous l’espérons vivement.
Acquittez-vous avec un peu plus de
zèle de cette tâche qui est la vôtre et parlez moins “d'élever l'activité de la
masse ouvrière”. De l'activité, nous en avons beaucoup plus que vous ne pensez,
et nous savons soutenir par une lutte ouverte, par des combats de rue, même des
revendications qui ne promettent aucun “résultat tangible” ! Et ce n'est pas à
vous d'“élever” notre activité, car l'activité est justement ce qui vous
manque. Ne vous inclinez pas tant devant la spontanéité et songez un peu plus à
élever votre activité à vous, messieurs ! (id)
Commentaire : à bon entendeur, salut !
Martynov “se représente un autre
dilemme, plus réel ( ?)”. (La social-démocratie et la classe ouvrière, p. 19) :
“Ou bien la social-démocratie assume la direction immédiate de la lutte
économique du prolétariat et la transforme par-là (!) en lutte révolutionnaire
de classe...". “Par-là”, c'est-à-dire probablement par la direction
immédiate de la lutte économique. Que Martynov veuille bien indiquer où il a vu
que par le seul fait de diriger la lutte syndicale, on ait pu transformer le
mouvement trade-unioniste en mouvement révolutionnaire de classe. Ne
comprendra-t-il pas que, pour réaliser cette “transformation”, nous devons nous
mettre activement à la “direction immédiate" de l'agitation politique sous
toutes ses formes ?.” (page 23)
Commentaire : les intéressés à qui s’adressent ces lignes se reconnaîtront facilement.
Souvenez-vous à la veille du référendum, de ceux qui expliquaient que le combat hautement politique s’il en était un, pour le vote non à la « Constitution » européenne, trouverait son prolongement dans les entreprises, c’est-à-dire au niveau du combat économique, ce que réfute par avance Lénine, en expliquant que le combat au lendemain de 29 mai 2005 aurait dû se poursuivre avant tout sur le terrain politique. C’était une façon comme une autre de venir en aide au gouvernement et du lui donner le répit nécessaire pour se remettre de cet échec cinglant. Le PT porte donc une responsabilité dans cette affaire, un exemple de plus de sa nature trade-unioniste.
Pour ce qui est des appels au terrorisme, ainsi que des appels pour donner à la lutte économique elle-même un caractère politique, ce ne sont que des prétextes divers pour se dérober au devoir le plus impérieux des révolutionnaires russes : organiser l'agitation politique sous toutes ses formes. (page 24)
Commentaire : organiser
l’agitation politique sous toutes ses formes, ce que sont seuls à faire des
groupes de militants isolés appartenant à différentes tendances du mouvement
ouvrier, sans action coordonnée pour le moment, mais avec un certain succès
quand même, même limité, il fallait le signaler.
Une agitation politique
centralisée et nationale aurait de toute évidence un impact beaucoup plus
important dans le prolétariat et accélèrerait sa radicalisation et sa prise de
conscience politique...
“Tout le monde est d'accord” qu'il
est nécessaire de développer la conscience politique de la classe ouvrière. La
question est de savoir comment s'y prendre et ce qu'il faut pour cela. La lutte
économique “fait penser” les ouvriers uniquement à l'attitude du gouvernement
envers la classe ouvrière ; aussi quelques efforts que nous fassions pour
"donner à la lutte économique elle-même un caractère politique", nous
ne pourrons jamais, dans le cadre de cet objectif, développer la conscience
politique des ouvriers (jusqu'au niveau de la conscience politique
social-démocrate), car ce cadre lui-même est trop étroit. La formule de
Martynov nous est précieuse, non point parce qu'elle est une illustration du talent
confusionniste de son auteur, mais parce qu'elle traduit avec relief l'erreur
capitale de tous les économistes, à savoir la conviction que l'on peut
développer la conscience politique de classe des ouvriers, pour ainsi dire de
l'intérieur de leur lutte économique, c'est-à-dire en partant uniquement (ou du
moins principalement) de cette lutte, en se basant uniquement (ou du moins
principalement) sur cette lutte. Cette façon de voir est radicalement fausse,
et c'est parce que les économistes, furieux de notre polémique contre eux, ne
veulent pas réfléchir sérieusement à la source de nos divergences, qu'il se
produit ceci nous ne nous comprenons littéralement pas et parlons des langues
différentes.(id)
Commentaire : on croirait ces lignes écrites spécialement pour la période que nous vivons actuellement.
