Lutte de classe
Un
texte commenté d’Avanti (tendance de la LCR)
Je vous propose un texte de
Avanti, tendance de la LCR, signé Gérard Combes , que j’ai trouvé sur leur site
Internet et que j’ai commenté en ajoutant des réflexions d’ordre général. Le
titre et les sous-titres sont de G. Combes. Mes commentaires sont entre
parenthèses.
Dans la liste des scandales qui
émaillent l’histoire de la V° République, l’affaire Clearstream est assez
mince. Aucun ministre ne s’est noyé, aucun n’a reçu une balle dans la tête,
aucun ne s’est suicidé. Des pots de vin à l’occasion d’une vente d’armes, des
comptes bancaires à l’étranger, rien de plus banal. Selon le Canard Enchaîné
Chirac lui-même disposerait de sommes importantes au Japon…
La crise gagne les sommets de
l’État et le gouvernement apparaît toujours plus éclaté. Partira, partira pas ?
Chirac pourra-t-il conserver son Premier ministre jusqu’en 2007 ? Que décidera
Sarkozy ? Rien n’est joué et les dénégations d’aujourd’hui ne convainquent
personne, chaque jour apportant son lot de révélations savamment distillées par
une presse d’ordinaire plus respectueuse, mouillant Chirac tout autant que
Villepin. Le parti gaulliste a toujours été une bande de gangsters, les
rivalités tournent maintenant au règlement de comptes. La fin de règne de
Chirac l’escroc, le menteur, le truqueur, est une véritable débandade.
L’approche des élections et le jeu
traditionnel des peaux de banane pour éliminer les rivaux dans la course à la
candidature n’expliquent pas tout. On ne peut pas comprendre l’ampleur de la
crise, attisée par la presse et notamment Le Monde qui ne nous avait guère
habitué à ce rôle de chevalier blanc, si on ne fait pas le lien avec le Non au
référendum et avec le retrait du CPE.
(Le Monde joue la carte du ticket gagnant en 2007 par anticipation, c'est-à-dire qu'il se place du côté du futur locataire de l'Elysée conformément aux sondages d'opinion qui donnent le candidat de l'UMP battu, pas davantage.)
La chiraquie est usée jusqu’à la
corde
Le gouvernement Raffarin a pu
imposer ses réformes réactionnaires, mais il a subi un grave revers électoral
en 2004 et surtout il a perdu la bataille du 29 mai 2005. Au mouvement profond
de rejet du libéralisme s’est ajoutée la colère suscitée par ses provocations,
telle la suppression du lundi férié de Pentecôte. Son successeur a tenu moins
d’un an. Incapable de gérer la crise du CPE, refusant de négocier avant le vote
de la loi malgré les offres de service des directions syndicales, Dominique de
Villepin a embarqué Chirac avec lui. Son arrogance n’a rendu que plus piteuse
la reculade. Aujourd’hui, la popularité du chef de l’État et de son Premier
ministre se situe au raz des pâquerettes.
(Par prémonition ou tout simplement en tenant compte des symptômes qui annonçaient le déferlement des masses dans la rue, dans le prolongement du 29 mai 2005, les appareils après avoir essuyé un refus de de Villepin d'être directement associés à la mise en oeuvre du CPE, n'avaient plus qu'à constituer un front unique pour empêcher que le mouvement social débouche sur une grève générale, ce qu'ils ont fait. Rappelez-vous que j'avais fait campagne pour que l'appel à voter non soit accompagné d'un mot d'ordre de mobilisation générale pour descendre dans la rue pour concrétiser l'exigence qui était majoritaire dans le pays, d'en finir avec la politique ultra réactionnaire de Chirac-de Villepin-Sarkozy. J'étais en avance sur le mouvement social du printemps 2006, simple constatation adressée à mes détracteurs qui disent que je raconte n'importe quoi.)
