Lutte de classe
Certains martèlent depuis des mois
que c’est l’Union européenne qui serait à l’origine de toutes les
contre-réformes mises en œuvre par le gouvernement Chirac-Raffarin, puis par le
gouvernement Chirac-de Villepin (et tous les gouvernements qui les ont précédés
depuis plus de 20 ans). De cette affirmation, les mêmes mettent en avant la
nécessité de rompre avec l’Union européenne en refusant d’engager le
combat contre le gouvernement, cherchant par tous les moyens à le protéger,
comme s’il agissait en simple « victime » ou « otage » de
Bruxelles.
A quoi bon avancer le mot d’ordre
de rupture avec l’Union européenne, si au préalable on ne rompt pas avec
le capitalisme ?
De notre côté, nous avons expliqué que ces contre-réformes provenaient aussi bien du FMI, que de la Banque mondiale, de l’OCDE, de l’ensemble des institutions internationales à la solde et dirigés par l’impérialisme américains, dont fait partie l’Union européenne.
Nous avons expliqué également à
plusieurs reprises que ces contre-réformes étaient déjà mises en application
depuis plusieurs années, dans de très nombreux pays, dans tous les continents,
sous la forme d’ajustements structurelles.
L’interview du 30 mars que le chef
économiste à l'OCDE, Jean-Philippe Cotis, a donné au journal Le Monde,
confirme nos affirmations.
Nous n’avons pas le temps de commenter ou d’analyser le contenu de cet interview, tant il est clair et se passe d’explications supplémentaires, sans évidemment partager ses conclusions. Ce qui est dit ici par Jean-Philippe Cotis, reprend les orientations définis par le FMI, il y a déjà plusieurs années, qui, on l’aura bien compris, ne s’adressent pas seulement au gouvernement français, mais à tous les gouvernements.
L’objectif est clair :
augmenter la flexibilité du marché du
travail, abaisser le coût du travail par tous les moyens, augmenter la
productivité et le profit des entreprises en taillant à la hache dans toutes les
conquêtes sociales et démocratiques arrachées par les travailleurs au cours du
XXe siècle, précariser l’ensemble des travailleurs et de la jeunesse, liquider
l’ANPE et les ASSEDIC, obliger les chômeurs à accepter n’importe quel emploi
pour n’importe quelle rémunération, obliger les vieux travailleurs à continuer
à travailler jusqu’à la mort, etc.
Bref, le capitalisme tel qu’il est vraiment : archaïque,
injuste, inhumain, totalitaire, barbare !
Voici l’interview.
Quelle est la place de la France
dans le monde en matière de chômage ?
La France a un des taux de chômage
les plus élevés de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement
économiques). Certains pays d'Europe centrale ont des taux supérieurs, mais
sont en situation de rattrapage et réorganisent en profondeur leur marché du
travail.
L'Espagne et la Grèce ont des
niveaux équivalents à celui de la France, mais ils partent de plus haut et
voient leur chômage baisser. En Espagne, le taux de chômage a été divisé par
deux en dix ans. La France fait même un peu bien moins bien que l'Italie, qui a
réformé son marché du travail, ou encore que l'Allemagne, pourtant pénalisée
par la réunification et les difficultés rencontrées dans l'est du pays.
En France, le taux de chômage structurel, c'est-à-dire indépendant de la conjoncture, est stable depuis vingt ans, compris entre 9 % et 10 %. Le chômage conjoncturel, dit "keynésien", s'élève à près d'un point aujourd'hui. Une reprise économique dynamique permettrait à la France de faire reculer le chômage, mais une fois la conjoncture restaurée, l'essentiel du chemin resterait à parcourir.
Le niveau de chômage d'un pays est-il lié à sa taille ou à son degré d'ouverture à la mondialisation ?
Non. Les petites économies les
plus "touchées" par la mondialisation, les plus ouvertes à la concurrence
internationale, au commerce, aux investissements directs étrangers - comme
l'Autriche, l'Irlande ou les pays scandinaves - ont des taux de chômage très
bas. De très grands pays, comme les États-Unis, le Japon ou le Royaume-Uni ont
aussi un chômage faible. Les causes du chômage français sont donc à rechercher
du côté du fonctionnement du marché du travail.
Alors, quel est le problème
français ?
La France est, avec l'Allemagne,
la Norvège et les Pays-Bas, le pays de l'OCDE où le nombre d'heures travaillées
par salarié est le plus faible et aussi où le taux de non-participation au
marché du travail, qui regroupe les chômeurs et les inactifs, est parmi les
plus élevés : environ 30 %. Les politiques malthusiennes, telles que les
préretraites subventionnées, n'ont pas permis de réduire le chômage. Le
problème français n'est pas la surabondance de main-d’œuvre, mais la difficulté
à créer suffisamment d'emplois.