La conscience politique de classe
ne peut être apportée à l'ouvrier que de l'extérieur, c'est-à-dire de
l'extérieur de la lutte économique, de l'extérieur de la sphère des rapports
entre ouvriers et patrons. Le seul domaine où l'on pourrait puiser cette
connaissance est celui des rapports de toutes les classes et couches de la
population avec l'Etat et le gouvernement, le domaine des rapports de toutes
les classes entre elles. C'est pourquoi, à la question : que faire pour
apporter aux ouvriers les connaissances politiques ? - on ne saurait donner
simplement la réponse dont se contentent, la plupart du temps, les praticiens,
sans parler de ceux qui penchent vers l'économisme, à savoir “aller aux
ouvriers”. Pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques, les
social-démocrates doivent aller dans toutes les classes de la population, ils
doivent envoyer dans toutes les directions des détachements de leur armée. Si
nous avons choisi cette formule anguleuse, si notre langage est acéré,
simplifié à dessein, ce n'est nullement pour le plaisir d'énoncer des
paradoxes, mais bien pour “faire penser” les économistes aux tâches qu'ils
dédaignent de façon aussi impardonnable, à la différence existant entre la politique
trade-unioniste et la politique social-démocrate et qu'ils ne veulent pas
comprendre.(id)
Commentaire : on n’imagine mal après la lecture de ces deux derniers paragraphes, qui sont, il faut bien le dire, à la portée de chacun, que des militants du PT, de la LCR ou de LO n’auront pas l’impression, mieux la certitude de s’être trompés de parti. En tout cas, ils ne pourront plus dire : nous ne savions pas que notre parti n’était pas un parti révolutionnaire, mais un parti trade-unioniste, qu’il ne s’inspirait pas des enseignements de Lénine, du marxisme et de la lutte des classes, mais des Martynov et consorts.
Nous devons “aller dans toutes les
classes de la population” comme théoriciens, comme propagandistes, comme
agitateurs et comme organisateurs. Nul ne doute que le travail théorique des
social-démocrates doit s'orienter vers l'étude de toutes les particularités de
la situation sociale et politique des différentes classes. (page 25)
Commentaire : à la suite du paragraphe suivant.
Mais le principal, évidemment,
c'est la propagande et l'agitation dans toutes les couches du peuple. (id)
Commentaire : ce qui répugne le plus à nos révolutionnaires professionnels préférant se tourner vers les fractions du prolétariat les plus éloignées des ouvriers et des employés les plus pauvres, les fonctionnaires en général, syndiqués de préférence, auxquels il faut ajouter les élus qui bouffent à tous les râteliers…
Quelle est la proportion des travailleurs pauvres, des jeunes des banlieues, des chômeurs, des retraités, des ouvriers et des employés dans les partis, organisations et groupes politiques ? Elle frôle le zéro absolu comme chacun le sait. Trop de problèmes, pas de fric, trop con, pas intéressant.
Nous devons savoir aussi organiser
des assemblées avec les représentants de toutes les classes de la population
qui désireraient entendre un démocrate. Car n'est pas social-démocrate
quiconque oublie pratiquement que “les communistes appuient tout mouvement
révolutionnaire”, que nous devons par conséquent exposer et souligner les
tâches démocratiques générales devant tout le peuple, sans dissimuler un seul
instant nos convictions socialistes. N'est pas social-démocrate quiconque
oublie pratiquement que son devoir est d'être le premier à poser, aiguiser et résoudre
toute question démocratique d'ordre général. (page 25)
Commentaire : en refusant d’annoncer simplement la réunion du 29 avril de plusieurs groupes de militants, j’ai peut-être commis une erreur, sauf qu’il ne s’agit pas d’un mouvement révolutionnaire, mais d’une réunion à l’initiative du PS, donc exactement son contraire. Libre à ceux qui traitent les autres de « sectaires » de se compromettre. Si pour ne pas paraître sectaire, on accepte de s’encanailler avec ceux qui n’ont de cesse de trahir le mouvement ouvrier, on n’en finit plus de s’avilir, c’est le pire opportunisme qui soit.