Une partie de la droite veut en
finir au plus vite avec la chiraquie pour ne pas être entraînée dans la
débâcle. Son obsession : comment ne pas perdre les élections. Pour réaliser cet
objectif, Sarkozy apparaît comme le seul sauveur possible, mais la gageure est
difficile. Il lui faut réunifier la droite du Oui et celle du Non, donner des
gages au grand patronat pro-européen tout en séduisant les secteurs
poujadistes, percutés par la mondialisation et qui pourraient lui reprocher la
capitulation sur le CPE. Pour contrer la concurrence de Le Pen et de De
Villiers, Sarkozy renforce son discours sécuritaire et anti-immigrés,
accentuant la polarisation droite/gauche. Son projet combine
l’ultra-libéralisme économique assorti d’un mince filet social avec le
renforcement de l’appareil répressif ; il propose de résoudre la crise de la V°
République en optant résolument pour un régime présidentiel, à la mode des
États Unis.
(Capitulation sur le CPE ? En sommes-nous absolument sûrs ? Au bout du compte, qu'est-ce qui compte pour les capitalistes, c'est que le CPE s'appliquent, et s'ils ont eu chauds, alors qu'il y avait trois millions de travailleurs dans la rue, ils s'en sont tirés grâce au "dialogue social" qui permet de masquer aujourd'hui l'application du CPE par d'autres moyens que ceux présentés par de Villepin, ce qui veut dire que la capitulation a été de courte de durée pour reprendre l'offensive sur tous les terrains : immigration, logement, santé, éducation, privatisation, Code du travail, tout y passe, c'est de la destruction massive de droits sociaux et démocratiques, un appauvrissement dans tous les domaines pour la majorité de la population.)
Le patronat garde deux fers au feu
La présidente du Medef, Laurence
Parisot, s’est alarmée de l’attitude du gouvernement dans la crise du CPE et a
même ouvertement regretté que cette avancée vers un démantèlement du code du
travail, qu’elle appelle de ses vœux, ait pu apparaître comme une
stigmatisation de la jeunesse. Le patronat, qui souhaitait une généralisation
progressive du contrat nouvelle embauche, a craint que l’obstination du premier
ministre n’aboutisse aussi à son abrogation. Trois millions de salariés et de
jeunes dans la rue, cela fait réfléchir sur les vertus du passage en force. La
méthode du « diagnostic partagé » a aussi son intérêt. C’est pourquoi, dès le
retrait du CPE, le Medef a remis sur le tapis sa proposition d’une «
modernisation sociale » négociée avec les directions syndicales ; il a lancé à
ces dernières une invitation à la discussion qu’elles se sont empressées
d’accepter.
Les capitalistes européens
s’accommodent fort bien des alternances entre la droite et la gauche libérales.
La construction européenne doit autant, sinon davantage, à la social-démocratie
qu’à la démocratie chrétienne. Les sociaux-libéraux ne se contentent pas d’«
accompagner la mondialisation capitaliste », ils en sont les promoteurs
conscients et ont renoncé depuis belle lurette à tout « réformisme de gauche ».
Si les boutiquiers, les rentiers et les petits patrons ont voté en masse pour
Silvio Berlusconi, la Cofindustria - le Medef italien - penchait pour Romano
Prodi qui avait fait ses preuves à la présidence de la commission européenne et
ne s’effrayait guère d’une « participation communiste » au gouvernement de
l’Unione. Certes, il existait une « exception française », toute relative, le
parti socialiste étant apparu longtemps comme un peu plus à gauche que la
plupart de ses congénères européens ; que cherche Ségolène Royal quand elle
proclame son admiration pour Tony Blair, sinon à dissiper ce regrettable
malentendu et à se rendre présentable aux yeux du patronat ?
Message reçu du côté de l’UDF.
Depuis la victoire du Non, François Bayrou se situe de plus en plus dans
l’opposition. Sa décision de voter la motion de censure déposée par le PS, même
si elle ne fait pas l’unanimité de son groupe parlementaire, n’a rien de
fortuit. Un gouvernement qui associerait socialistes du Oui et centristes sous
l’égide de l’Europe libérale, dans l’esprit de ce qu’avait tenté prématurément
Michel Rocard en 1988 (il n’avait alors pu décrocher que trois sous-fifres),
serait dans la droite ligne de leur position commune en faveur du traité
constitutionnel européen.
Les conditions sont-elles mûres ?