Notamment d'emplois peu qualifiés
?
L'une des défaillances les plus
notables en France est la faible création d'emplois en faveur des travailleurs
peu qualifiés, dont la proportion est élevée, notamment chez les jeunes. Nos
travaux concluent que le coût du travail peu qualifié - c'est-à-dire le cumul
du salaire minimum et des charges patronales - peut constituer une barrière
insurmontable à l'emploi pour certains.
Parmi les vingt pays de l'OCDE où
la comparaison a été faite, la France est celui où le coût du travail peu
qualifié reste le plus élevé en proportion du salaire médian. Il a même progressé
plus vite que le salaire médian depuis 1998, en dépit des baisses de charges
patronales. La France cumule à la fois plus de jeunes travailleurs peu
qualifiés qu'un grand nombre de pays industrialisés et un coût du travail pour
ce type d'emplois extrêmement élevé.
Des économistes évoquent aussi l'inefficacité du service public de l'emploi.
Deux modèles fonctionnent. Le
modèle à l'américaine, où les indemnités de chômage et la protection de
l'emploi sont faibles, les politiques de reclassement des chômeurs peu actives
mais où les retours à l'emploi sont spontanément rapides. Le modèle nordique,
où les indemnités sont généreuses et les politiques de reclassement actives et
efficaces. Ces deux modèles sont économiquement acceptables. C'est un choix de
société.
La France partage avec l'Europe du
Nord un niveau d'indemnisation important mais son service public de l'emploi
est loin d'avoir l'efficacité des pays nordiques. Un système où l'on indemnise
les chômeurs de façon substantielle ne peut fonctionner qu'accompagné
d'incitations adéquates et d'une capacité de reclassement importante. En
France, ce service public est lourd et fragmenté, avec la séparation entre
l'ANPE gestionnaire et l'Unedic payeur. Dans plus en plus de pays, les deux
entités sont fusionnées. Le gestionnaire a ainsi des moyens d'incitation, de
motivation mais aussi de sanction financière.
Le patronat dénonce le manque de flexibilité du marché de l'emploi en France.
Le risque, en matière de
protection de l'emploi, c'est que le système soit mal calibré. Ce qui peut
aggraver le chômage mais surtout créer un marché de l'emploi à deux vitesses
avec des conséquences assez délétères en matière de cohésion sociale. Certaines
populations comme les jeunes sont mal protégées, tandis que ceux âgés de 35-55
ans le sont très bien. Ce système est porteur de précarité.
Au-delà des clivages politiques,
les économistes constatent que le système de protection de l'emploi français
fait porter une trop grande responsabilité aux entreprises dans la gestion du
licenciement. Tout se passe comme si les entreprises étaient appelées à
suppléer le service public pour gérer le reclassement des salariés.
Dans d'autres pays comme le
Danemark, c'est le service public de l'emploi qui se charge du reclassement des
chômeurs. En France, une entreprise en difficulté qui souhaite licencier pour
rester viable est détournée de cet objectif. Elle est confrontée à de longues
procédures administratives et doit faire appel à des cabinets de conseil
juridique...
Cela crée une incertitude
pénalisante quant au coût du licenciement. Celui-ci peut donc être bien
supérieur en pratique à ce qu'il devrait être en théorie. D'autant que la
France est l'un des pays de l'OCDE où les recours judiciaires en cas de
licenciement sont parmi les plus fréquents.
Cette "cogestion" forcée
à la française - dans laquelle l'entreprise et le service public s'occupent du
reclassement des personnes licenciées - crée beaucoup d'incertitude pour
l'entreprise, ce qui la conduit en réponse à altérer de manière considérable la
façon dont elle recrute.
Elle détourne alors les contrats
de travail, tels que les CDD, qui avaient été conçus pour des besoins
spécifiques comme les emplois saisonniers. A la fin des années 1990, 70 % des
recrutements se sont faits avec des contrats alternatifs. Cette confusion des
responsabilités a largement contribué à développer la précarité.
Si on réduit l'incertitude sur le
coût des licenciements des CDI, on incite les entreprises à embaucher davantage
sous ce type de contrat. Et on réduit la précarité.
Que préconisez-vous alors ?
Réduire l'incertitude pour les
employeurs ne signifie pas paupériser les salariés. Bien au contraire, on peut
concevoir à terme un contrat de travail avec un barème d'indemnisation connu
d'avance et croissant avec l'ancienneté du salarié. Dès lors que son montant
est connu à l'avance, l'indemnité de licenciement peut éventuellement être
élevée. Le CPE, qui offre des indemnités et des garanties supérieures à celles
d'un CDD, trouve alors son sens en tant qu'étape vers une unification des
contrats.
(Propos recueillis par
Pierre-Antoine Delhommais, Eric Le Boucher et Virginie Malingre. Article paru
dans l'édition du Monde du 31.03.06)