Par contre, il est évident qu’on doit participer à des réunions publiques ouvertes aux travailleurs et aux jeunes pour exposer librement nos positions. Cela n’a rien à voir avec une réunion composée essentiellement de militants devant œuvrer à définir une ligne politique avec le PS et les Verts, deux partis bourgeois.
La politique trade-unioniste de la
classe ouvrière est précisément la politique bourgeoise de la classe ouvrière.
Et formuler sa tâche pour cette “avant-garde”, c'est justement formuler une
politique trade-unioniste.(id)
Commentaire : les partis qui pratiquent cette politique trade-unioniste, sont donc des partis ouvrier-bourgeois.
C'est pourquoi les révélations
politiques sont par elles-mêmes un moyen puissant pour décomposer le régime
adverse, un moyen pour détacher de l'ennemi ses alliés fortuits ou temporaires,
un moyen pour semer l'hostilité et la méfiance entre les participants
permanents au pouvoir autocratique. (page 27)
Commentaire : dénoncer inlassablement la pourriture du régime, ses magouilles, ses privilèges, ses coups tordus, c’est la meilleure façon d’en détourner les masses…
il ne suffit pas de coller
l'étiquette “avant-garde” sur une théorie et une pratique d'arrière-garde; il
faut travailler beaucoup et avec opiniâtreté â élever notre conscience, notre
esprit d'initiative et notre énergie. (id)
Commentaire : l’étiquette se mérite, pour autant qu’on s’en attribue une.
Lénine répète encore une fois qu’il faut « travailler beaucoup », afin d’élever notre conscience politique, cela n’a évidemment rien à voir avec la pratique courante qui consiste à ressortir à longueur de temps les mêmes théories, les mêmes citations sans être capable de faire preuve du moindre discernement, dans le seul but de tenter de justifier ses positions. Une citation à valeur de caution morale et politique pour ceux qui en usent et en abusent. Elle fait office de preuve, elle remplace la réflexion au lieu d’en être le point de départ ou le support, selon les cas.
Plus de trois semaines après le début de la grève générale au Népal qui a commencé le 6 avril, pas un seul article sur l’irruption des masses contre la monarchie, pas une seule ligne. C’est cela aussi l’arrière-garde !
Et cependant, il n'est guère
besoin de réfléchir longuement pour comprendre la raison qui fait que tout
culte de la spontanéité du mouvement de masse, tout rabaissement de la
politique social-démocrate au niveau de la politique trade-unioniste, équivaut
justement à préparer le terrain pour faire du mouvement ouvrier un instrument
de la démocratie bourgeoise. Par lui-même, le mouvement ouvrier spontané ne
peut engendrer (et n'engendre infailliblement) que le trade-unionisme ; or la
politique trade-unioniste de la classe ouvrière est précisément la politique
bourgeoise de la classe ouvrière. La participation de la classe ouvrière â la
lutte politique et même à la révolution politique ne fait nullement encore de
sa politique une politique social-démocrate. (page 29)
Commentaire : on a là l’explication de l’arrêt quasi soudain du mouvement contre le CPE et le gouvernement. Souvenez-vous, il ne fallait absolument pas que ce mouvement se transforme en mouvement politique, il devait rester sur le terrain de la lutte économique. Et ceux qui ont refusé ou tardé à appeler à en finir avec le régime, en ont été les complices volontaires ou involontaires. En fait de « victoire », on a assisté à la victoire du trade-unionisme !
Un révolutionnaire mou, hésitant
dans les problèmes théoriques, borné dans son horizon, justifiant son inertie
par la spontanéité du mouvement de masse ; plus semblable à un secrétaire de
trade-union qu'a un tribun populaire, incapable de présenter un plan hardi et
de grande envergure qui force le respect même de ses adversaires, un
révolutionnaire inexpérimenté et maladroit dans son art professionnel - la
lutte contre la police politique, - est-ce là un révolutionnaire, voyons ? Non,
ce n'est qu'un pitoyable manœuvrier. (page 38)
Commentaire : Avis aux amateurs et ils ne manquent pas !
Au contraire, ce mouvement, nous
impose précisément cette obligation, car la lutte spontanée du prolétariat ne
deviendra une véritable “lutte de classe” du prolétariat que lorsqu’elle sera
dirigée par une forte organisation de révolutionnaires.(page 40)
Commentaire : nous en sommes encore loin, malheureusement ! Le parti, encore le parti, rien que le parti !