François Hollande, pour se poser en chef de l’opposition, a radicalisé son
discours. Mais cette véhémence est purement verbale ; au plan social les
engagements concrets sont inconsistants. Pour gagner en 2007, le parti
socialiste doit conserver un langage de gauche ; c’est la recette qui lui a
assuré la victoire en 1988 et 1997. Les combinaisons parlementaires viendront
après et « nos engagements européens » justifieront de nouveau tous les
renoncements. Ce qui est certain, c’est que le retour du social-libéralisme au
pouvoir, avec ou sans alliés centristes, ne serait pas une catastrophe pour le
capitalisme français.
(Ce serait une
catastrophe pour les travailleurs qui n'auraient plus alors d'autre alternative
que de s'organiser pour renverser le pouvoir et le régime en place ou laisser
la barbarie s'installer durablement pour le plus grand malheur de la majorité
de la population. Mais en l’absence d’un parti révolutionnaire, le pire reste à
venir, hélas, comme au lendemain du 10 mai 81 !)
Aucune alliance n’est possible
avec les sociaux libéraux
La soumission ou la résistance à
l’Europe libérale, c’est-à-dire à la dictature des marchés, continue de diviser
les eaux à gauche. N’en déplaise à Marie George Buffet, la page du Oui et du
Non n’est pas tournée. On ne pourra pas « reconstruire ce que le libéralisme a
défait » en s’alliant à ceux qui, ces vingt-cinq dernières années, ont manié la
pioche aussi bien que la droite. La direction du PCF ne peut prétendre avoir
tiré les leçons du 21 avril 2002 en oubliant celles du 29 mai 2005. Elle ne
peut rêver de retrouver la « gauche plurielle » et la LCR à la table du même
banquet.
Signer un appel qui affirme « nous
ne participerons pas à un gouvernement qui serait dominé par le
social-libéralisme » constitue certes une première clarification, mais dans
beaucoup de régions, de départements et de communes, le PCF participe bel à
bien à des exécutifs « dominés par le social-libéralisme ». Quel bilan
tire-t-il de cette participation ? Par exemple dans la région Poitou-Charentes,
où le PCF occupe 2 des 13 postes de vice-président, Michelle Carmouse et Paul
Fromonteil ont-ils réussi à tirer vers la gauche la camarade Ségolène Royal ?
Il en est de même dans les conseils généraux ainsi que dans les villes où des
adjoints PCF figurent dans la majorité du maire socialiste. À Lille, les trois
adjoints communistes de Martine Aubry l’ont-ils convertie à l’antilibéralisme ?
Ces questions ne peuvent être évacuées, aux élections municipales et cantonales
de 2008 il faudra bien choisir entre des candidatures unitaires issues d’un «
rassemblement antilibéral de gauche » et la reconduction des alliances avec les
sociaux-libéraux.
(Antilibéral, ne veut pas dire anticapitaliste. Le libéralisme est une forme du capitalisme, il apparaît à un certain moment de l'histoire du développement des forces productives, il ne constitue qu'un moment du capitalisme sans forcément viser les racines du capitalisme qu'il faut éradiquer. Notre objectif demeure d'en finir avec le capitalisme et non d'en finir avec une forme particulière du capitalisme. La distinction est déterminante puisqu'elle marque la frontière entre le révolutionnaire et le réformiste.)
Toutes les ambiguïtés doivent être
levées. Non seulement il ne saurait être question de négocier quelques
maroquins ministériels dans le gouvernement d’une gauche plurielle relookée,
mais la gauche antilibérale doit affirmer tout aussi clairement son refus de
servir de force d’appoint ou de béquille à un gouvernement social-libéral. Or
c’est bien ce qu’a fait le PCF au début des années 1980 avant que Pierre Mauroy
eût cédé la place à Laurent Fabius, puis vis-à-vis des gouvernements
socialistes entre 1988 et 1993. Cette clarification ne préjuge en rien d’une
éventuelle consigne de vote au second tour, mais à l’inverse, affirmer par
avance qu’on mobilisera pour assurer la victoire de la « gauche », quels que
soient la situation politique et le contenu de la campagne de la candidate ou
du candidat du PS, ne peut en rien contribuer à « bouleverser le rapport de force
à gauche ».
(Le courant Avanti de la LCR pourrait donc envisager d'appeler à voter pour le candidat du PS si celui-ci figurait au second tour des présidentielles en 2007, comme si tous les candidats de ce parti bourgeois ne faisaient pas partie du même panier de crabes. A quoi bon émettre des réserves sur leurs programmes, si c'est au bout du compte pour capituler devant le réformisme.)
