Lutte de classe

 

Complément sur l’évacuation du squat de Cachan

 

Je voudrais revenir sur l’évacuation du squat de Cachan.

 

Il y a un point crucial, qui me semble-t-il, n’a pas été soulevé dans cette affaire et qui mérité réflexion : en réalité, il s’agissait d’une vulgaire provocation orchestrée par le ministre de l’Intérieur avec la complicité des Ong.

 

Un rappel. Ce squat a commencé à se peupler en 2003, donc trois ans avant son évacuation forcée.

Au cours des trois années qui se sont écoulées, ce squat n’a cessé d’accueillir une population de plus en plus nombreuse pour atteindre environ un millier d’hommes, femmes et enfants. Cela ne pouvait évidemment pas passer inaperçu des autorités, du maire et du préfet de police, notamment. Tous les acteurs politiques et sociaux étaient donc parfaitement au courant qu’il existait un squat à Cachan, le plus grand de France.

 

Une partie des squatters étaient munis d’un titre de séjour, tandis que l’autre partie n’en possédait pas. Là encore, tout le monde le savait, y compris les services de polices et le ministère de l’Intérieur qui ont dû envoyer discrètement sur place des inspecteurs pour s’en assurer, prendre des photos, etc., sans parler des informations fournis par la mairie de Cachan. Ils ont laissé faire. Les premiers squatters serviront  en fait de rabatteur à ceux qui allaient les rejoindre avec la complicité active des Ong. Tel était le plan de Sarkozy. Il déciderait ensuite, en temps et en heure, du moment le plus propice pour intervenir.

 

A ce propos je voudrais vous raconter une petite histoire personnelle qui me fait penser à cette affaire.

 

En 1985, j’ai vendu ma voiture à un particulier. Ce particulier se trouvait être un jeune inspecteur de la brigade antiterroriste. Lors de notre ballade dans Paris pour lui faire essayer le véhicule, j’engage la conversation avec lui en lui posant quelques questions anodines sur son travail. Il m’avoua qu’il était parfois exaspéré de croiser des individus dans la rue qu’il savait être de dangereux criminels, mais qu’il devait respecter impérativement les ordres très stricts de sa hiérarchie de les ignorer et de ne pas procéder à leurs arrestations. Immédiatement je lui demandai pourquoi. Il me répondit qu’il connaissait l’identité de ces individus, souvent il savait même où les trouver, mais qu’il devait attendre les ordres du ministère de l’Intérieur qui en dernier ressort décidait du moment propice pour les arrêter, généralement au cours d’une campagne électorale. C’est exactement ce qui vient de se passer avec l’affaire de Cachan, à huit mois des élections présidentielles.

 

Sarkozy a monté cette grossière provocation en direction des partis et syndicats ouvriers, en pensant qu’ils monteraient au créneau en entonnant le refrain des droits légitimes et démocratiques des immigrés illégaux, autrement dit sur le terrain politique, et c’est exactement ce qui s’est produit, alors qu’en toile de fond, ce que je considère comme l’essentiel dans cette affaire, le détournement de la législation du travail au profit des patrons ne sera même pas abordée. Il aura ainsi réussi à faire d’une pierre deux coups volontairement ou non, je n’en sais rien.

 

Une partie des squatters occupaient un emploi, certains déclarés d’autres non. Dans le cas des sans-papiers, environ la moitié des squatters d’après Reuters (23 août) il ne pouvait pas en être autrement, car sans papiers, il était impossible qu’ils s’inscrivent à l’Anpe, aux Assedic et percevoir le Rmi ou une aide quelconque de l’Etat. Il ne leur restait plus qu’à travailler au noir pour survivre, donc servir de main d’œuvre taillable et corvéable à merci aux patrons, en dehors de toute protection sociale et du droit du travail.

 

Conclusion : Pendant trois ans, une partie d’entre eux a donc travaillé au noir avec la complicité bienveillante du ministère de l’Intérieur au profit des patrons qui n’ont de cesse de remettre en cause le Code du travail, le contrat de travail  à durée indéterminée, les conventions collectives, bref, l’ensemble de la  législation du travail, il suffit de penser au CNE, au CPE, etc…

 

Du point de vue des intérêts économiques des patrons, l’immigration illégale est une aubaine, une source de main d’œuvre très malléable et très pratique que l’on peut utiliser et jeter quand on n’en a plus besoin. C’est l’application du principe de précarité absolue qui donne tous les droits aux patrons sans qu’ils aient à payer de cotisations sociales, c’est exactement ce dont rêve le Medef.

 

Croyez-vous que le ministre de l’Intérieur l’ignore ? Il faudrait être naïf pour le penser. Sarkozy n’est-il pas monté au créneau, il y a quelque mois, en expliquant qu’il voulait instituer un contrat de travail unique, ce qui signifiait la liquidation pure et simple du contrat de travail à durée indéterminée ?

 

Que des militants n’y aient pas pensé ou l’aient oublié, c’est assez surprenant et inquiétant.

 

L’expulsion et l’arrestation d’un certain nombre de squatters de Cachan était assurément une opération politique montée de toutes pièces par Sarkozy pour s’attirer des voix dans la perspective des élections présidentielles de 2007, mais elle n’était pas que cela, c’est ce que je voulais dire. A aucun moment les patrons n’ont été inquiétés dans cette affaire et pour cause !

 

La palme de l’abjection revient aux associations ou Ong, comme il fallait s’y attendre.