“la lutte économique contre le
patronat et le gouvernement” ne satisfera jamais un révolutionnaire, (id)
Commentaire : son regard doit toujours être braqué au-delà, sinon c’est un réformiste. On ne peut se détacher de notre objectif : la prise du pouvoir par le prolétariat.
Comment le Rabotchéïé Diélo lutte
contre les “tendances antidémocratiques” de l'Iskra, nous le verrons au
chapitre suivant. Pour l'instant, examinons de plus près ce “principe” mis en
avant par les économistes. Le “principe d'une large démocratie” implique, tout
le monde en conviendra probablement, deux conditions sine qua non :
premièrement l'entière publicité, et deuxièmement l'élection à toutes les
fonctions. Il serait ridicule de parler de démocratisme sans une publicité
complète, non limitée aux membres de l'organisation. Nous appellerons le parti
socialiste allemand une organisation démocratique, car tout s'y fait
ouvertement, jusqu'aux séances du congrès du parti ; mais personne ne
qualifiera de démocratique une organisation recouverte du voile du secret pour
tous ceux qui n'en sont pas membres. (id)
Commentaire : les congrès des partis sont devenus des chambres d’enregistrement des ordres donnés par leurs appareils auto reconduits depuis des décennies, aucun parti ne fait exception à la règle. Ils se déroulent à huis clos loin des regards indiscrets des militants qui ne sauront que ce que les dirigeants voudront bien leur dire. Et ils osent appeler cela la démocratie, moi j’appelle cela la dictature de l’appareil sur le parti. Quand on n’a rien à cacher, on ne se cache pas, non ?
Et comme l'arène politique est visible pour tous, telle la scène d'un théâtre pour les spectateurs, chacun sait par les journaux et les assemblées publiques si telle ou telle personne reconnaît ou non le parti, le soutient ou lui fait opposition. On sait que tel militant politique a eu tel ou tel début, qu'il a fait telle ou telle évolution, qu'à tel moment difficile de sa vie il s'est comporté de telle façon, qu'il se signale par telles ou telles qualités; aussi tous les membres du parti peuvent-ils, en connaissance de cause, élire ce militant ou ne pas l'élire à tel ou tel poste du parti. Le contrôle général (au sens strict du mot) de chaque pas fait par un membre du parti dans sa carrière politique, crée un mécanisme fonctionnant automatiquement et assurant ce qu'on appelle en biologie la “persistance du plus apte”. Grâce à cette “sélection naturelle”, résultat d'une publicité absolue, de l'élection et du contrôle général, chaque militant se trouve en fin de compte “classé sur sa planchette”, assume la tâche la plus appropriée à ses forces et à ses capacités, supporte lui-même toutes les conséquences de ses fautes et démontre devant tous son aptitude à comprendre ses fautes et à les éviter. (id)
Commentaire :
comparé à l’opacité qui règne au PT et dans d’autres formations politiques,
comme l’on dit, il n’y a pas photo, on voit au premier coup d’œil que beaucoup
ignorent ce que signifie la démocratie dans un parti, qui plus est, un parti
révolutionnaire.
Quand il m’est arrivé de déballer ma vie sur le site, c’était pour que les lecteurs et les militants sachent qui leur écrivait, les conneries que j’ai faites, les passages à vide, etc., de quel droit je devrais penser que les autres devraient me croire sur parole ? Ce serait prétentieux et malsain. Au lieu de me donner plus de droits, cela me procure plus de devoirs, c’est la raison pour laquelle j’ai continué à actualiser le site, ce n’est pas la seule.
Dans quelques jours, je rajouterai une note autobiographique, car je n’ai rien à cacher. Comme dirait l’autre : avant de dire aux autres de faire ceci ou cela, il faut toujours commencer par le faire soi-même. Ou encore : ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fasses. Bien des dirigeants devraient commencer par s’inspirer de Leur morale et la nôtre de Trotsky, mais je pense que pour la plupart, il est trop tard.
si nous ne savons pas élaborer une
tactique politique, un plan d'organisation prévus absolument pour une très
longue période et assurant, par le processus même de ce travail, l'aptitude de
notre Parti à se trouver a son poste et à faire son devoir dans les
circonstances les plus inattendues, si rapide que soit le cours des événements,
nous ne serons que de pitoyables aventuriers politiques. (page 52)
Commentaire : déjà
fait plus haut.