Quel programme pour l’alternative
?
Beaucoup voient dans la charte
antilibérale qui vient d’être adoptée par la réunion nationale des collectifs
du 29 mai le programme plus qu’ébauché de candidatures communes aux
présidentielles et aux législatives. C’est sans doute ce que veulent dire les
promoteurs de l’appel unitaire quand ils affirment : « des propositions convergentes
existent sur nombre de questions essentielles. Elles fournissent déjà un
fondement solide à notre rassemblement ».
Le premier défaut de la charte
antilibérale est que son statut n’est pas clair. Le préambule fait référence
aux « luttes et aux urnes » mais le texte se présente comme une « contribution
au débat » et non comme un programme d’action pour les luttes. Cette
contribution risque donc fort d’être « pour les élections ». Or c’est bien dans
les luttes d’aujourd’hui, dans ce que chacun y défend, qu’il est possible de
vérifier les points d’accord ou de désaccord entre les composantes du Non de
gauche et naturellement au sein de la gauche sociale et politique dans son
ensemble. Par exemple dans ce qu’opposent les uns et les autres à des plans de
licenciements comme celui qui vient d’être décidé par EADS à Mérignac : simple
contrôle de l’utilisation des aides publiques, ou interdiction des
licenciements boursiers sous peine d’expropriation des licencieurs ?
(Alors si c'est au
terrain des "luttes" que se limite l'action politique de ce
courant, autant dire qu'il se situe non pas sur le terrain politique, mais sur
le terrain social ou économique, donc du trade-unionisme, du réformisme.
Combattre pour les droits des travailleurs immigrés, par exemple, c'est tout au
plus combattre pour leur permettre de s'intégrer dans de meilleures conditions
au capitalisme, pour satisfaire une revendication immédiate, cela ne va pas
plus loin, c'est la raison pour laquelle elle ne peut être assimilée à un
combat politique proprement dit.
D'autre part, il
suffirait de témoigner son accord, son soutien ou son engagement à défendre une
revendication économique ou sociale pour être estampillé de "gauche",
pour avoir une ligne politique correcte. C'est une nouvelle fois confondre
revendication économique et sociale d'une part, et revendication politique
d'autre part. Confondre le combat syndical et le combat politique, c'est en
dernière analyse ramener et enfermer le combat politique au niveau du combat
économique, donc inscrire et subordonner le combat politique dans le cadre
étroit du maintien de l'ordre capitaliste.
Lénine expliquait que les revendications économiques pour lesquelles la classe ouvrière combattait, étaient des revendications bourgeoises puisqu'elles ne dépassaient pas le cadre des rapports de production existant, qu'elles ne les remettaient pas en cause. Il expliquait que c'était là la limite de l'activité syndicale. Pour remettre en cause le système capitaliste, il fallait donc s'attaquer à l'Etat et à ses institutions qui en sont les garants, et par conséquent, l'origine de ce combat ne pouvait provenir que d'une source extérieure au syndicalisme, du combat politique proprement dit.
Combattre contre la
fermeture d'une entreprise, s'inscrit dans le cadre des activités syndicales du
militant révolutionnaire. Maintenant, qu'elle ferme ou non, cela ne remet pas
en cause le système capitalisme ou les rapports sociaux d'exploitation au sein
de cette entreprise.
Combattre pour en finir
avec le capitalisme s'inscrit dans le cadre de l'activité politique du militant
révolutionnaire. C'est combattre pour que le prolétariat prenne le pouvoir et
se constitue en classe dominante, ce qui passe obligatoirement par la
destruction de l'Etat bourgeois et la liquidation de ses institutions,
préalable nécessaire à l'abolition des
rapports sociaux d'exploitation capitalistes.
Les deux combats doivent être menés de front et se conjuguent, mais ils ne doivent pas être confondus, ce qui est le cas aujourd'hui.
"Interdiction
des licenciements boursiers", donc il suffirait que ces licenciements
ne soient pas "boursiers" pour passer comme une lettre à la
poste. "Expropriation des licencieurs", c'est un peu court,
sans prise du pouvoir politique par les travailleurs, c'est un mot d'ordre
gauchiste qui ne peut mener qu'à une impasse.)
