Comme nous l’annoncions dans notre numéro précédent, nous publions ici une notice biographique sur notre camarade Pierre Broué, qui fait suite à l’article de Pedro Carrasquedo et Jean-Paul Cros en hommage au combattant et à l’historien trotskyste. Le grand intérêt de cette notice, qui est destinée à être publiée dans le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (Le MAITRON) est qu’elle est le produit d’entretiens réalisés avec Pierre Broué en 2000 par Jean-Guillaume Lanuque. C’est dire l’authenticité et l’intérêt des faits rapportés.
BROUÉ, Pierre, dit Pierre Scali, dit François
Manuel, dit Michel Wattignies, dit Pierre Barois, dit Pierre Brabant.
Né le 8
mai 1926 à Privas (Ardèche) ; enseignant dans le secondaire, puis chargé
d’enseignement et professeur des universités en histoire à l’IEP de Grenoble,
historien, directeur de l’Institut Léon Trotsky ; trotskyste, membre du PCI
(SFQI), du PCI exclu après 1952, de l’OCI, de l’OT, de l’OCI reconstituée, du
PCI et du MPPT, exclu en 1989, fondateur de la revue et des cercles Le marxisme aujourd’hui ; responsable syndical au SNET, au
SNES puis au SNESup.
Les chants de la Commune ...
Pierre Broué naquit le 8 mai 1926, à Privas, ville
de l’Ardèche, dans une famille de petits fonctionnaires. Son père, Léon Broué
(1890-1972), bon protestant, avait été mobilisé pendant sept ans, entre autres
durant la Grande Guerre ; il était devenu ensuite employé à la Trésorerie
générale après avoir été un temps tourneur chez Berliet, et il prit sa retraite
comme percepteur ; il se reconnaissait plutôt chez les radicaux. Sa mère,
Renée, née Verrot (1898-1980), fut d’abord institutrice, puis professeur des
écoles primaires supérieures, et enfin directrice de collège ; elle fut
membre de l’Union des femmes françaises à la Libération. Le couple s’était
installé à Privas en 1922, et avait déjà eu une fille, Reine, en 1923. Anatole
Broué, son grand-père, maréchal-ferrant, qui se considérait comme représentant
des ouvriers à la campagne, lui chantait les chants de la Commune. Pierre noua
en outre des liens de confiance et de savoir avec Rémy Verrot, son grand-père
maternel, ancien maître d’école et socialiste coopérateur. Les deux enfants ne
furent pas baptisés, une position délicate dans ce pays de guerre de religions,
et baignaient plutôt dans une atmosphère laïque.
Après l’école primaire,
Pierre entra en 6e en 1935, avec de l’avance, et obtint de brillants résultats.
La suite de sa scolarité confirma cette réussite, mais son indépendance et sa
soif de discuter le faisaient traiter par certains de « mauvais
esprit ». Il lisait énormément, tout ce qu’il trouvait à lire, et faisait
rire en se proclamant républicain et pacifiste. Mais ce sont les événements de
juin 1936, puis la guerre d’Espagne qui débutait, qui marquèrent véritablement
l’éveil de sa conscience politique (il éprouvait une grande sympathie pour les
ouvriers en grève et les républicains espagnols). [...]
La seconde guerre
mondiale fut pour lui une secousse double. D’abord avec l’arrestation d’Élie
Reynier, un professeur aimé et estimé. Le jeune garçon ne comprenait pas
pourquoi la « guerre du droit » devait commencer par l’emprisonnement
d’un homme respecté de tous, et qu’il jugeait admirable. Ensuite, la
débâcle : il la vécut au bord de la route, brûlant de se rendre utile,
bouillant de voir généraux et officiers avec des heures d’avance sur leurs
hommes. L’univers de son enfance s’effondrait. [...] À l’été 40, il dévora l’Histoire de la Révolution russe, de Trotsky. Il poursuivit sa
scolarité au lycée de Privas ; très agressif à l’égard des enseignants
pétainistes, mais jamais sanctionné, il se fit de solides inimitiés. Il obtint
tout de même son baccalauréat. À la rentrée 1942, Pierre Broué entra en
hypokhâgne à Marseille, au lycée Thiers. Il chercha et trouva un contact avec la
Résistance, par l’intermédiaire d’un surveillant, Paul Cousseran, qui
l’incorpora aux Mouvements Unis de la Résistance (MUR), dans un groupe chargé de
collecter des renseignements, remettre des colis aux prisonniers et transporter
armes et explosifs.
Refus du chauvinisme ...
En juillet 1943, Paul Cousseran fut sollicité par le
réseau Périclès, et Pierre, à sa suite, fut chargé de la mise sur pied d’une
école de cadres d’officiers du maquis. C’est à ce moment-là que les propos d’un
officier résistant le persuadèrent du mensonge de l’union nationale et de la
validité de la lutte des classes. Puis, convaincu par un jeune ouvrier, condamné
à mort par Vichy, mais exclu des cours parce que membre du PCF, il devint
communiste. Après avoir suivi les cours de l’école de Theys, il ne rejoignit pas
le réseau, détruit dans l’intervalle.