Nous devons toujours faire notre
travail quotidien et toujours être prêts à tout, parce que très souvent il est
presque impossible de prévoir l'alternance des périodes d'explosion et des
périodes d'accalmie ; et quand il est possible de les prévoir, on ne peut en
tirer parti pour remanier l'organisation; (id)
Commentaire : ne pas reporter au lendemain ce qu’on peut faire le jour même, et il est toujours préférable de partir à point, ce n’est pas de La Fontaine, mais de Lénine ! L’organisation ne s’improvise pas, elle doit être en ordre de bataille à chaque instant, ce qui implique une discipline rigoureuse et un minimum de sérieux de la part de chaque militant.
la révolution sera une succession
rapide d'explosions plus ou moins violentes, alternant avec des phases d’accalmie
plus ou moins profonde. C'est pourquoi l'activité essentielle de notre Parti,
le foyer de son activité doit être un travail qui est possible et nécessaire
aussi bien dans les périodes des plus violentes explosions que dans celles de
pleine accalmie, c'est-à-dire un travail d'agitation politique unifiée pour
toute la Russie, qui mettrait en lumière tous les aspects de la vie et
s'adresserait aux plus grandes masses. Or ce travail ne saurait se concevoir
dans la Russie actuelle sans un journal intéressant le pays entier et
paraissant très fréquemment. L'organisation qui se constituera d'elle-même
autour de ce journal, l'organisation de ses collaborateurs (au sens large du
mot, c'est-à-dire de tous ceux qui travaillent pour lui) sera prête à tout,
aussi bien à sauver l'honneur, le prestige et la continuité dans le travail du
Parti aux moments de la pire “oppression” des révolutionnaires, qu'à préparer,
fixer et réaliser l'insurrection armée du peuple. (id)
Commentaire : il est évident que seul un parti ayant une surface nationale peut mener à bien ce travail.
Qu'on se représente, d'autre part,
une insurrection populaire. Tout le monde conviendra sans doute aujourd'hui que
nous devons y songer et nous y préparer. (id)
Commentaire : nous
sommes en 1902 quand paraît Que faire ?, trois avant le révolution
de février 1905, et 15 ans avant la prise du pouvoir en octobre 1917 en Russie.
Qui parle aujourd’hui
en France d’insurrection populaire ? Personne ! Ne serait-il plus
nécessaire d’en parler ? Etrange silence. Au Népal, les manifestants
hurlaient « il faut pendre le roi ». Etrange, non ? Même dans
« le projet de plate-forme politique » du PT les mots insurrection et
révolution sont introuvables. La révolution : tabou ! Tu parles de
révolutionnaires !
Car au fond, l'insurrection est la
“riposte” la plus énergique, la plus uniforme et la plus rationnelle faite par
le peuple tout entier au gouvernement.(id)
Commentaire : c’est aussi la plus économique en souffrance et en vie humaine.
“Nous repoussons, dit le 1°
paragraphe, toute tentative pour introduire l'opportunisme dans la lutte de
classe du prolétariat, - tentative qui s'est traduite dans ce qu'on appelle
l'économisme, le bernsteinisme, le millerandisme, etc.”. “L'activité de la
social-démocratie comporte… la lutte idéologique contre tous les adversaires du
marxisme révolutionnaire” (4, c); “Dans toutes les sphères du travail
d'organisation et d'agitation, la social-démocratie ne doit pas un instant
perdre de vue la tâche immédiate du prolétariat russe : le renversement de
l'autocratie” (5, a); “l'agitation non seulement sur le terrain de la lutte
quotidienne du salariat contre le capital”(5, b); … “sans reconnaître… le stade
de la lutte purement économique et de la lutte pour les revendications politiques
privées” (5, c);… “nous estimons importante pour le mouvement la critique des
tendances qui érigent en principe… ce qu'il y a d'élémentaire… et d'étroit dans
les formes inférieures du mouvement” (5, d).(page 54)
Commentaire : Confondre « l’élémentaire » et le déterminant conduit forcément à l’opportunisme. Le renversement du régime, une obsession pour un révolutionnaire, s’en écarter ne serait-ce que d’un millimètre, et là encore, on sombre dans l’opportunisme.
Prendre ses désirs pour la réalité conduit à adopter le même comportement dans la vie en générale, quelle horreur !