Son autre faiblesse ne réside pas dans l’insuffisante radicalité de ses propositions sur le terrain de l’urgence sociale et écologique, encore que le refus consensuel de trancher sur la sortie du nucléaire pose un véritable problème, tout comme les références a-critiques aux concepts de « croissance » et de « productivité ». Les mesures authentiquement « réformistes de gauche » qui sont avancées sont totalement déconnectées des moyens qu’elle préconise pour les mettre en œuvre. De ce fait, l’ensemble apparaît comme un programme néo-keynésien, pétri d’illusions sur un possible retour aux « trente glorieuses », espérant civiliser le capitalisme. Cela aboutit a cette autojustification d’une incroyable naïveté : « rémunérer mieux le travail, étendre le travail en réduisant le chômage, c’est évidemment s’en prendre à la rémunération et aux intérêts du capital, c’est donc heurter de plein fouet des intérêts puissants. Mais ce n’est pas mettre en danger l’économie, quoiqu’en diront les libéraux : ce n’est pas le revenu national qui change, mais sa répartition. Nos propositions sont réalistes ». On peut craindre que cette profession de foi soit insuffisante pour convaincre les capitalistes d’abandonner les clefs du coffre-fort à un gouvernement antilibéral, même démocratiquement sorti des urnes.
(Au contraire, cette
profession de foi est parfaitement claire : qui dit "rémunérer le
capital" ne dit pas abolition du capital. Ensuite, ne "pas
mettre en danger l'économie" capitaliste, qu'est-ce que c'est sinon la
préserver, c'est très clair, non ?. Décidément les "libéraux"
n'ont pas à s'en faire de n'importe quel coté qu'ils regardent. Notez qu'avec
des guillemets, il y aurait place pour des "réformes de gauche",
étonnant, non ? C'est vrai qu'en y mettant les moyens appropriés, le PT tient
exactement le même discours réformiste. On ne se refait pas !)
Certes, il est fait référence à
plusieurs reprises à la nécessaire mobilisation populaire, au contrôle des
salariés et de la population, au droit de veto des comités d’entreprises. Mais
la charte est marquée par une sidérante sous-estimation de l’inévitable
sabotage de la part du patronat et de l’appareil d’État (celui-ci
deviendrait-il neutre comme par miracle ?) Or si on peut trouver dans le passé
quelques exemples de situations où les capitalistes, confrontés au risque de
tout perdre, ont choisi la voie de concessions sociales provisoires, c’est dans
des cas où la mobilisation populaire allait jusqu’aux occupations d’usines,
voire jusqu’à l’armement des masses comme à la Libération. Et dès que tout est
rentré dans l’ordre le patronat a entrepris de reconquérir les positions
perdues. Les exemples abondent par ailleurs d’autres confrontations qui ont été
réglées dans le sang du peuple par l’armée « républicaine ».
Pour s’affronter à ce qu’on
appelait jadis le « mur d’argent » et contrer la fuite des capitaux, un
gouvernement antilibéral pourrait-il se contenter de mettre en place un « pôle
public de crédit », même si on ajoute que « l’indépendance accordée aux
dispositifs bancaires, à l’échelle nationale et supranationale, devrait être
remise en cause afin qu’ils soient placés sous contrôle démocratique et mis au
service des objectifs démocratiquement décidés » ? Si on peut, dans le domaine
de l’industrie, des services ou du commerce, admettre que pendant toute une
période l’entreprise privée conservera une place, il ne saurait en être de même
des banques et organismes de crédit. Leur nationalisation sous contrôle des travailleurs
est indispensable pour se donner les moyens d’une autre politique. Et l’on
pourrait aligner d’autres exemples qui montrent que le débat autour le la
charte antilibérale mérite pour le moins d’être poursuivi.
(Il y a là une confusion qui touche le cœur du problème politique auquel nous sommes confrontés : Ce n'est pas "leur nationalisation sous contrôle des travailleurs" qui vont "donner les moyens d’une autre politique", mais exactement le contraire : tant que le prolétariat n'aura pas pris le pouvoir, tant qu'il ne sera pas la classe dominante (dictature du prolétariat), les nationalisations ne pourront se faire que dans le cadre du capitalisme par conséquent échapperont automatiquement au contrôle des travailleurs, à moins de considérer la "démocratie participative" ou l'"autogestion" comme une expression du pouvoir des travailleurs dans l'entreprise, ce qui en réalité en est l'antithèse. Autrement dit, Avanti veut nous ramener à la situation que nous connaissions avant les privatisations, c'est-à-dire quelques décennies en arrière ou à l'après-guerre, puisque cette position est commune et conforme à la ligne politique réformiste de la reconquête de la démocratie sociale défendue par le PT. Voilà un débat qui mérite assurément d'être poursuivi.