 

Elles ont cautionné l’opération de Sarkozy depuis le début. Elles savaient pertinemment quel dénouement attendait la moitié des squatters sans-papiers. Elles les ont regroupés en un lieu plus que repérable, connu de tous, en quelque sorte, elles ont facilité le travail du ministre de l’Intérieur en s’en faisant directement les complices.  Elles ont joué le rôle abject de balance. Gageons que ces associations privées en seront remerciées grassement par les services de l’Etat qui les engraissent déjà avec les deniers publics.

 

L’humanisme sans conscience de classe conduit fatalement à l’opportunisme ou pire encore.

 

Les animateurs de ces associations, ces dangereux apprentis sorciers de la lutte des classes, ne doivent pas posséder une conscience de classe très développée, car au lieu de servir les intérêts de ceux qu’ils prétendent défendre, ils servent les desseins de leurs ennemis, admettons que ce soit inconsciemment, ce qui ne change rien à l’affaire, seul ici le résultat compte en définitive.

 

Dans l’affaire en cours de la régularisation des sans-papiers dont les enfants sont scolarisés, des associations, dont l’association Réseau éducation sans frontières (RESF), ont poussé des familles qui étaient totalement hors cadre de la circulaire à déposer leurs dossiers auprès des préfectures. (Reuters 21 août) Résultat : elles risquent aujourd'hui d'être visées par un arrêté de reconduite à la frontière !

 

C’est comme si le gouvernement de Vichy avait demandé aux personnes de confession juive de se faire connaître auprès des préfectures dans le cadre d’un banal recensement, et qu’une association payée par l’Etat s’en serait chargée, soi-disant pour les protéger ou leur éviter des désagréments futurs.

 

La comparaison est certes osée, j’en conviens, mais le rôle scélérat, l’irresponsabilité totale et la crasse ignorance qui animent les responsables de ces associations doivent être dénoncés, qu’ils soient animés ou non par de nobles intentions importe peu finalement.

 

 


 

Epilogue en Inde

 

La survie du capitalisme contribue à créer des situations inextricables et insolubles dans lesquelles s’engouffrent inconsciemment une partie du prolétariat et de la jeunesse. C’est le danger qui guette notre classe.

 

Les problèmes individuels qui réclament des solutions collectives ne pourront jamais être réglés de façon satisfaisante au niveau individuel. Faire exception à cette règle, c’est forcément trouver une solution qui empiète sur les intérêts collectifs de la classe.

 

La lutte des classes impose de respecter des principes très stricts qui peuvent nous sembler contraignants parfois, mais s’en écarter en cédant à l’emprise de nos émotions ne peut que nous conduire à notre propre perte et au désastre.

 

Soulager la misère contribue à la perpétuer, lorsqu’on ne s’attaque pas aux conditions qui l’on fait naître.

 

En Inde où je vis, la bourgeoisie subventionne littéralement la misère. Dans le petit village de pécheurs ou j’habite, les pécheurs ne pêchent que quelques jours par mois. Un jeune fils de pécheur de retour de Chennai (ex-Madras) me disait ce matin que là-bas non plus les pécheurs ne pêchent que de temps en temps, juste de quoi satisfaire leurs besoins alimentaires et avoir un peu d’argent de poche, le reste du temps, ils jouent aux cartes sur la plage ou font la sieste.

 

Des fonctionnaires diligentés par le préfet, des responsables locaux de partis politiques, d’associations en tout genre, d’Ong occidentales, passent chaque semaine dans notre village et distribuent du riz et de la nourriture diverse, des vêtements, des ustensiles de cuisines, des fournitures scolaires, des jouets, etc., et régulièrement de l’argent en espèces.

 

Ils peuvent ainsi surseoir à leurs besoins quotidiens sans avoir à travailler, mais ils demeurent très pauvres. Sur 60 familles environ, si l’on tient compte de la totalité des bouches à nourrir sous chaque toit, seulement 5 ou 6 familles dépassent le seuil de pauvreté de un dollar par jour.

 

Si encore ils acceptaient cette aide matérielle et qu’ils travaillaient, ils pourraient voir leur niveau de vie évoluer sensiblement, cela leur ouvrirait peut-être d’autres perspectives, et à terme, cela pourrait favoriser leur prise de conscience politique. En demeurant dans la dépendance totale de la charité publique et en s’y complaisant, ils participent eux-mêmes inconsciemment à leur propre malheur. Maintenant n’allez pas croire qu’ils sont heureux de vivre et que leurs besoins se limitent à ce qu’ils ont, ils aspirent à une vie meilleure, mais ils sont incapables pour le moment de prendre conscience que c’est le système économique qui les réduit à la misère à travers les rapports que la bourgeoisie leur impose malicieusement.

 

Je me fais évidemment un devoir d’essayer de leur expliquer, sans rencontrer beaucoup d’échos.

Si je me laissais aller à mes émotions, je les détesterais ou je les plaindrais, selon mon humeur. Je dois parfois affronter des situations particulièrement difficiles ou délicates qui pourraient me faire fléchir, mais je préfère rester sur le terrain de lutte des classes, au risque d’être incompris et rejeté, je n’ai pas le choix.

Le seul résultat que j’ai pu obtenir en six ans, c’est qu’ils ont cessé de me menacer de mort et qu’ils m’invitent désormais à tous les événements familiaux et fêtes du village, c’est déjà pas mal, croyez-moi. Et n’allez pas croire que j’ai fait preuve de générosité envers eux pour obtenir ce résultat, ce serait mal me connaître, sur ce plan là, je fais preuve d’une intransigeance absolue à leur égard, tout au plus, je participe financièrement à l’organisation de la  fête annuelle du village et aux dépenses collectives urgentes..

 

Marx avait raison : on ne socialise pas la misère, on la combat.