Manier le matérialisme dialectique qui nous instruit sur les rapports du particulier au général et l’inverse, de la transformation de la quantité en qualité, de la négation de la négation, etc., devrait nous éviter de tomber dans le piège qui consiste à confondre les différents instants qui forment la réalité de la matière à différents stades de son développement et la matière elle-même…
La juste remarque de Parvus s'est
une fois de plus confirmée, qu'il est difficile d'attraper un opportuniste dans
le piège d'une formule quelconque : il souscrira facilement à toute formule et
s'en dédira avec non moins de facilité, l'opportunisme comportant justement
l'absence de principes tant soit peu déterminés et fermes. Aujourd'hui les
opportunistes répudient tout effort tendant à introduire l'opportunisme ; ils
répudient toute étroitesse, promettent solennellement “de ne pas oublier un
instant le renversement de l'autocratie”, de faire “de l'agitation non
seulement sur le terrain de la lutte quotidienne du salariat contre le
capital”, etc., etc. Et le lendemain ils changent le moyen d'expression et
reprennent les anciennes méthodes sous prétexte de défendre la spontanéité, la
marche progressive de la lutte banale et quotidienne, en exaltant les
revendications qui laissent entrevoir des résultats tangibles, etc. (page 55)
Commentaire : on comprend pourquoi l’opportuniste est notre pire ennemi au sein de notre classe. On comprend aussi pourquoi il est si répandu, parce qu’il est difficile de l’attraper, comme dit Lénine, de le confondre.
J’ajouterai que de nos jours, l’opportunisme n’est pas un comportement isolé, l’art de la mystification et de la manipulation lui tient compagnie pour former un tout, un bloc.
Prenez par exemple les courants du PT. Les dirigeants du PT prétendent que le PT est un parti démocratique puisqu’il existe des courants en son sein. Si on s’arrête à cette simple affirmation et qu’on la prend pour argent comptant, on sera tenté de penser que le PT est réellement un parti démocratique. Mais quand on gratte un peu, on s’aperçoit que la réalité est totalement différente.
Pensez à un parti, le PCI par exemple, l’ancêtre du PT, qui ne comportait ni courant ni tendance ni fraction et qui n’en tolérait pas, puisque tous les militants qui avaient fait l’expérience de vouloir en créer un ou une ont tous été exclus sans exception, bien que le droit de tendance était inscrit dans ses statuts, mais entre ce qui est écrit et la pratique il y a parfois un océan qui les sépare.
Donc, ce parti qui ne comportait et ne supportait pas l’existence de la moindre tendance, du jour au lendemain change de nom, de PCI, il se transforme en MPPT, et dans la foulée, il annonce sans le moindre scrupule qu’il est constitué de quatre courants entre 23h59 et 0 heure. Extraordinaire, non ?
Tous les militants auront bien compris que ces quatre courants sont une pure invention des dirigeants du PCI qui entendent ainsi se présenter comme des démocrates, ils ne devaient plus supporter l’étiquette de révolutionnaires, tout en contrôlant évidemment les quatre courants en question, la totalité de l’appareil du PT. Ils avaient été échaudés par les tentatives avortées dans le passé récent de certains militants de se constituer en fraction ou tendance, ce qui s’était conclu par le départ de centaines de militants.
Donc pour couper court à toute tentative future de la part de certains militants de se constituer en tendance, les dirigeants du PT ont pris les devants en disant clairement à leurs militants : si vous n’êtes pas totalement en accord avec notre ligne politique, etc., vous n’aurez qu’à rejoindre la tendance qui correspond le mieux à vos positions.
Mais là encore, dans la réalité les choses ne se passent pas du tout de cette manière là, puisque les militants qui manifestent la moindre opposition sérieuse à la direction sont virés comme par le passé, l’exclusion du responsable de la fédération de l’Yonne ainsi que 26 militants de la même fédération en témoigne. Il faut entendre par opposition sérieuse, des militants qui entendent défendre leurs positions en s’appuyant sur des arguments et des faits, en se situant sur le terrain de la lutte des classes.
On a là un exemple parfait de mystification, de manipulation et d’opportunisme les trois étant intimement liés dans ce cas précis. Je remercie au passage les militants du PT qui m’ont aidé à écrire ce dernier passage par la qualité des témoignages qu’ils m’ont transmis par courriel, j’espère simplement en avoir fait bon usage.