D'autre part, cette
position politique qui consiste à penser ou imaginer qu'un gouvernement "antilibéral"
sorti des urnes pourraient remettre en cause les fondements du système
capitaliste, tend évidemment à nourrir des illusions électoralistes en niant les
enseignements les plus élémentaires de la lutte des classes, car vous aurez
compris que désormais la nécessité pour le prolétariat de construire un parti
révolutionnaire, de se doter de son propre organisme de pouvoir politique,
assemblée constituante souveraine ou comité des délégués élus serait devenu
obsolète, inutile pour en finir avec le capitalisme et avancer vers le
socialisme. D'ailleurs, vous aurez remarqué qu'à aucun moment il n'est fait
référence ou allusion au parti révolutionnaire, à son rôle déterminant, ou à un
quelconque organisme politique créé par les masses et contrôlé par les masses,
ce n'est pas un hasard, puisque la LCR n'a jamais eu pour objectif de
construire un parti révolutionnaire. Quant à la révolution, elle est passée à
la trappe !)
Briser les institutions de la V°
République, rompre avec l’Europe libérale
Avant d’admettre qu’elles lui
allaient comme un gant, François Mitterrand les avait qualifiées de coups
d’État permanents. La lutte contre le CPE a mis en lumière leur caractère
anti-démocratique, dirigé contre la classe ouvrière. L’obstination de Dominique
de Villepin a maintenir intact son dispositif de précarisation de la jeunesse
s’est en effet largement appuyée sur les institutions.
Premier acte : le conseil d’État,
vénérable institution antérieure au gaullisme, composé d’énarques et de
quelques personnalités nommées au « tour extérieur », ne voit aucune
contradiction entre la période d’essai de deux ans contenue dans le contrat
nouvelle embauche et l’article 4 de la convention n° 108 de l’OIT. Cet avis
n’est visiblement pas partagé par les conseils de prud’hommes…
(On attend des exemples concrets qui le prouve. En voilà encore qui font référence à l'OIT, autrement dit à l'ONU.)
Deuxième acte : pour accélérer
l’adoption de la loi dite « pour l’égalité des chances », le Premier ministre a
recours à l’article 49ter, magnifique invention de la V° République pour
domestiquer l’Assemblée nationale. Pour mémoire, le gouvernement Mauroy s’en
était servi pour imposer aux députés socialistes réticents l’amnistie pleine et
entière des officiers OAS !
(On devrait le rappeler aux militants et cadres du PT qui l'ont oublié ou qui ne savait pas que les membres de ce parti, que leurs dirigeants côtoient quotidiennement, appartiennent à un parti infréquentable à plus d’un titre.)
Troisième acte : le conseil
constitutionnel, cette trouvaille de De Gaulle pour bloquer les velléités
réformatrices d’une éventuelle majorité parlementaire de gauche, avalise le
projet de contrat première embauche. Les « neufs sages » que personne n’a élu
censurent ainsi le jugement de la rue.
(Passons sur "les
velléités réformatrices une éventuelle majorité parlementaire de gauche",
qui même émis avec des réserves, porte la marque d'illusions encore tenaces.)
Si on ajoute à ces épisodes divers
jugements de la Cour de cassation qui acceptent les licenciements préventifs
dans des entreprises qui font des profits et les exigences de la commission
européenne, garante de la « concurrence libre et non faussée », on voit qu’un
gouvernement réellement antilibéral ne pourra pas faire l’économie d’un
affrontement avec les institutions qui préservent l’ordre bourgeois. Des
mesures aussi élémentaires que le retour de France Télécom dans le service
public, l’abandon de l’ouverture du capital d’EDF et de GDF ou la préservation
du monopole de la Poste dans la distribution du courrier se heurteraient à la
censure institutionnelle.