En septembre 1943, Pierre Broué entra
en khâgne au lycée Henri IV de Paris, où il logea jusqu’en 1945. [...] Il
écrivit également pièces de théâtre et poèmes, il s’investit dans le
militantisme communiste au sein des étudiants communistes auxquels il avait
adhéré (distribution de tracts, bris de librairies allemandes, transport de L’Humanité clandestine). Il était alors le responsable
« polo » du triangle d’Henri IV qu’il représentait dans celui du
quartier latin, sous le pseudonyme de Wattignies, avec Jean Poperen alias
Linières.
Et du stalinisme ...
C’est ainsi qu’en mai 1944, il organisa sur ordre
une manifestation des étudiants communistes contre le STO, qu’il critiqua
ensuite comme « aventuriste ». Ce désaccord avec sa
direction s’était déjà manifesté en janvier 1944, lorsqu’il avait approuvé le
projet d’une distribution de tracts en allemand dans une caserne, ce que sa
direction avait refusé. Cette dernière, pour tester sa fidélité, lui demanda
alors d’organiser l’assassinat d’un militaire allemand, afin de récupérer des
armes et d’intégrer ensuite les FTP. Mais il refusa de tuer un militaire autre
qu’un officier ou un SS. Il venait alors de prendre contact avec les trotskystes
par l’intermédiaire de Donald Simon, ancien du Comité Communiste
Internationaliste, qui lui dévoila son appartenance politique et le mit en
contact avec le Parti Communiste Internationaliste, section française de la
Quatrième Internationale (PCI-SFQI) récemment constituée. Sachant que sa
liquidation physique était une possibilité, ses nouveaux amis lui conseillèrent
de quitter Paris. Il partit donc rejoindre sa mère à La Côte St-André, dans
l’Isère. [...]
Il revint à Paris et au lycée Henri IV. Sa reprise de contact
avec le PCF ne fut qu’un constat de rupture : on l’accusa d’avoir calomnié
Tito ... Au sein du PCI-SFQI, il participa au cercle d’études marxistes animé
par Donald Simon et Claude Lefort, qui faisait partie du Front national des
lettres lié au PCF et qui en fut finalement exclu. Son militantisme s’exerçait
alors sous plusieurs formes : contradiction portée à plusieurs réunions
politiques ; vente de La Vérité à la criée, à une époque
où celle-ci était encore interdite ; recrutement de neuf amis étudiants,
qu’il regroupa en trois cellules clandestines pour contourner le problème des
quotas imposés par la direction (1 étudiant pour 3 ouvriers), cellules qui
furent finalement intégrées à l’organisation (mais sans ancienneté). Il chercha
également du travail, et finit par obtenir un poste de professeur auxiliaire au
centre d’apprentissage de l’école Estienne des métiers du livre, tout en
commençant en parallèle des études d’histoire à la Sorbonne. [...]
Il
poursuivit son activité militante au sein du PCI-SFQI, où il fut attiré par les
analyses de Claude Lefort et Cornélius Castoriadis, mais sans les suivre dans
leur rupture, lisant simplement la revue Socialisme ou
barbarie. Versé dans la Jeunesse communiste internationaliste (JCI), il
devint membre de sa direction et responsable du secteur étudiant, et y entra en
conflit avec Marc Paillet. Il participa également à la protection de Daniel
Renard durant les grèves de 1947. Il intégra même le comité central (CC) en
1948, avant le départ des « droitiers ». [...] Il continua aussi à
militer, en construisant en Ardèche le Mouvement Révolutionnaire de la Jeunesse
(MRJ) qui succédait à la JCI ; il y recruta une douzaine de jeunes, mais
l’organisation s’effondra sur le plan national. À la rentrée de 1947, il obtint
un poste d’adjoint d’enseignement à Nyons, dans la Drôme, au collège Roumanille.
Durant l’été, il prit part aux brigades envoyées en Yougoslavie par le MRJ (en
fait le PCI-SFQI), en étant intégré à la brigade Henri Colliard (Rhône-Alpes).
En juin 1950, il demanda un poste de maître d’internat afin de terminer sa
licence et de passer les concours [...].
Une vie de militant ouvrier
ll fut élu aux commissions paritaires, mais commença
à préparer les concours. Au moment de la scission du PCI-SFQI en 1952, il resta
du côté de la majorité en opposition à la direction internationale de Michel
Pablo ; il faisait d’ailleurs initialement partie des militants désignés
pour entrer au PCF dans le cadre de la tactique d’entrisme sui
generis. Il fut admissible l’oral de l’agrégation en 1953 (4e à l’écrit),
mais y échoua, malgré la défense que fit de lui le président du jury Fernand
Braudel. Il rédigea dans le même temps une brochure sur la Bolivie pour le PCI
exclu, sous le pseudonyme de Pierre Scali. À la rentrée scolaire de 1954, il fut
affecté à Beaune, en Côte d’Or, comme adjoint d’enseignement au collège Monge.
Au sein du SNES, membre de la tendance « autonome », il fut élu
délégué académique des auxiliaires d’enseignement. En 1955, il hébergea quelque
temps Mohammed Maroc, un des dirigeants du MNA de Messali Hadj, que soutenait
son parti. [À suivre ...]
Un grand merci au militant Daniel Couret, qui nous a communiqué ce document. Nous en publions ici la première partie. Le reste sera dans notre prochain numéro. Faute de place, nous en publions des extraits. Les passages coupés sont signalés.