Il faut donc afficher clairement
qu’un gouvernement ouvrier et populaire n’aurait de comptes à rendre qu’à ses
électeurs, qu’il appliquerait son programme contre vents et marées, qu’il
refuserait de se soumettre aux diktats du conseil d’État, du conseil
constitutionnel ou de la commission européenne.
(Le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel continueraient donc d'exister, ils ne seraient pas abolis, ils ne feraient pas partie des institutions de la Ve République et de sa constitution ? Affrontement avec les institutions, mais pas d'abolition, on a bien compris le message.)
Pour une assemblée constituante
Du fait même que le gouvernement a
eu recours à toutes les ficelles que lui offrait la constitution, que le
pouvoir bicéphale de Chirac et de son premier ministre, solidaire dans
l’entêtement, ait pareillement dû assumer la reculade, leur défaite sur le CPE
a ébranlé le régime. L’affaire Clearstream, en révélant la pourriture des
sommets de l’État, l’utilisation des services secrets et les étranges
complaisances de la « justice », parachève ce discrédit dans le même temps
qu’elle suscite une formidable exigence de démocratie.
A cette exigence, les marxistes
révolutionnaires ne peuvent se contenter d’opposer une pieuse référence à la «
démocratie socialiste ». Le mouvement ouvrier français et la jeunesse,
profondément marqués par la « tradition républicaine », nourrissent des
illusions dans le pouvoir du bulletin de vote.
(Voilà ce qu'on appelle
dire tout et son contraire ! Avanti dilue des illusions sur le bulletin de vote
en les attribuant frauduleusement au "mouvement ouvrier français"
et à "la jeunesse" qui forme le gros du bataillon des
abstentionnistes, sans doute n’en ont-t-ils pas conscience.)
Ce n’est pas nouveau. Dans leur «
programme d’action » de 1934, les trotskystes français constataient
pareillement que la majorité de la classe ouvrière restait sur le terrain de la
démocratie bourgeoise et ils répondaient, dans le chapitre intitulé « Pour une
assemblée unique » : « Nous exigeons de nos frères de classe qui se réclament
du ‘‘socialisme démocratique’’ qu’ils soient fidèles à eux-mêmes, qu’ils
s’inspirent des idées et des méthodes non de la III° République mais de la
Convention. À bas le Sénat, chambre élue au suffrage restreint et qui rend
illusoire les pouvoirs du suffrage universel ! A bas la présidence de la
République, qui sert de point de concentration occulte à toutes les forces du
militarisme et de la réaction ! » Il ne fait guère de doute qu’ils auraient
ajouté « à bas le conseil constitutionnel » s’il avait existé à l’époque. Et
ils proposaient l’élection d’une assemblée unique concentrant le pouvoir
législatif et le pouvoir exécutif, au suffrage universel, par les hommes et les
femmes âgés de 18 ans, sans distinction de nationalité. Les députés devaient
être élus pour un mandat de deux ans sur la base d’assemblées locales, et
révocables par leurs mandants.
Les illusions dans la démocratie
bourgeoise et dans les élections ne se sont pas franchement estompées, non
seulement chez la masse des travailleurs, mais aussi parmi les militants les
plus actifs des mouvements sociaux. Dans une situation où y compris des partis
bourgeois parlent de « VI° République », les marxistes révolutionnaires doivent
apporter leur propre réponse. Elle ne saurait être naturellement celle d’un
replâtrage des institutions, d’un « renforcement des pouvoirs du parlement »
qui s’inspirerait des « idées et des méthodes de la IV° République ».
Face aux tentatives multiples de
trouver une issue institutionnelle à la crise du gouvernement et du régime,
nous ne pouvons pas avancer l’exigence de dissolution de l’Assemblée nationale,
ni même d’élections générales anticipées. Ce serait en deçà des nécessités de
la période, en deçà de l’exigence de démocratie portée par les mouvements
sociaux. Sur ce terrain, nous pouvons rejoindre les rédacteurs de la charte antilibérale
: « Cela passe par la mise en place d’une autre République, d’une Sixième
République instaurant un nouveau système politique, d’une République
démocratique et sociale, représentative et participative, laïque et
émancipatrice. Elle ne doit pas être décidée ‘‘par en haut’’ : son architecture
devrait faire l’objet d’un vaste débat national, suivi de l’élection au
suffrage universel d’une Constituante, puis d’un vote par référendum ».
(Nous en voici rendu à
l'art de se contredire sans en avoir l'air. Comprenne qui pourra : d'un côté,
ils parlent "d'affrontement" avec les institutions qu'il ne
s'agirait pas de "replâtrer", de l’autre côté, ils ne vont pas
jusqu'à leur abolition, ils ne le disent nulle part, donc on se demande de quoi
ils veulent parler au juste ; ils parlent des bienfaits miraculeux qui
pourraient sortir d'un gouvernement "antilibéral", pour nous
dire un peu plus loin qu'il ne peut rien sortir de bon des urnes ; ils nous
disent encore que les "trotskystes français" de 1934 auraient
dit « à bas le conseil constitutionnel » s'il avait existé à l'époque,
alors qu’eux ne l'ont dit nulle part, ce qui laisserait entendre qu'il ne
partage pas cette position, faut-il continuer ? Il est vrai qu'avec "les
mouvements sociaux" comme référence, entendez par là les
"altermondialistes", la société civile cher aux corporatistes, ils ne risquent pas de mettre en cause le
système capitalisme et les institutions sur lesquelles il repose.
Le bouquet final a le
parfum déjà fané et décomposé, "d’une République démocratique et
sociale, représentative et participative, laïque et émancipatrice".
Nous y voilà, c'est exactement le programme des "altermondialistes",
des partisans de la "démocratie participative", tous les mots et les
concepts qui s'y rattachent y figurent à la virgule près s'il vous plaît, dont
l'"architecture devrait faire l’objet d’un vaste débat national, suivi
de l’élection au suffrage universel d’une Constituante, puis d’un vote par
référendum.". Bref, dans le paragraphe précédent ils avaient écrit
qu'il ne s'agirait pas d’un « renforcement des pouvoirs du parlement »,
mais cela y ressemble comme deux gouttes d'eau.
Bien entendu on ne nous
dit pas d'où viendrait cette "République", ou si, elle serait
précédée d'un "vaste débat national", vaste programme, car qui
dit national, dit nation, qui dit nation, dit classes au pluriel, qui dit
classes au pluriel, dit intérêts opposés et irréductibles, que peut-il sortir
d'un si "vaste débat", sinon un compromis entre ce qui peut
être accepté par les deux principales classes prétendant au pouvoir ?
On ne nous dit pas si
les partis bourgeois auraient encore le droit de citer. Seraient-ils bannis de
l'enceinte de l'Assemblée constituante ou non, nous n'en savons rien.
Maintenant si les délégués de l'Assemblée constituante sont démocratiquement
élus et révocables, ce qui n'est pas précisé dans cette Charte, et qu'elle est
souveraine, ce qui n'est pas précisé non plus, pourquoi faudrait-il organiser
un référendum ? Pour valider le choix de société que la population aurait déjà
fait en se constituant en Assemblée constituante, ne serait-ce pas tenter de
porter atteinte à sa légitimité et remettre en cause sa souveraineté ?
L'objectif de
l'Assemblée constituante doit être de liquider l'appareil de l'Etat bourgeois,
l'intégralité de ses institutions, le système capitalisme. Si nous n'y
parvenons pas par ce moyen, nous utiliserons une autre méthode, l'équivalant
des soviets, mais nous vaincrons ou nous périrons, ce n'est pas une tragédie de
Corneille, c'est l'avenir de l'humanité qui est en jeu.
Une Assemblée
constituante élue au suffrage universelle, on peut le concevoir, à condition
que tous les partis bourgeois soient écartés et réduits au silence.)
A une condition toutefois : que ce
mot d’ordre d’assemblée constituante soit compris comme une consigne
d’agitation pour tout de suite et pas comme un des volets institutionnels pour
un catalogue électoral.
(Alors, si ce n'est
qu'une "consigne d'agitation" à consommer sur place, sans
doute avec modération, en attendant l'aristocratie financière peut dormir sur
ces deux oreilles. Surtout ne posons
pas la question de l'organisation immédiate du prolétariat dans cette
perspective politique, la question des comités de résistance populaire
(populaire à raison de mieux). C'est comme vouloir prendre sa voiture sans
prendre la peine de mettre de l'essence dans le réservoir, généralement, on ne
va pas bien loin!)
Gérard Combes